La CPI devrait porter des accusations contre le président du Soudan

Depuis 2003, 300 000 personnes ont péri au Darfour, où les milices janjawids sèment la terreur, et un plus grand nombre encore ont été déplacées.
Photo: Agence Reuters Depuis 2003, 300 000 personnes ont péri au Darfour, où les milices janjawids sèment la terreur, et un plus grand nombre encore ont été déplacées.

Nations unies — Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) pourrait demander lundi le lancement d'un mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir pour crimes contre l'humanité et génocide au Darfour, ont déclaré des responsables de l'ONU et des diplomates, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.

Une audience sur les atrocités au Darfour est prévue lundi devant la CPI, basée à La Haye (Pays-Bas), au cours de laquelle l'Argentin Luis Moreno-Ocampo doit présenter de nouvelles preuves aux juges et désigner un ou plusieurs nouveaux suspects. Les responsables de la CPI se refusaient hier à fournir des noms.

Selon les mêmes sources, le vice-président Ali Osman Mohammed Taha devrait être également parmi ces nouveaux suspects.

Le porte-parole du président soudanais, Mahjoub Fadul Badry, a rappelé que Khartoum refusait de livrer un quelconque suspect à la CPI et traité le procureur de «terroriste».

Le Soudan ne reconnaît pas la compétence de la CPI et refuse depuis des mois de lui remettre un ministre et un dirigeant rebelle inculpés l'année dernière par Moreno-Ocampo. L'ambassadeur du Soudan à l'ONU, Abdelmahmoud Abdelhalim Mohamed, a prévenu que le lancement de mandats d'arrêt à l'encontre de dirigeants de son gouvernement menacerait les relations du Soudan avec l'ONU.

«C'est une mesure criminelle, a-t-il dit à l'Associated Press. Nous condamnons cela dans les termes les plus forts. Cela aura de mauvaises implications, d'une portée considérable, sur le pays tout entier, et toutes les options sont ouvertes quant à nos réactions».

Le porte-parole du département d'État américain, Sean McCormack, a mis en garde le gouvernement soudanais contre tout recours à la violence. «La violence perpétrée par le gouvernement contre ceux qui, sur le terrain, sont engagés dans des missions humanitaires [...] ne sert certainement pas les objectifs du gouvernement soudanais», a-t-il dit.

Le mois dernier, Luis Moreno-Ocampo avait fait savoir qu'il voulait s'attaquer aux responsables du gouvernement soudanais, estimant que «la totalité de l'appareil d'État» est impliquée dans les crimes contre l'humanité au Darfour (ouest du Soudan), où quelque 300 000 personnes ont péri depuis 2003 et où les milices janjawid sèment la terreur avec la bénédiction de Khartoum.

Avec des mandats d'arrêt au plus haut niveau, ce serait la première fois que la CPI, premier tribunal international permanent chargé de juger les crimes de guerre, poursuivrait un chef d'État en exercice.

Il y a des précédents: le Serbe Slobodan Milosevic et le Libérien Charles Taylor ont été inculpés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la justice internationale de l'ONU alors qu'ils étaient encore en exercice.

Milosevic est mort avant la fin de son procès devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et Taylor est actuellement jugé par le tribunal spécial pour la Sierra Leone.

Pour Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale de Human Rights Watch, ce serait un signal fort. «Si le procureur requiert un mandat d'arrêt contre le président soudanais [...], cela sera un pas important pour limiter l'impunité» dans les atrocités commises au Darfour. Et «enverrait le message que personne n'est au-dessus des lois pour ce genre de crimes, pas même un président en exercice».

«Si la procédure avance de la manière dont il semblerait qu'elle va avancer, nous devons être conscients des effets que cela aurait sur le terrain», a déclaré l'ambassadeur de France auprès de l'ONU, Jean-Maurice Ripert. Quant à l'ambassadeur du Soudan à l'ONU, Abdalmahmood Abdalhaleem, il a lancé une mise en gardant, jugeant qu'un tel geste «fermerait la porte du dialogue entre le Soudan et l'ONU».

En cas d'inculpation du président el-Béchir, le travail des soldats de la paix au Darfour et des ONG pourrait en effet devenir encore plus difficile. D'ailleurs, dans une des attaques les plus meurtrières pour l'ONU de ces dernières années, sept soldats et policiers de la force de paix hybride Union africaine-Nations unies ont été tués et 22 autres blessés cette semaine.

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