La politique américaine - « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous » - George W. Bush

Parmi les prophéties de l'après-11 septembre qui ne se sont pas réalisées, signalons celle voulant que les attentats allaient infléchir la politique étrangère des États-Unis dans le sens d'un plus grand engagement au sein des institutions multilatérales.

Certes, les événements du 11 septembre devaient fatalement avoir un impact sur cette politique: ils semblent en fait l'avoir radicalisée dans le sens qu'illustre cette phrase chère au président Bush et à son entourage: «Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.»

Depuis son intronisation à la Maison-Blanche, l'administration républicaine a multiplié les gestes marqués au coin de l'unilatéralisme: rejet du protocole de Kyoto, dénonciation du traité ABM et poursuite de la défense antimissile, opposition à la Cour pénale internationale, obstruction aux travaux de l'OCDE sur les paradis fiscaux, remise en question de la force de maintien de la paix en Bosnie, etc.

Cette attitude n'a pas changé après les attentats du 11 septembre. Elle contraste non seulement avec celle de Bill Clinton, qui privilégiait la diplomatie économique conjuguée à une certaine coopération multilatérale, mais avec cinq décennies d'engagement dans les principales institutions multilatérales.

Une deuxième prophétie consistait à dire que le peuple américain allait tout à coup se découvrir une passion pour les problèmes de la planète. Après avoir effectivement suivi en direct la riposte aux attentats terroristes, les Américains ont assez vite reporté leur attention sur les questions intérieures.

On peut dire qu'ils suivent en cela cet autre mot d'ordre de leurs dirigeants: continuez à vaquer à vos occupations. Ils se sont passionnés pour la série mondiale de baseball, pour le Superbowl, pour les exploits de leurs athlètes olympiques à Salt Lake City, pour les finales tout américaines de l'Omniun de tennis des États-Unis. Ils s'inquiètent également de l'économie chancelante et des scandales financiers à répétition, ce que leur président n'aurait peut-être pas souhaité.

Comme ils ne sont pas les imbéciles qu'on imagine trop souvent, ils ont été moins enclins que leurs dirigeants à crier vengeance. Ils semblent souhaiter que les responsables des attentats répondent de leurs gestes devant la justice. Ils ne raisonnent pas autrement en ce qui concerne les responsables des magouilles qui ont fait fondre leurs modestes économies.

Après le 11 septembre, l'influence des «va-t-en-guerre» sur la politique étrangère des États-Unis est devenue plus apparente. On parle de Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle, John Negroponte, I. Lewis Libby, entre autres, qui sont respectivement vice-président, ministre de la Défense, adjoint de ce dernier, président de la Defence Policy Board, ambassadeur aux Nations unies, conseiller du vice-président sur les questions de sécurité. Depuis la fin de la guerre froide, ceux-ci avaient tracé les grandes lignes de leur programme dans des écrits et des conférences, ou par des gestes quand ils occupaient des postes dans le gouvernement de George Bush père: primauté de l'intérêt national et recours à la force, au besoin unilatéralement, afin d'empêcher l'émergence d'une nouvelle puissance mondiale.

«La politique étrangère a changé dramatiquement. [...] Les personnages clés dans la prise de décisions sont Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz et Perle. Condoleezza Rice [présidente du Conseil national de sécurité] est sur la ligne de touche et Colin Powell [le secrétaire d'État] est complètement marginalisé», estime Larry Hufford, directeur du programme de relations internationales à l'Université St. Mary's à San Antonio, au Texas. Ce dernier note une similitude entre la présente guerre antiterroriste et la guerre froide: «Le slogan "avec nous ou contre nous" implique qu'on s'accommode de dictatures, dit-il. En outre, cela se traduit par l'envoi de troupes dans des pays aussi différents que le Yémen, l'Ouzbékistan, le Kirghizistan, les Philippines, la Géorgie, la Colombie, etc.»

