L'Irak rattrape Tony Blair

Source: Aamir QURESHI AFP
Un journal de Karachi souligne en manchette que trois des quatre auteurs présumés des attentats de Londres se sont rendus l’an passé au Pakistan.
Photo: Source: Aamir QURESHI AFP Un journal de Karachi souligne en manchette que trois des quatre auteurs présumés des attentats de Londres se sont rendus l’an passé au Pakistan.

Londres — Au moment où la politique irakienne de Tony Blair est au coeur d'une nouvelle polémique liant la présence militaire britannique en Irak aux attentats de Londres, on apprenait hier que trois des quatre auteurs présumés des attentats de Londres se sont rendus l'an passé au Pakistan.

Alors qu'il espérait que les controverses sur son soutien aux États-Unis en Irak étaient de l'histoire ancienne, le premier ministre britannique a dû accueillir d'un mauvais oeil hier la publication d'un rapport de l'Institut royal des affaires internationales (RIIA) qui souligne le lien entre cet engagement militaire et le risque accru d'attentats.

Frank Gregory et Paul Wilkinson, deux experts du terrorisme, affirment dans ce rapport que la guerre menée pour renverser le régime de Saddam Hussein a facilité le recrutement et la collecte de fonds pour al-Qaïda, soupçonné d'avoir perpétré les attentats du 7 juillet dans lesquels 56 personnes ont trouvé la mort. «Le Royaume-Uni est particulièrement exposé parce que c'est le plus proche allié des États-Unis», écrivent les experts.

Salve de critiques

Cette publication expose désormais Blair à une salve de critiques de la part de ses opposants, qui ne manqueront pas de puiser dans les pages du rapport les bases de leur argumentaire.

«Ce rapport ressuscite la question de l'Irak qui a déjà été très préjudiciable [à Blair]», estime Wyn Grant, professeur de science politique à l'Université de Warwick.

Le premier ministre britannique a en effet laissé des plumes dans le débat sur la guerre en Irak, principale cause de l'érosion de sa cote de popularité. Et même s'il a été réélu en mai pour un troisième mandat au 10, Downing Street, la majorité travailliste à la Chambre des communes y a été amputée de moitié.

À l'instar des deux auteurs du rapport, Chris Bellamy, professeur en science militaire à l'université de Cranfield, pense que le scandale des sévices infligés aux détenus d'Abou Ghraïb ou de Guantanamo a forcément créé un terreau fertile au développement d'al-Qaïda. «Il est assez évident que notre rôle d'allié principal des États-Unis fait de nous une cible plus intéressante pour les terroristes», affirme Bellamy.

Ces arguments font aujourd'hui écho à une batterie de commentaires proférés par les adversaires de la guerre en Irak, de l'ancien travailliste indépendant George Gallaway à Charles Kennedy, chef de file des libéraux-démocrates, le troisième parti du pays.

Mais Blair a toujours rejeté l'idée que l'implication de la Grande-Bretagne en Irak et en Afghanistan ait pu rendre le pays plus vulnérable à la menace terroriste. Selon lui, le terrorisme, comme en témoignent les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, constituait une menace bien avant les conflits dans ces deux pays et il continue de frapper de nombreux endroits sur la planète.

Le secrétaire américain à la Défense et le premier ministre australien John Howard, en visite à Washington, ont apporté leur soutien au chef du gouvernement britannique en rappelant que «les États-Unis n'avaient rien fait le 11 septembre lorsqu'ils ont été attaqués». «Ceux qui croient qu'ils peuvent signer une paix séparée avec les terroristes vont découvrir que cela revient à nourrir un alligator, en espérant que c'est vous qu'il dévorera en dernier», a déclaré Donald Rumsfeld.

Le secrétaire au Foreign Office britannique a de son côté déclaré, à Bruxelles, qu'il ne fallait «accorder aucun prétexte aux terroristes» car ils avaient aussi frappé «dans des pays qui n'ont rien à voir avec la guerre en Irak. Ils ont frappé au Kenya, en Tanzanie, en Indonésie, au Yémen. Ils ont frappé cette fin de semaine en Turquie, un pays qui ne soutenait pas notre action en Irak», a souligné Jack Straw.

Voyage au Pakistan

Trois des quatre auteurs présumés des attentats de Londres se sont rendus l'an passé au Pakistan via Karachi, a-t-on appris par ailleurs hier auprès des services pakistanais de l'immigration.

