Crise libyenne - Les signes de désintégration du régime se multiplient

Manifestation anti-gouvernementale, hier, dans la ville de Tobrouk, à l’est de la côte libyenne.
Photo: Agence Reuters Manifestation anti-gouvernementale, hier, dans la ville de Tobrouk, à l’est de la côte libyenne.

Le régime de Mouammar Kadhafi a commencé à se fissurer, hier, après plus de 40 ans, tant et si bien que le colonel a dû faire une apparition prétendument «en direct» sur la télévision d'État libyenne afin de mettre fin à la rumeur selon laquelle il avait pris la fuite.

«Je veux montrer que je suis à Tripoli, et non au Venezuela. Ne croyez pas les chaînes [de télévision] qui appartiennent à des chiens errants», a lancé à la caméra M. Kadhafi, apparemment devant sa résidence de Bab Al-Aziziya.

Mouammar Kadhafi s'exprimait pour la première fois depuis le début des manifestations, il y a une semaine aujourd'hui.

Tenant un parapluie à la main, l'homme âgé de 68 ans s'apprêtait à monter dans un véhicule. «Je voulais dire quelque chose aux jeunes de la place Verte [sise à Tripoli] et veiller tard avec eux, mais il a commencé à pleuvoir. Dieu merci, c'est une bonne chose», a déclaré le dirigeant libyen lors d'une apparition télévisée qui a duré 22 secondes.

Plus tôt durant la journée, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, avait fait remarquer que le numéro un libyen pourrait avoir fui son pays et être en route vers le Venezuela.

Répression sanglante


Les forces fidèles au colonel Kadhafi ont lancé, hier, la répression la plus sanglante depuis le début des troubles qui ont déjà renversé les dirigeants tunisien et égyptien. Les forces de sécurité ont mené une opération contre les «saboteurs et [ceux qui sèment] la terreur», faisant des morts, a indiqué la télévision d'État.

Des avions militaires, survolant Tripoli à basse altitude, ont ouvert le feu sur des foules de manifestants antigouvernementaux, faisant des dizaines de morts, selon des témoins. «Des hommes armés tirent sans distinction. Il y a même des femmes qui sont mortes», a indiqué à l'Agence France-Presse un habitant du quartier de Tajoura, dans la banlieue est de Tripoli, joint par téléphone, parlant de «massacre».

Au moins 233 personnes ont été tuées en Libye à ce jour, selon le groupe humanitaire Human Rights Watch.

À Benghazi, la deuxième ville du pays, les manifestants ont pris le contrôle du quartier général des forces de sécurité, le Katiba, avant de hisser le drapeau de l'ancienne monarchie renversée par Kadhafi en 1967.

«Kadhafi a besoin d'une autre poussée et il sera parti», a fait valoir l'avocat anti-régime Amal Roqaqie. «[Les manifestants] imposent une nouvelle réalité. [...] Tripoli sera notre capitale. Nous imposons un nouvel ordre et un nouvel État, un gouvernement transitoire, civil et constitutionnel.»

«Nous savons que le régime arrive à sa fin, mais les Libyens refusent de céder. Les gens témoignent d'une détermination étrange après tout ce qui s'est produit», a dit un témoin sous le couvert de l'anonymat à l'Associated Press.

Le fils aîné de Kadhafi, Saïf al-Islam, était apparu, tôt hier matin, sur les ondes de la télévision étatique promettant de continuer à se battre alors que le pays est, selon lui, au bord de la guerre civile. «Mouammar Kadhafi, notre leader, dirige la bataille de Tripoli, et nous sommes derrière lui. Nous combattrons jusqu'au dernier homme, jusqu'à la dernière femme, jusqu'à la dernière balle.»

Après son intervention, les signes de désintégration du régime se sont toutefois multipliés. Les représentants de la Libye aux Nations unies ont notamment exhorté l'armée libyenne à renverser Mouammar Kadhafi, ni plus ni moins qu'un «tyran», selon eux, qu'ils accusent de «génocide» contre son peuple.

«Nous disons clairement que la mission libyenne [à l'ONU] est une mission qui appartient au peuple libyen. Elle n'appartient pas au régime. Le régime de Kadhafi a déjà commencé un génocide contre le peuple libyen», a dit l'ambassadeur adjoint de la Libye aux Nations Unies, Ibrahim Dabbashi.

Les diplomates appellent les soldats libyens «où qu'ils soient et quel que soit leur grade, à s'organiser et à marcher sur Tripoli pour couper la tête du serpent». «Le tyran Mouammar Kadhafi a clairement montré à travers ses fils le niveau d'ignorance qui les caractérise, lui et ses enfants, et combien il méprise la Libye.»

Ibrahim Dabbashi a exhorté la communauté internationale à imposer une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye pour empêcher des mercenaires, des armes et d'autres biens de rejoindre les forces de l'ordre du colonel Khadafi.

Le diplomate a ajouté que la délégation libyenne demandait à la Cour pénale internationale d'ouvrir une enquête pour crimes contre l'humanité, concernant la répression des manifestants en Libye.

Le Conseil de sécurité tiendra une réunion à huis clos aujourd'hui pour discuter de la crise en Libye, selon Reuters.

D'autre part, le ministre de la Justice, Mustafa Abdel-Jalil, a démissionné de ses fonctions, hier, pour protester contre «l'usage excessif de la force contre des manifestants désarmés», a rapporté le site Internet d'information pro-gouvernemental Qureyna.

Par ailleurs, un incendie faisait rage au Palais du Peuple, toujours selon le site Qureyna qui n'a pas fourni d'autres détails.

Enfin, les pilotes de deux chasseurs de l'armée de l'air libyenne, qui se sont posés à l'aéroport international de Malte, hier, ont demandé l'asile politique.

Les manifestants se préparaient, hier soir, à une nouvelle nuit de protestations au centre-ville de la capitale, Tripoli, en dépit de la répression violente dont ils ont été victimes au cours des derniers jours.

Le régime Kadhafi s'apprêtait, lui, à lancer une nouvelle offensive d'envergure afin d'écraser les troubles qui ont balayé l'est de la Libye, laissant la deuxième ville du pays, Benghazi, aux mains des rebelles, et menacent maintenant d'engloutir la capitale.

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D'après l'Agence France-Presse, Reuters et l'Associated Press

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Une vidéo d'Al-Jazira sur les événements en Libye (en anglais)

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