Des mobilisations à l'étranger qui résonnent
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme
La pandémie a transformé le visage du monde du travail partout sur le globe, façonnant au passage les défis au sein des mouvements syndicaux. Après des mois de dur labeur dans un contexte économique difficile, les travailleuses et les travailleurs semblent prêts à lutter pour réclamer de meilleures conditions de travail et un salaire plus élevé.
« La pandémie a imposé des restrictions importantes tant pour les comportements individuels que pour les capacités de mobilisation collective, constate Thomas Collombat, professeur agrégé et directeur du Département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Durant cette période, les sociétés ont, pour la plupart, décidé de se serrer les coudes pour traverser cette épreuve. Cela au prix d’une certaine forme de modération des mobilisations due aux contraintes externes, qui étaient très fortes. Maintenant que cette chape de plomb semble se lever, certaines organisations reprennent du poil de la bête et réclament leur dû. »
Le chercheur du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) observe que les problèmes créés par la COVID et par la guerre en Ukraine, combinés à la situation économique actuelle d’inflation et aux salaires qui ont très peu augmenté dans les quarante dernières années, amènent une forme de « ras-le-bol » qui fait écho dans plusieurs pays du monde. « Historiquement, les efforts consentis pendant les périodes de crise par les travailleuses et par les travailleurs demandent à être récompensés, reconnus et compensés. Notamment par des améliorations salariales », précise-t-il.
C’est le cas ici et un peu partout dans le monde, plusieurs pays retrouvant une certaine forme de combativité syndicale. La France en est un bon exemple, au moment où le conflit fait rage autour de la réforme de la retraite. Si on considère que plus de 90 % des salariés sont couverts par une convention collective, il n’y a aucun avantage direct à être syndiqué au sein du pays dirigé par Emmanuel Macron. Faire partie ou non d’un syndicat s’avère donc un geste militant. C’est la raison pour laquelle le taux de syndicalisation de la France avoisine les 10 %, soit l’un des plus bas d’Europe. Malgré cela, le pays détient une grande capacité de mobilisation collective.
L’exemple de la France permet de constater qu’un taux de syndicalisation bas ne veut pas nécessairement dire que la capacité d’action syndicale sera faible. « Il faut faire attention avec les comparaisons, car les cadres juridiques font en sorte que la réalité syndicale peut se manifester de manière différente d’un pays à l’autre », précise le professeur de science politique. Il compare d’ailleurs le nombre de membres des organisations syndicales de la France à celui des partis politiques, qui doit osciller autour de 1 %. Or, malgré ce faible taux, c’est une proportion beaucoup plus large de la population qui écoute les partis politiques et qui vote. Il en va ainsi pour la capacité syndicale de la France.
À cet égard, les différentes grèves et manifestations tenues avant et après la promulgation de la loi visant le report de l’âge de la retraite à 64 ans démontrent la capacité de mobilisation des travailleuses et des travailleurs français. Leurs syndicats ont d’ailleurs qualifié certaines des mobilisations récentes d’historiques puisqu’elles ont, à quelques reprises, rallié des millions de Français. La lutte semble loin d’être terminée !
Une main-d’oeuvre précaire syndiquée
La syndicalisation des employés d’un entrepôt d’Amazon à New York, il y a un an, a eu un écho partout dans le monde. Même chose pour les demandes des chauffeurs d’Uber, qui font partie d’une économie rémunérée à la tâche bien connue sous le nom de la gig economy. Bien que les chauffeurs de l’entreprise ne soient pas reconnus comme des employés à part entière aux États-Unis, ce qui écarte la possibilité pour eux d’obtenir d’importants avantages sociaux, au Royaume-Uni, ils bénéficient du statut de travailleur salarié depuis 2021 et touchent certains avantages, dont le versement du salaire minimum ainsi que la reconnaissance de congés payés.
