Nouvelle plaie pour les Coptes d'Égypte

À l'entrée de l'église, des uniformes barrent la rue. Les talkies-walkies crépitent. Le front sombre, Yohanna s'engouffre sous le porche de l'église de la Vierge, au Caire. En ce samedi soir, alors qu'à Alexandrie, la communauté chrétienne enterre les 21 victimes de l'attentat qui a ensanglanté la veille l'église des Deux-Saints, Yohanna a rendez-vous avec les autres étudiants de sa paroisse. La nuit, ils vont la passer là. En méditation. En prière. En colère.
Le Caire — Dans les années 90, alors que les commandos des Jamaat al-Islamiya faisaient trembler l'Égypte, les coptes, déjà, aux côtés des touristes et des représentants de l'État, formaient des cibles de choix pour les terroristes qui avaient juré de faire tomber le régime. Mais après la répression féroce, et la fin des années de sang, les violences contre les chrétiens ont changé de nature.«Elles se sont banalisées. On fait comme si ce n'était rien de grave, rien de révélateur. On nous dit que l'Égypte est une, qu'on est tous frères. Mais rien, rien n'est fait, et voilà où ça nous mène!» gronde Hanna. Autour de lui, chacun entonne une longue liste: janvier 2000, 21 chrétiens tués dans des affrontements interconfessionnels à Kosheh, en Haute-Egypte; mai 2008, des moines blessés par balle et laissés pour morts dans l'attaque de leur monastère à Malawi; ou janvier 2010, six Coptes fauchés par une rafale de mitraillettes à la sortie de la messe de minuit du Noël orthodoxe, à Naga Hamadi. Et vendredi, l'horreur, encore.
Impunité
«Jusqu'à quand peut-on s'attaquer à nous sans que personne ne bouge? Sans que justice soit faite?» s'excite Boutros, étudiant en informatique, en attente d'un visa pour le Canada, «pour fuir ce pays avant que ça ne devienne le Liban». Le verdict dans l'affaire de la tuerie de Naga Hamadi, plusieurs fois reporté, est attendu pour le 16 janvier, alors que les Coptes, déçus par une enquête jugée expéditive, avaient réclamé une justice rapide. Le drame de Kosheh, qui a marqué la reprise des violences contre les Coptes, a laissé les chrétiens d'autant plus traumatisés que la justice a acquitté tous les accusés.
Depuis, les incidents n'ont cessé de se multiplier. À chaque fois, la même impunité. Le même déni: pour les autorités, il n'y a pas de problème confessionnel en Égypte. Systématiquement, la police parle d'acte isolé, de personnes déséquilibrées, de querelles de voisinages qui dégénèrent.
Mais après avoir longtemps fait profil bas, les Coptes se désespèrent de plus en plus ouvertement. Jeudi, Mariam, jeune employée, ira passer la nuit de Noël à l'église. «Je n'en reviendrai peut-être pas vivante.» Elle se repasse en boucle, sur Internet, la scène de l'attaque de vendredi, filmée par une caméra de vidéosurveillance. Sur Facebook, elle et ses amis appellent au «réveil copte», s'inondent de chants religieux, illustrés par des images de chemin de croix, aux titres explicites: «Je n'ai pas peur, Mourir sans renier».
Kamikaze
À l'annonce de la nouvelle, les voisins, musulmans, sont venus présenter leurs condoléances. Les mères ont pleuré dans les bras l'une de l'autre. «Qu'est-ce que ce pays va devenir?» Tous craignent désormais que l'Égypte ne bascule dans les violences sectaires, tant le fossé entre les communautés s'est élargi ces dernières années.
Des proches de Mariam sont partis à Alexandrie pour participer aux manifestations qui ont opposé ce week-end les chrétiens aux forces de l'ordre, accusées de ne pas avoir suffisamment protégé les lieux de cultes. «On savait que ça allait se produire!» s'enflamme la jeune femme en rappelant que l'État islamique d'Irak, le groupe auteur de l'attaque anti?chrétienne de Bagdad en octobre, avait promis de s'en prendre aux chrétiens d'Égypte. Une menace réitérée il y a deux semaines. «Pourquoi ça n'a pas été pris au sérieux?»
Mariam a du mal à croire à la thèse des enquêteurs, qui privilégient l'option d'un kamikaze plutôt que des voitures piégées, comme l'ont d'abord affirmé des témoins, à la télévision. «On veut des preuves, et vite.» Hier, Al-Jezira annonçait que la police aurait procédé à 17 arrestations.
Quelques heures après le drame, le président égyptien, Hosni Moubarak, s'est adressé à son peuple, promettant avec fermeté de mettre fin au terrorisme «aveugle» touchant indistinctement chrétiens et musulmans. «Mais pourquoi n'a-t-on pas décrété de deuil national, comme ça a été le cas lors de la mort de son petit-fils?» s'étrangle la jeune femme. Ostensiblement, elle a posé sur son col roulé noir la croix d'argent qu'elle laisse d'ordinaire moins apparente. «Dès qu'on est entre nous, on ne parle que des problèmes coptes. Le fait que rien ne soit entrepris nous pousse, nous aussi, à la radicalisation», admet Nagui Morcos, un enseignant qui craint que le scénario de vendredi ne soit voué à se répéter et que le pays ne bascule dans une violence quotidienne.
Même inquiétude chez la politicienne copte Mona Makram Ebeid. Selon elle, la seule issue possible est «une reprise en main de l'État et de la justice». La sous-représentation des Coptes en politique et leur marginalisation dans l'octroi des emplois doivent être examinées sans fard, souligne-t-elle.