Niveau de confiance

Au printemps dernier, on a appris que de hauts responsables au sein des services de sécurité et de renseignements, ainsi que de l'administration, avaient eu connaissance un an plus tôt d'indices qui auraient dû être pris plus au sérieux qu'ils ne l'ont été. Le président lui-même aurait été mis au parfum lors d'un briefing le 6 août 2001. Les politiciens d'opposition et les éditorialistes ne sont pas allés jusqu'à accuser ces responsables de complicité, même par omission, comme cela a pu se faire outre-Atlantique. Le Congrès a néanmoins exigé des comptes. Au terme d'audiences tenues essentiellement à huis clos pendant l'été, les parlementaires ont conclu à un sérieux dysfonctionnement des services concernés.

En même temps qu'il admettait ses torts, le directeur de la police fédérale, Robert Mueller, a demandé et obtenu des pouvoirs accrus, en plus de ceux conférés par le Patriot Act adopté à l'automne et qui avait permis la détention prolongée et sans accusation de nombreux ressortissants du Moyen-Orient.

Le Congrès des États-Unis débat actuellement du projet de création d'un superministère de la Sécurité intérieure, qui regrouperait diverses agences, à l'exception notoire du FBI et de la CIA. Si la majorité des Américains — les deux tiers selon un sondage commandé par CBS en juillet 2002 — jugent ce projet utile, la plupart des défenseurs des libertés fondamentales s'en inquiètent.

«À long terme, les gens n'accepteront pas longtemps de voir leurs libertés réduites. Ils exigeront de la transparence dans le gouvernement, comme ils en exigent déjà de la part des directeurs de compagnies et du haut clergé», estime le professeur Hufford.

Ironiquement, le renforcement de l'appareil sécuritaire est défendu par une administration qui, idéologiquement, devrait s'opposer à l'interventionnisme du gouvernement central.

Pour différentes raisons, le taux de satisfaction des Américains à l'égard du président Bush a chuté depuis le sommet de 88 % atteint dans la foulée du 11 septembre. Depuis avril, à la suite du cafouillage dans la politique au Proche-Orient et des scandales financiers impliquant, après Enron, des sociétés comme WorldCom, Xerox et Global Crossings, il se situe habituellement sous la barre de 70 % (68 % selon le coup de sonde publié dans le Wall Street Journal le 10 avril dernier, 65 % selon celui de Newsweek fin juillet, et même 62 % selon l'enquête Zogby du 17 juillet).

Les Américains vivent aujourd'hui dans la hantise de nouveaux attentats. Cette hantise est attisée par les fréquentes déclarations de leurs dirigeants en ce sens. Les Américains font davantage confiance à l'équipe Bush qu'à leurs adversaires démocrates pour assurer leur sécurité. En revanche,

les démocrates obtiennent une meilleure note en matière de gestion de l'économie.

La comparaison avec George Bush père, chassé de la présidence en 1992 après que sa cote de popularité eut atteint des niveaux stratosphériques au moment de la guerre du Golfe un an plus tôt, s'impose. Néanmoins, selon plusieurs commentateurs, le locataire actuel de la Maison-Blanche a pour lui une meilleure aptitude à communiquer avec ses commettants. En outre, il dispose de plus de temps avant la prochaine élection présidentielle.

Pour continuer de livrer une guerre qui n'est pas limitée dans le temps, le gouvernement américain devra soit annuler les réductions d'impôt votées en juin 2001, ce qui risque de déplaire à sa base électorale conservatrice, ou réduire encore les programmes sociaux. «Les Américains ne l'accepteront pas après les scandales financiers récents. En particulier, le projet de privatisation des régimes de retraite est mort-né», prédit Larry Hufford.

Des élections de mi-mandat auront lieu en novembre. Les républicains, que la question de l'Irak divise actuellement, espèrent que ce débat aura été résolu entre-temps. Quant aux frappes contre le pays de Saddam Hussein, elles ne devraient pas commencer avant la fin de l'année.

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