L’Afrique brûle moins, l’Amérique du Nord s’embrase

Duarte, Californie
Photo: Robyn Beck Agence France-Presse Duarte, Californie

En 2016, un territoire aussi grand que l’Île-du-Prince-Édouard s’envole en fumée dans la région de Fort McMurray, en Alberta. En 2019, on répertorie en Amazonie des dizaines de milliers de feux ; la communauté internationale bondit. En 2020, les flammes embrasent le sud-est d’une Australie où s’enchaînent trois années de sécheresse. Toujours en 2020, la Californie encaisse des incendies d’une ampleur inédite dans son histoire moderne ; ces feux emportent 33 vies humaines. Et cette année, la forêt boréale canadienne s’enflamme d’un océan à l’autre avant même le solstice d’été.

 

Les feux de forêt sont-ils devenus plus nombreux ces dernières années ? À question complexe, réponse complexe. Les causes des incendies en milieu naturel — qui touchent les forêts, mais aussi les prairies, les zones arbustives, les tourbières, etc. — sont multiples. Tant l’humain que le climat y jouent un rôle. La déforestation, l’évolution des méthodes agricoles et les changements climatiques exercent des influences parfois contraires.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Tout compte fait, les analyses des scientifiques démontrent que la Terre brûle moins depuis le début du XXIe siècle. Cette observation contre-intuitive, qui se heurte aux impressions laissées par les feux catastrophiques des dernières années, a été énoncée en 2017 dans Science, puis réitérée en 2022 dans une grande revue de la littérature publiée dans Reviews of Geophysics. Selon ce second exercice, cosigné par la réputée climatologue franco-québécoise Corinne Le Quéré, la superficie brûlée dans le monde a diminué de 27 % entre 2001 et 2019.

Photo: William West Agence France-Presse Melbourne, Victoria

Plusieurs variables

 

Une région du monde pèse très lourd dans cette tendance à la baisse : les savanes africaines. Depuis 20 ans, le nord de l’Afrique subsaharienne a connu une réduction de près de 40 % des surfaces brûlées annuellement, même si la météo propice aux feux est devenue plus courante. Cette diminution s’explique par le fait que, depuis le début du siècle, l’agriculture industrielle a gagné beaucoup de terrain en Afrique, aux dépens de techniques traditionnelles ayant recours au brûlage des prairies et des savanes.

L’Europe méditerranéenne a aussi connu un recul des feux de forêt depuis l’an 2000, date à partir de laquelle des données satellitaires plus précises sont disponibles. En général, on explique cette tendance par les efforts accrus voués à la suppression des incendies. Certains feux extrêmes ont tout de même eu lieu sur le Vieux Continent lors d’importantes sécheresses. Pensons aux incendies en Grèce à l’été 2018, survenus lors d’une vague de chaleur qui aurait été « impossible » dans le climat préindustriel, selon une étude.

« Les feux de forêt sont des événements qui se produisent dans des conditions extrêmes. On est habitués à penser en termes de moyennes, mais les moyennes représentent souvent mal le régime de feu en entier. Il y a énormément de variabilité », fait remarquer Sylvie Gauthier, chercheuse émérite à Ressources naturelles Canada et spécialiste des feux de forêt.

En Amazonie, on utilise couramment le feu pour nettoyer les terres déboisées afin d’y implanter des cultures. En conséquence, les surfaces brûlées annuellement vont de pair avec la déforestation. Après des sommets atteints vers le tournant du millénaire, la déforestation (et les feux qu’elle implique) a battu en retraite, avant de rebondir en 2019 et en 2020. Des sécheresses en Amazonie en 2005, 2010 et 2015 ont aussi donné lieu à d’importantes saisons incendiaires.

La propension aux incendies s’accroît de façon très marquée dans les forêts de l’ouest des États-Unis. Des analyses récentes démontrent un quintuplement de la superficie brûlée annuellement depuis les années 1970. Dans cette région du monde, les scientifiques observent un excellent accord, saison par saison, entre les feux et la météo sèche et chaude. Selon une étude, les changements climatiques y ont doublé le territoire brûlé depuis 1984. La taille totale des incendies est maintenant similaire à ce qu’on observait au début du XXe siècle, avant que l’on s’efforce d’éteindre les feux sauvages.

En Sibérie, la tendance des dernières décennies est ambiguë. Il semble y avoir une augmentation, mais l’emprise des feux varie beaucoup d’une année à l’autre en forêt boréale. Ces dernières années, des incendies importants suggèrent que les flammes sont désormais en mesure de s’attaquer à des territoires arctiques dont la végétation n’était auparavant pas assez sèche pour brûler.

Relativement peu d’études portent sur le sud-est de l’Australie, mais l’une d’elles rapporte un sursaut du nombre de mégafeux (plus d’un million d’hectares) depuis l’an 2000 par rapport au siècle dernier. Les feux de brousse de l’été 2019-2020 sont survenus juste après l’année la plus chaude jamais enregistrée dans le pays. Une étude évalue que les changements climatiques ont rehaussé de 30 % les risques de voir un tel événement se produire.

Photo: Josh Edelson Agence France-Presse Banning, Californie

Une période des feux plus longue

Et au Canada ? La superficie brûlée annuellement a augmenté « significativement » — celle-ci a plus que doublé — depuis 1959. La tendance est plus forte dans le nord des Prairies, mais pointe également vers une hausse dans le nord-ouest du Québec. En outre, les grands feux (200 hectares et plus) se sont agrandis, en moyenne. Et la saison des feux commence une semaine plus tôt au printemps, et s’achève une semaine plus tard à l’automne. Au Canada, la taille des incendies concorde principalement, d’une saison à l’autre, avec les conditions météorologiques, qui sont de plus en plus favorables aux feux.

Évidemment, l’humain a changé ses habitudes en forêt boréale canadienne depuis une soixantaine d’années. Les avions-citernes sont devenus plus nombreux ; la foresterie s’est développée. Or, ces phénomènes vont typiquement à l’encontre des feux, explique Victor Danneyrolles, professeur en écologie forestière à Université du Québec à Chicoutimi. « Plus il y a de coupes, plus on va voir des espèces feuillues repousser, et moins les paysages seront inflammables », dit-il. « L’effet du changement climatique sur la tendance qu’on observe [au Canada] est peut-être atténué par ces facteurs humains », précise-t-il.

Selon le dernier cycle de rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’emballement des feux dans certaines régions du monde est attribuable aux changements climatiques. Localement, note toutefois le GIEC, d’autres facteurs — comme la déforestation, le drainage des tourbières, l’expansion agricole et El Niño — peuvent exercer une plus grande influence. À l’échelle planétaire, le groupe d’experts anticipe un accroissement de 35 % des territoires brûlés dans un monde plus chaud de 2 °C.



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