Thomas Collombat voit ces tentatives de syndicalisation et d’organisation de négociation d’un bon oeil. « Si les syndicats réussissent à percer dans les domaines où l’on emploie une main-d’oeuvre très souvent précarisée et immigrante, qui connaît généralement très peu ses droits et qui est vulnérable, ça peut créer un changement beaucoup plus large, affirme-t-il. D’ailleurs, jusqu’à présent, dans tous les pays du monde, y compris au Québec, c’est le secteur public qui constitue la base la plus solide du syndicalisme. » L’idée, poussée à son paroxysme, serait donc d’ouvrir les voies du syndicalisme à tous les domaines pour que les conditions de travail de tous s’améliorent : qu’elles s’étendent à l’ensemble des salariés.
Un renouveau syndical
Au cours des dernières décennies, une modération du mouvement syndical a été constatée dans certains pays où le mouvement avait perdu son dynamisme. Cet essoufflement semble chose du passé en Grande-Bretagne, où les chauffeurs d’Uber ne sont pas les seuls à se mobiliser. « Il y a des vagues de grève très importantes dans le secteur privé comme dans le secteur public, alors qu’on sort de décennies dominées, en grande partie, par le Parti conservateur, sous lequel les lois du travail étaient devenues de plus en plus nocives pour le syndicalisme », remarque Thomas Collombat. L’objectif des mobilisations actuelles concerne principalement les conditions salariales.
En se réappropriant le droit de grève, le Chili fait également partie des pays qui vivent un renouveau. Lourdement affectés par la dictature militaire sous Pinochet, qui a torturé et assassiné des centaines de dirigeants syndicaux, les travailleuses et les travailleurs chiliens aspirent maintenant à plus de justice sociale. « On sait qu’il y a eu des mouvements sociaux très importants, notamment en 2019 avec la création d’une Constitution qui n’a finalement pas abouti. Avec le nouveau gouvernement progressiste, on sent un renouveau, y compris dans l’action syndicale », remarque Thomas Collombat, qui est membre de l’Équipe de recherche sur l’inclusion et la gouvernance en Amérique latine.
Il y a également un regain du côté des États-Unis, où le taux de syndicalisation chutait constamment. Toutefois, le vent semble avoir tourné. Thomas Collombat parle d’ailleurs de « mouvements très innovants ». « À Chicago, les enseignants ont mené des luttes et des grèves importantes dans les dernières années et ils ont obtenu des victoires. Notre revendication du salaire minimum à 15 $/h — maintenant réclamé à 18 $/h — vient quant à elle de la mobilisation collective des États-Unis »
Bien qu’on en entende rarement parler, l’Uruguay est quant à lui un pays de l’Amérique du Sud qui a toujours eu un mouvement syndical très puissant et très uni, ce qui lui a permis d’obtenir des avancées sociales et politiques importantes au cours de l’histoire.
Par contre, encore aujourd’hui, l’action syndicale peut être très dangereuse au sein de plusieurs pays industrialisés. C’est le cas du Guatemala, de la Colombie et du Myanmar.
Le modèle néocorporatiste
La Suède fait partie des pays où le taux de syndicalisation est très élevé. Cela est dû à l’approche néocorporatiste que favorise le pays. L’État, le patronat et le syndicat se concertent donc pour négocier les paramètres liés à la gestion des affaires publiques. Une très grande place est ainsi accordée aux syndicats dans la cogestion de systèmes sociaux comme la protection sociale et le régime de retraite. Le syndicat a également sa place à la table, où sont discutées les grandes orientations économiques du pays.
« Il y a d’autres pays, comme la Belgique, où l’assurance-emploi est intégralement gérée par les organisations syndicales. Une personne sans emploi doit donc s’affilier à l’une des organisations syndicales, qui deviendra la distributrice de son régime d’assurance-emploi. D’autres pays ont un système semblable, dont l’Allemagne où il y a également une recrudescence des conflits », explique Thomas Collombat.
La concertation étant une force du modèle néocorporatiste, la contrepartie réside dans les actions collectives modérées des syndicats qui privilégient la consultation et la négociation plutôt que l’affrontement.
