Les Gaulois québécois de Bujumbura

Émélance Niwizere et Olivier Munezero, dans l’établissement de La Cervoise du Gaulois, un bar sportif qui diffuse les matchs de hockey du Canadien sur fond de rythmes africains.
Photo: Jean-Thomas Léveillé Émélance Niwizere et Olivier Munezero, dans l’établissement de La Cervoise du Gaulois, un bar sportif qui diffuse les matchs de hockey du Canadien sur fond de rythmes africains.

Bujumbura, Burundi — Ce soir-là, un match de soccer européen accaparait les clients du restaurant. Les yeux rivés sur l'écran géant, la plupart n'avaient pas porté attention au maillot du Canadien de Montréal, sur le mur, derrière eux. Tout au plus avaient-ils remarqué, au bar, les napperons rouges affublés des lettres «CH», sans grande signification pour eux. Et pour cause: la Sainte Flanelle ne jouit pas d'une grande notoriété dans la chaleur africaine du Burundi, à quelque 10 000 kilomètres du Centre Bell.

Parmi les rares Québécois qui vivent dans ce minuscule pays du centre de l'Afrique, voisin du Rwanda, coincé entre la République démocratique du Congo et la Tanzanie, il s'en trouvait deux pour se lancer dans l'expérience de la restauration. Leur établissement, La Cervoise du Gaulois, se voulait d'abord un bar sportif. «J'en avais vu un à Dakar et j'avais aimé ça, mais il n'y en avait pas ici», raconte Jean-Claude Gosselin, qui, à 60 ans, sentait le besoin de «changer d'air», après avoir travaillé une vingtaine d'années en Afrique pour différentes organisations internationales.

Avec Sylvain Fontaine, le fils de son ancien collègue et meilleur ami, ils se sont lancés dans l'aventure, à la fin de l'été 2008. Un an plus tard, la grande villa qu'ils avaient louée, à deux pas du majestueux lac Tanganyika, était repeinte, réaménagée, meublée et prête à accueillir ses premiers clients.

Les deux comparses ne s'en cachent pas: dans un pays pauvre comme le Burundi, leur établissement s'adresse à une clientèle plutôt aisée, souvent formée d'expatriés. Mais loin d'eux l'idée d'en faire un repaire d'Occidentaux, de Blancs. Ici, le tympan du client ne sera jamais agressé par les cantilènes de Céline Dion ou de Garou ou par les rythmes communs de la musique américaine, qui ont envahi la planète. «On veut donner aux gens un petit peu du monde, du monde africain, en particulier», explique Jean-Claude Gosselin, alors que les haut-parleurs poussent les notes jazzées de la formation sud-africaine Kent Phonik.

Dans la salle, quelques Blancs ainsi que des Burundais un peu plus aisés que la moyenne, probablement des onusiens ou des employés d'autres organisations ou entreprises internationales, semblent apprécier. Les restaurants «occidentaux» ne manquent pas au centre-ville de Bujumbura, mais s'ils ont choisi d'aller en périphérie, chez les «Canadiens», comme on les appelle ici, c'est pour l'ambiance différente et la bonne bouffe, croient Jean-Claude Gosselin et Sylvain Fontaine.

Car les deux Québécois voulaient aussi offrir une cuisine de qualité, dans une gamme de prix raisonnable. Mais quand tous les estaminets du coin offrent des brochettes pour quelques milliers de francs (quelques dollars), il n'est pas évident de convaincre les gens de payer le double pour des viandes ou des poissons marinés, par exemple. «C'est ça qui coûte cher, le temps de préparation, les marinades. Ça fond dans la bouche, mais on ne peut pas le vendre au même prix», lance Sylvain Fontaine, devant son gril.

Afin de diminuer les coûts de production, mais aussi pour mieux contrôler la qualité des produits, ils se sont mis à cultiver piments, tomates, fines herbes, laitues et autres légumes dans le jardin situé derrière le restaurant. «Je ne connaissais pourtant rien à l'agriculture, rigole Sylvain Fontaine, tout ce que je savais, c'est que quand tu plantes, c'est censé pousser. Une chance qu'on a Internet!»

Ils pousseront bientôt leur concept d'autosuffisance un peu plus loin en achetant une petite parcelle de terre, où ils comptent élever poulets, lapins, moutons et chèvres. «On le fait un peu pour nous, aussi, parce qu'on aime bien manger. Et c'est amusant, aussi. Travailler la terre, ça calme», ajoute Jean-Claude Gosselin. Une telle chose serait pratiquement impossible au Québec, du moins en milieu urbain. Au Burundi, si le contexte le permet, l'exercice reste peu commun.

Leurs projets ne s'arrêtent pas là. La Cervoise du Gaulois offre aussi quelques chambres aux voyageurs qui voudraient s'y arrêter. «Ultimement, ce qu'on voudrait, c'est faire découvrir l'Afrique aux Québécois, la leur rendre accessible», rêve Jean-Claude Gosselin. «Les safaris, c'est très européen. Mais deux semaines au Kenya pour 10 000 dollars, ça n'a pas de sens». Avec l'immense Tanzanie juste à l'est, dont les réserves de Moyowosi et Kigosi ne sont qu'à une cinquantaine de kilomètres de la frontière burundaise, leur idée est loin d'être utopique.

Le Burundi lui-même, malgré sa petite taille, a beaucoup à offrir aux voyageurs. Les séquelles de 15 ans de guerre civile (1993-2008) s'effacent tranquillement, faisant place au développement. «C'est intéressant, c'est rassurant, même, de voir tous les Burundais qui reviennent, qui investissent», ajoute Sylvain Fontaine. «Le tourisme commence à se développer, ça se voit, ça se sent. L'Afrique, ce n'est pas Tintin au Congo, ce n'est pas Vision mondiale. Oui, il y a de la misère, de la souffrance, mais il n'y a pas que ça. Moi, j'ai l'impression de vivre ici. Les gens doivent voir ça.»

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Jean-Thomas Léveillé a séjourné au Burundi grâce à une bourse Nord-Sud de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, financée par l'Agence canadienne de développement international.

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