Libye - Le défi de la paix

Une Libyenne fière des changements en cours dans son pays.
Photo: Agence Reuters Anis Mili Une Libyenne fière des changements en cours dans son pays.

Après avoir gagné la guerre, les pays qui ont soutenu la rébellion ne veulent pas perdre la paix. La victoire des insurgés libyens, grâce au soutien de l'OTAN, a redonné un certain lustre aux interventions internationales pour abattre une dictature au nom de la «responsabilité de protéger» telle que l'a adoptée l'assemblée générale de l'ONU en juillet 2009, notion très proche d'un «droit d'ingérence humanitaire» devenu toujours plus ambigu après l'Afghanistan et l'Irak. D'où l'enjeu majeur que représentent la transition libyenne et ses défis après 42 ans de dictature.

La guerre est-elle finie?

Les forces loyalistes contrôlent encore quatre ou cinq grandes villes — Syrte, Sebha, Ziten, Bani Walid — où pourrait se cacher Khadafi. Même si les insurgés apparaissent toujours incapables de prendre ces localités, elles ne résisteront sans doute pas très longtemps sous la pression des forces de l'OTAN — une vingtaine de raids quotidiens contre Syrte. Après, il restera à capturer Kadhafi et son fils et dauphin, Saïf al-Islam, qui demeurent une menace potentielle. Ce qui est flagrant, en effet, c'est que la Libye ne dispose pas de forces terrestres pouvant faire respecter un minimum d'ordre. D'autant plus que les ennemis du nouveau pouvoir libyen ne manquent pas: les forces paramilitaires liées à Kadhafi, l'Algérie, peut-être les Touaregs...

«Ce ne sera pas la Somalie, car la Libye est un pays pétrolier, donc personne n'a intérêt à le voir se déchirer, mais on peut s'attendre à une instabilité prolongée», souligne le politologue Khattar Abou Diab. L'OTAN n'envisage d'ailleurs pas un retrait complet de ses forces. Et l'ONU, aussi, est favorable à ce que sa mission perdure. «Le mandat du Conseil de sécurité de protection des civils, appliqué par l'OTAN, ne s'arrête pas avec la chute de Mouammar Kadhafi. L'OTAN continuera d'exercer ses responsabilités. Dans l'hypothèse où des forces hostiles continuent de s'attaquer à des civils, l'OTAN pourra agir», peut-on lire dans un document interne, daté du 22 août.

Le CNT peut-il gérer la transition?

Le problème du CNT, c'est qu'il est une structure uniquement politique et n'a pas de forces sur le terrain. D'où le risque que des problèmes surgissent très vite entre les rebelles sous commandement islamiste, à qui l'on doit, avec l'appui aérien de l'OTAN, la prise de Tripoli et le Conseil national de transition (CNT), composé essentiellement d'anciens ministres de Kadhafi, à commencer par son président, Moustapha Abdeljalil, d'opposants, de personnalités de la société civile et de chefs de tribus.

Le conflit pourrait naître lorsque le CNT demandera aux insurgés de déposer les armes. Il est peu probable que le chef militaire rebelle de Tripoli, Adbelhakim Belhadj, soit un partenaire facile et loyal. Déjà, il faut être aveugle pour ne pas voir une main islamiste derrière le récent assassinat du général Younès, l'ancien ministre de l'Intérieur de Kadhafi devenu le chef d'état-major de la rébellion. Si le chaos s'installe, d'autres anciens caciques du régime attendent dans la coulisse, comme le commandant Jalloud, l'ancien numéro 2 tombé en disgrâce il y a une vingtaine d'années, à qui l'on pourrait demander de remettre de l'ordre. Depuis Rome, il attend son heure. La bonne nouvelle, en revanche, c'est que le CNT ne semble pas désireux de demeurer au pouvoir et paraît désireux d'organiser des élections.

Comment éviter les erreurs de l'Irak et de l'Afghanistan?

Reconnu déjà par plus d'une cinquantaine de pays, dont les États-Unis et les capitales européennes, le CNT incarne pleinement la souveraineté libyenne. «C'est aux Libyens de décider le rôle que jouera l'ONU», rappelle-t-on volontiers à Paris. Juste après la libération de Tripoli, Mahmoud Jibril, premier ministre du CNT, avait reconnu lors de sa visite dans la capitale française «qu'une aide technique de l'ONU est indispensable». Mais il ne s'agit pas de Casques bleus. Pour le moment est juste évoqué le déploiement de quelque 200 observateurs onusiens notamment pour aider à organiser la police.

Le CNT ne veut surtout pas apparaître comme dépendant de l'intervention étrangère. Sa feuille de route politique est ambitieuse avec l'élection d'une assemblée sous huit mois et l'élaboration d'une constitution sous 12 ou 20 mois. Avec une idée directrice imposée par les pays du «groupe de contact» qui ont aidé l'insurrection: «un processus de paix inclusif». En clair, il doit intégrer les autres forces, représenter toute la nation et éviter les représailles.

«Ce processus historique de transition doit être basé sur la démocratie et les droits de l'homme», a encore répété cette semaine Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne. Mais cela tient de la gageure dans un pays sans tradition démocratique, ni même étatique, sortant de 42 ans de dictature, avec de fortes disparités régionales. D'où le rôle crucial qu'aura en fait à jouer l'ONU dans le processus de construction de l'État. Mais il s'agit avant tout d'éviter les erreurs commises en Irak, même si les insurgés n'ont pas été installés au pouvoir par une occupation étrangère. À Bagdad, la décision américaine de dissoudre l'armée et le parti Baas a été à l'origine de l'insurrection après l'enthousiasme des premiers mois. Les experts occidentaux ont conseillé les dirigeants de l'insurrection contribuant jusqu'ici à éviter des dérapages majeurs. Mais le processus de la transition sera long.

La chute de Kadhafi accroît-elle l'insécurité?


La nature a horreur du vide, sur le plan stratégique comme sur tous les autres. En dehors de ce constat unanime, les experts sont dans le brouillard. «Il jouait un rôle de perturbateur tout en faisant régner un semblant d'ordre dans la région. Avec sa chute, on saute dans l'inconnu», résume Jean-François Daguzan, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Le chercheur Mathieu Guidère se range dans le camp des optimistes: «Durant des décennies, Kadhafi a joué la carte du terrorisme et soutenu tous les mouvements rebelles de la zone, des séparatistes touaregs au Front Polisario. Sa disparition va les priver de financements et d'armes.»

Au cours des derniers mois, plusieurs dirigeants de la région se sont inquiétés du pillage des arsenaux libyens par divers groupes armés. «Il n'y a plus d'armée aux frontières, tout est ouvert. Il va falloir sérieusement renforcer les dispositifs de veille dans la région», s'inquiète François Heisbourg, de la FRS. Moscou assure que des missiles sol-air ont déjà été transférés hors du territoire libyen. Dans quelles mains sont-ils tombés? Tous les regards se tournent vers les islamistes d'al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), un groupe qui détient plusieurs otages européens, dont quatre Français. Sort-il renforcé de ce conflit?

«Jusqu'à présent, les islamistes libyens ont refusé de rejoindre AQMI, dominé par les Algériens», note Jean-François Daguzan. Toutefois, il n'exclut pas le renforcement d'AQMI par certains éléments touaregs privés du soutien de leur ancien «parrain» libyen. Enfin, l'Algérie, qui se méfiait des agissements du «guide» dans son arrière-cour, se retrouve dans une position paradoxale: «Alger regrette moins Kadhafi qu'elle ne s'inquiète des ingérences occidentales dans la région», note M. Daguzan.

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