Des avions de chasse de l’OTAN décolleront pour l’Ukraine

Les F-16 figurent parmi les «best-sellers» de l’avion militaire mondial et surclassent les avions de conception soviétique utilisés autant par les Russes que par les Ukrainiens jusqu’à présent.
Kenzo Tribouillard Agence France-Presse Les F-16 figurent parmi les «best-sellers» de l’avion militaire mondial et surclassent les avions de conception soviétique utilisés autant par les Russes que par les Ukrainiens jusqu’à présent.

Un message caché accompagnait le premier ministre ukrainien, Denys Shmyhal, lorsqu’il a posé le pied au Canada en avril dernier. Les émojis « avion » et « mains en prière » figuraient discrètement sur la carlingue de son aéroplane civil. Ottawa n’a au final fourni que de l’argent, des postes radio et des armes légères à l’armée d’Ukraine lors de cette visite officielle, mais l’insistance des dirigeants ukrainiens auprès de ses alliés a fini par payer.

Le premier ministre britannique s’est engagé cette semaine à créer une « coalition internationale » pour livrer à Kiev des avions de chasse occidentaux, nommément les F-16, des jets de combat de loin supérieurs à ceux qui guerroient présentement en Ukraine. Les Pays-Bas ont annoncé tout de go leur adhésion à cette coalition. Peu après, le président français a « ouvert la porte pour former des pilotes » ukrainiens aux équipements de l’OTAN.

Mais il y a un hic : tout ce branle-bas de combat attendait le feu vert de l’Oncle Sam. « Sur la liste [des priorités ukrainiennes], les avions modernes occidentaux sont environ huitièmes », a laissé tomber fin avril la secrétaire adjointe à la Défense des États-Unis, Celeste Wallander, interrogée par des élus.

Vendredi, la coalition a pu enfin prendre un véritable élan. Le président Biden a offert son soutien « à une initiative commune » pour de telles livraisons, selon un haut responsable de la Maison-Blanche.

On passerait d’un conflit à la Première Guerre mondiale, avec une ligne de front très resserrée où on se tape dessus à longueur de journée avec des fusils et de l’artillerie, à un conflit de type Deuxième Guerre mondiale

 

Cette soi-disant coalition internationale, aussi enthousiasmée soit-elle, ne pouvait décoller sans l’accord de Washington. Celui-ci possède tous les leviers technologiques et diplomatiques autour de ces avions.

« [Les Européens] dépendent complètement de la technologie américaine, d’une part pour la logistique des pièces », explique l’ancien pilote de chasse Jean-Christophe Noël, aujourd’hui chercheur à Institut français des relations internationales. « D’autre part, ils font partie de l’OTAN. Il y a une solidarité. Ils savent qu’après les F-16, il y a les F-35 [les avions de nouvelle génération qu’achètent les Européens]. Si ça déplaît aux Américains, ces derniers peuvent leur dire : “Vous transférez ces avions à des gens pour lesquels on vous a dit de ne pas les donner, si vous nous refaites le coup pour les F-35, on peut oublier ça.” »

Cette dépendance n’est pas sans irriter les grandes puissances européennes, qui y voient une perte de « souveraineté » sur leur propre armée, ajoute M. Noël.

Donner des ailes à la contre-offensive ukrainienne

L’arrivée d’avions de chasse occidentaux changera la donne dans ce conflit gelé depuis l’automne dernier. Les F-16 figurent parmi les « best-sellers » de l’avion militaire mondial et surclassent les avions de conception soviétique utilisés autant par les Russes que par les Ukrainiens jusqu’à présent.

« Cette armée de l’air modernisée pourrait tout d’abord briser l’impasse dans laquelle on est. On passerait d’un conflit à la Première Guerre mondiale, avec une ligne de front très resserrée où on se tape dessus à longueur de journée avec des fusils et de l’artillerie, à un conflit de type Deuxième Guerre mondiale, où l’acquisition d’une supériorité aérienne permettrait de manoeuvrer plus facilement au sol », illustre Jean-Christophe Noël.

Un conseiller du ministère de la Défense canadienne, qui a accepté de discuter du sujet avec Le Devoir sous le couvert de l’anonymat parce qu’il n’y est pas autorisé, estime que les F-16 restent cloués au sol pour des raisons politiques et financières plus que techniques.

« Les F-16 sont un grand signe de la puissance américaine depuis des décennies. Si un F-16 est abattu par les Russes, il y aura probablement beaucoup plus de reportages négatifs à ce sujet que si une poignée de [chars] Leopard sont mis hors service. »

Et surtout, qui assumera le coût vertigineux de l’entretien des avions, de la formation des pilotes et de tous ces frais afférents qui risquent de s’envoler ? « Les États-Unis “pourraient” en théorie couvrir tous les coûts. Mais, ils préféreraient que d’autres pays participent également. »

Cette question reste en suspens.

 

Interrogé par Le Devoir sur l’appui ou non à la coalition internationale un peu plus tôt cette semaine, le cabinet de la ministre canadienne de la Défense n’a répondu ni par la positive ni par la négative. « Nous continuerons à identifier une variété d’options d’assistance militaire pour aider l’Ukraine à combattre et à gagner », a-t-on répondu dans un bref courriel. Le Canada ne possède de toute façon aucun F-16, mais bien des CF-18 en fin de vie.

Seuls une poignée de pays européens possèdent en réalité les F-16 demandés par l’Ukraine, soit la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark, selon les analystes militaires interrogés. Et seuls ces deux derniers jouissent d’une flotte aérienne suffisamment garnie pour se départir de dizaines d’engins.

Bien plus que des avions et des pilotes

 

Ce refus préalable des Américains d’augmenter la lourdeur des armes livrées se répète à plusieurs reprises depuis le début de guerre. Les armes à longue portée, les défenses antiaériennes et puis récemment les chars d’assaut restaient tous hors de question jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus.

Or, la bouchée est cette fois bien plus grosse à digérer pour une armée comme celle de l’Ukraine.

Tout un attirail de systèmes ultraspécialisés entoure les engins de l’Ouest, contrairement aux avions de conception soviétique, qui offrent une grande autonomie aux pilotes. Former ces derniers ne suffit donc pas pour déployer ces avions de pointe en Ukraine, détaille Éric Ouellet, professeur au Collège militaire royal. « La guerre moderne, c’est une guerre en réseau. Leurs radars sont branchés sur des radars terrestres. Ils existent avec des avions radars, et tout ça travaille ensemble pour trouver les cibles et protéger les avions. »

La logistique des pièces de rechange, les mécaniciens, les quartiers généraux et les pistes d’atterrissage entretenues (et tenues secrètes) qu’il faut déployer s’imposent tous comme des freins à l’intégration de F-16 dans l’armée ukrainienne.

Convertir des pilotes familiers avec les avions soviétiques aux manoeuvres de l’OTAN prend au moins six mois, estime Jean-Christophe Noël, pour qui toute décision finale doit être prise à l’unanimité par les Occidentaux. « Le but de l’Europe et de l’Occident, c’est d’apparaître unis face aux Russes. […] Si on y va, c’est tous ensemble. »

Les Ukrainiens, quoi qu’il en soit, devront sans doute se passer de ces avions modernes pour leur contre-offensive du printemps, attendue depuis des mois.

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