

Ebola: le Canada est-il à l’abri des ratés éthiques?
Certains pays touchés ne profitent pas assez des retombées du vaccin, estime le chercheur qui l'a mis au point.
L’Ebola fait rage à nouveau en Afrique de l’Ouest, et le vaccin développé au Canada, fruit de longues années de recherches, est à nouveau mis à contribution pour contenir le virus mortel. Or, une enquête du Monde publiée aujourd’hui dans nos pages révèle que des ratés éthiques ont marqué les recherches faites au fil des ans grâce à l’usage de centaines de milliers de fioles de sang prélevé sur des patients africains par des équipes occidentales.
Selon l’un des inventeurs du vaccin, le Dr Gary Kobinger, aujourd’hui chercheur en maladies infectieuses au CHU de Laval, le Canada n’a pas échappé à certains des dérapages survenus par le passé.
Applaudi sur la scène internationale pour avoir créé le premier vaccin contre l’Ebola dans ses laboratoires de Winnipeg, le Canada n’a versé aucune somme aux pays africains ayant fourni des prélèvements sanguins, après avoir vendu les droits de propriété intellectuelle à l’entreprise qui l’a commercialisé, avance le chercheur. « Les Canadiens doivent savoir cela », dit-il.
Le Devoir s’est entretenu sur cette question cette semaine avec le Dr Kobinger.
Oui, malheureusement, de telles choses se sont parfois produites. Avant, les épidémies n’étaient pas aussi grosses, et dans l’urgence, les façons de faire n’étaient pas aussi bien définies. Normalement, les échantillons de sang appartiennent au pays et il faut absolument obtenir le consentement des patients et du pays d’origine pour les utiliser. Beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest n’avaient pas de comités d’éthique au début de l’épidémie. La loi canadienne nous y oblige maintenant. Si des échantillons sont congelés et conservés depuis longtemps, il faut même pouvoir retrouver ces patients.
Nos laboratoires avaient plus de 4000 échantillons en Sierra Leone avec une lettre de ce gouvernement autorisant leur transport au Canada, mais ça n’a jamais eu lieu. Les échantillons ont été détruits. Le Canada n’a sorti aucun échantillon, mais a reçu cinq échantillons avec l’accord de la Guinée pour tester le vaccin contre l’Ebola à Winnipeg. Nous avons pu ainsi tester ainsi deux ou trois souches du virus.
Oui, nos règles sont claires aujourd’hui. Mais nous avons déjà eu accès à des échantillons en provenance de la République du Congo fournis par un pays sans documentation, et qu’un autre pays a partagés avec le Canada. Les institutions se disent propriétaires de ces échantillons qui venaient du Congo, certains dataient de la première épidémie de 1976 et de celle de 1995.
Ce ne le serait plus aujourd’hui. Au tournant des années 2000, ces procédures n’étaient pas suivies. Maintenant tout le monde est sensibilisé sur cette question et a un oeil là-dessus.
Je pense que c’est une bonne réflexion à avoir, car on en discute depuis longtemps dans le domaine scientifique. Les gens ne réalisent pas que rien n’est redonné aux pays d’origine. La question des retombées doit être posée. La bonne façon de faire aurait été de développer des accords qui permettent aux pays d’origine de profiter des retombées du vaccin. Les vaccins aujourd’hui sont donnés à la République du Congo, mais le Canada a gardé la propriété intellectuelle. Il n’y a aucun accord de transfert de propriété intellectuelle entre le Canada et ce pays.
Le pays ne l’a pas exigé non plus. Ces pays ont partagé à coeur ouvert, mais ils se sont fait un peu avoir pour ce qui est des retombées économiques ou politiques. Ça n’incite pas beaucoup les autres pays à partager leurs échantillons. Les Canadiens sont fiers de dire que leur pays a développé un vaccin, mais ils ne savent pas ça. Il aurait fallu qu’on retourne dans le pays d’origine pour reconnaître leur contribution. C’est une question de principe.
La pharmaceutique Merck a acheté les droits de propriété intellectuelle pour commercialiser le vaccin à une biotech qui, elle, les avait achetés du Canada. Avec cet achat, et la commande de dizaines de milliers de doses, cela a bien dû générer quelques millions. Le seul bénéfice qu’ils ont (pays fournisseurs d’échantillon), c’est l’accès gratuit au vaccin, mais ils n’ont eu jusqu’ici que 60 000 doses, alors qu’ils en auraient besoin de plus de 200 000.
Tous ces échantillons sont normalement dans des bases de données détenues par des laboratoires, qui doivent être transmises aux gouvernements locaux. C’est la responsabilité des laboratoires de s’assurer que cela n’est pas détourné à des fins terroristes ou qu’un bête accident ne cause pas une éclosion. Les échantillons sortis d’Afrique, notamment par les NIH (National Institutes of Health) et d’autres pays, l’ont souvent été pour neutraliser les virus à des fin de sécurité et rapatrier ces échantillons désactivés (donc inoffensifs) pour y permettre la poursuite des recherches.
Pendant l’épidémie, il y a eu 28 000 cas, dont 11 000 morts, en plus des cas jamais répertoriés. On peut voler un échantillon contaminé à l’Ebola, oui, mais c’est bien plus facile de s’en procurer auprès de gens malades que d’aller forcer des installations hautement sécurisées. Mais c’est clair qu’il faut être vigilant et qu’il est important de construire des installations parfaitement sécuritaires dans ces pays.
C’est sûr que le renversement de gouvernement et la violence rendent très difficile le travail sur place en RDC. Ces environnements non stables rendent les transferts de connaissances et de données très difficiles. Pour développer des tests diagnostiques, nous avons besoin d’énormément d’échantillons sanguins et c’est très difficile. Pour cela, il faudrait être sur place et c’est un gros défi. C’est pourquoi il n’existe toujours pas de tests pour diagnostiquer l’Ebola qui sont validés. Mais nous continuons à y travailler.
Certains pays touchés ne profitent pas assez des retombées du vaccin, estime le chercheur qui l'a mis au point.
Lors de l’épidémie qui a fait plus de 11 000 morts en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016, des scientifiques ont...