La faim, une arme de guerre qui menace la vie de plus de 100 000 Sud-Soudanais

Photo: Renaud Philippe Sous un soleil ardent, les femmes déplacées par les combats au Sud-Soudan attendent de recevoir leur ration alimentaire du Programme alimentaire mondial.

L’alerte est lancée depuis avril. Les Nations unies ont averti que plus de 100 000 Sud-Soudanais font face à la famine et que près de cinq millions d’entre eux souffrent d’insécurité alimentaire. L’avertissement surgissait en pleine saison sèche — particulièrement aride cette année —, mais c’est sans équivoque la guerre civile qui propulse cette catastrophe pour la population.

Les conflits se sont succédé dans la région, donnant l’impression d’une guerre sans fin depuis 40 ans. Une « situation très compliquée », résume Lee J. M. Seymour, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la violence politique et professeur à l’Université de Montréal, qui relève davantage du bras de fer entre les élites du pays que d’un conflit ethnique.

Riche de son pétrole, le Soudan du Sud avait pourtant déclaré son indépendance en 2011, avec un référendum à 98 % favorable, devenant le plus jeune État du monde. La rivalité entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar a cependant eu raison du fragile équilibre.

En décembre 2013, Kiir accuse Machar de fomenter un coup d’État, le détonateur de trois ans et demi d’horreurs. « À cause d’un système très fluide d’alliances et de patronage, la violence s’est diffusée dans tout le pays », expose M. Seymour, insistant sur la fragmentation des acteurs.



 

Une stratégie délibérée

Dans l’État de l’Unité, l’un des plus touchés par les combats, où le photographe Renaud Philippe s’est rendu, la famine décharne les corps jusqu’au point de bascule vers la mort.

La faim y est une arme de guerre. « C’est une stratégie délibérée des groupes armés qui “prennent en otage” la population civile en prenant le contrôle des routes, notamment. […] Ça devient une monnaie d’échange politique qui permet à un groupe, à des seigneurs de guerre, de revendiquer un territoire et des ressources », explique François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire (OCCAH).

« Il y a une longue histoire de contrôle de l’accès à la nourriture et de manipulation de l’aide humanitaire pour des fins de guerre », confirme le professeur Seymour. Les grandes organisations humanitaires, comme la Croix-Rouge et le Programme alimentaire mondial, sont donc forcées de négocier l’accès aux populations du mieux qu’elles peuvent. Les ONG, de distribution alimentaire par exemple, desservent ensuite les zones où l’entrée est déjà négociée.

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Le conflit a contraint 3,7 millions de Sud-Soudanais à l’exil : 1,7 million se sont réfugiés dans les pays limitrophes et 2 millions se sont déplacés à l’intérieur du pays.

Le conflit a aussi contraint 3,7 millions de Sud-Soudanais à l’exil : 1,7 million se sont réfugiés dans les pays limitrophes et 2 millions se sont déplacés à l’intérieur du pays. Ces déplacements forcés se sont accélérés dans la dernière année. Ils ont mis l’agriculture en panne, ravagé les troupeaux de bétail et asphyxié l’économie.

 

Dans les marais du Sud, autour de Nyal, certains ont choisi la faim plutôt que les combats. Les marécages « isolent » en quelque sorte la population de la violence, mais compliquent l’acheminement de la nourriture.

Pendant ce temps, la rente pétrolière sert à acheter des armes. Au moins la moitié du budget du pays y est consacrée, concluait un rapport présenté au Conseil de sécurité des Nations unies en mars dernier.

Difficile d’être optimiste sur les perspectives de paix. Lundi dernier, le président Salva Kiir a bien annoncé un cessez-le-feu unilatéral, tout en excluant son rival Riek Machar du « dialogue national ». Les fortes pluies qui commencent à tomber ralentiront peut-être les combats, note M. Seymour, mais elles promettent de paralyser les infrastructures.



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