Shezhad Tanweer et Mohammad Sidique Khan sont arrivés à Karachi en novembre dernier. «Ils sont retournés à Londres en février», a précisé un responsable de l'immigration s'exprimant sous le couvert de l'anonymat. D'après leurs documents de voyage, les deux hommes sont arrivés à Karachi à bord du même vol de la compagnie Turkish Airlines, le 19 novembre. Ils en sont repartis pour Londres via Istanbul le 8 février, toujours à bord du même vol.

Hasib Hussain, le troisième membre d'origine pakistanaise du commando de Londres, a atterri quant à lui le 15 juillet 2004 à Karachi en provenance de Ryad. Aucune trace de son départ n'a pu être retrouvée dans les archives informatisées. Les photocopies de leurs passeports britanniques ne laissent guère de doute sur une possible confusion avec des homonymes.

D'après un quotidien pakistanais, le Daily News, Shezhad Tanweer et Mohammad Sidique Khan ont séjourné une semaine dans un hôtel du centre de Karachi avant de gagner Lahore, dans l'est du pays, en train.

Le Pakistan est l'une des pistes que remontent les enquêteurs britanniques depuis les attentats du 7 juillet. Le quatrième membre du commando, Lindsey Germaine, était d'origine jamaïcaine.

Les services pakistanais avaient déjà révélé que Tanweer, qui se serait fait exploser dans la station de métro d'Aldgate, s'était rendu à deux reprises au Pakistan en 2003, puis entre 2004 et 2005, séjournant notamment dans les villes de Lahore et Faisalabad. Lors de son premier séjour en 2003, il aurait rencontré un membre de la Jaish-e-Mohammad (Armée de Mahomet) à Faisalabad, arrêté depuis pour un attentat commis en 2002.

D'après le Sunday Independent, Mohammad Sidique Khan aurait été identifié sur photographie par un membre présumé d'al-Qaïda détenu dans une prison américaine et poursuivi pour terrorisme. Cet homme, précise le journal, a été arrêté peu de temps après une réunion au sommet de dirigeants d'al-Qaïda à Lahore, dans l'est du Pakistan.

Accord en Chambre

FInalement, le gouvernement britannique est parvenu à un accord de principe avec l'opposition conservatrice et libérale-démocrate à propos de la nouvelle législation antiterroriste en préparation, a annoncé hier le ministre de l'Intérieur, Charles Clarke.

Il n'y a pas de désaccord majeur avec l'opposition sur le projet de texte de loi, a déclaré M. Clarke à l'issue d'une rencontre hier avec les porte-parole de l'opposition pour les affaires intérieures, David Davis (conservateur) et Mark Oaten (libéral-démocrate). «Nous allons discuter des détails de la loi entre nous en septembre», a-t-il poursuivi. Le projet sera présenté en octobre au Parlement de Westminster et entrera en vigueur en décembre, a ajouté M. Clarke.

Ces discussions ont eu lieu une semaine et demie après les attentats qui ont ensanglanté la capitale britannique, faisant 56 morts et 700 blessés.

Le gouvernement travailliste entend créer trois nouveaux délits principaux destinés à l'aider dans sa lutte antiterroriste: la formation aux produits et aux techniques, l'incitation «indirecte» au terrorisme et les «actes préparatoires» à des attentats. D'autres mesures urgentes pourraient être décidées à l'issue d'une rencontre jeudi entre le premier ministre Tony Blair et les responsables de la police. Londres veut constituer en délit le fait de «fournir ou recevoir une formation à l'utilisation de produits dangereux et à d'autres méthodes ou techniques dans un but terroriste». L'infraction serait punissable tant en Grande-Bretagne qu'à l'étranger.

Le délit d'incitation indirecte au terrorisme «s'appliquerait aux gens qui glorifieraient les attentats», expliquait ces derniers jours le secrétaire d'État à l'Intérieur, Hazel Blears, en spécifiant que des imams pourraient être visés.

Enfin, la criminalisation des «actes préparatoires au terrorisme», débattue depuis 18 mois dans le pays, comprendrait notamment l'achat de matériaux pouvant servir à fabriquer des explosifs.

Les ministres européens de l'Intérieur, réunis la semaine dernière par Charles Clarke à Bruxelles, s'étaient mis d'accord pour échanger plus d'informations sur les vols d'explosifs et pour agir contre le financement du terrorisme.

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