Cette collaboration semble produire de bons résultats au sein de la population puisque des études indiquent qu’un taux de syndicalisation plus élevé dans un pays est associé à un climat de sécurité psychosociale plus fort, lequel, à son tour, est associé à une meilleure santé perçue chez les travailleurs. « Des facteurs psychosociaux comme une charge de travail émotionnelle, un manque d’autonomie, un manque de soutien des superviseurs et des collègues ainsi que l’insécurité de l’emploi sont associés à des risques de développer des difficultés de santé mentale dont l’épuisement, le burn-out et, dans certains cas, le stress post-traumatique », reconnaît Simon Coulombe, professeur agrégé au Département des relations industrielles de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail. Favoriser un climat de sécurité psychosociale est donc un facteur de protection pour toute société qui choisit de le placer au coeur de ses priorités.
Une position stratégique sans la force du nombre
Individuellement, les travailleurs et les travailleuses ont généralement très peu de rapport de force alors que, collectivement, ils en ont plus. Il y a tout de même des exceptions. C’est le cas des industries particulièrement centrales au système économique, dont les travailleurs des grands ports industriels, soit les débardeurs. « On sait que, dans une économie mondialisée, si l’on bloque les ports, on bloque une bonne partie de l’économie. Les débardeurs ont donc une position stratégique à l’intérieur du système économique qui leur donne un poids et une capacité de nuisance disproportionnés par rapport à leur nombre. Cela leur confère donc un pouvoir important », explique Thomas Collombat.
L’avenir des jeunes au sein des syndicats
Si le bruit court selon lequel les jeunes seraient moins impliqués ou moins mobilisés au sein des organisations syndicales, les études montrent pourtant qu’ils le sont tout autant que les générations précédentes. Ils s’impliquent cependant d’une façon différente.
« Certains s’impliquent dans le mouvement syndical quand ils y voient un acteur plus large qu’un acteur des relations du travail. Ainsi, si le mouvement syndical s’empare de questions écologiques, par exemple, et devient un endroit où il est possible de militer pour ces dernières en plus de militer pour une convention collective, il risque d’atteindre plus de jeunes. Le défi est donc d’adapter la pratique syndicale aux nouveaux modes d’actions collectives de ces générations-là, mais aussi de convaincre les autres générations que leurs intérêts comme travailleurs sont encore pertinents et que l’action collective a un impact sur leur condition de travail », soutient Thomas Collombat.
Les forces et les faiblesses du modèle québécois
Selon le politicologue affilié à l’UQO, le pluralisme syndical du Québec est une force. « On est probablement la seule région en Amérique du Nord à avoir une pluralité de centrales syndicales. Ça permet, entre autres, d’avoir une pluralité de modes d’organisation et d’orientations politiques. Puis, au-delà des différences qui peuvent exister entre les différentes organisations, il y a certains moments où tous font front commun pour viser un même objectif », souligne-t-il, ajoutant que cette unité s’est manifestée durant la campagne pour le salaire minimum.
Par contre, il reste encore beaucoup à faire dans le secteur privé, où le taux de syndicalisation est plus faible. Thomas Collombat croit aussi que des affiliations pourraient voir le jour afin d’accueillir les chômeurs ainsi que la main-d’oeuvre qui n’appartient à aucun groupe syndiqué. « Les chômeurs sont des salariés comme les autres et ils font partie de la population active. La différence, c’est qu’ils ne trouvent pas d’emploi. Il faut garder à l’esprit que l’assurance-emploi au Canada est l’un des systèmes d’assurance chômage les plus difficiles d’accès dans le monde industrialisé. Quand on est salarié, on paie de l’assurance-emploi, donc quand on est sans emploi, on devrait en récupérer les bénéfices. »
Bref, comme le soutient Thomas Collombat, le mouvement syndical est par nature un mouvement réactif, qui a été créé en raison des inégalités causées par le système capitaliste. Tout au long de son histoire, il a dû s’adapter et évoluer dans ses pratiques, dans ses structures et dans ses discours pour représenter au mieux les intérêts de la main-d’oeuvre. Le besoin de se réorganiser et de s’adapter est donc intrinsèque au mouvement syndical. À l’avenir, les organisations syndicales devront aussi tenir compte des défis contemporains et actuels, comme le télétravail et la surcharge qui peut émaner de cette pratique. Le contexte climatique et le sens qu’attribuent au travail les nouvelles générations amèneront assurément de nouvelles luttes.
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.