Armes nucléaires russes en Biélorussie, nouveau bluff de Poutine?

Vladimir Poutine brandit une nouvelle fois la menace de l’arme atomique. Le président russe a annoncé samedi vouloir stationner des missiles nucléaires « tactiques » dans un pays voisin, la Biélorussie. Quelques jours plus tôt, les Britanniques confirmaient la livraison de munitions « à uranium appauvri » en Ukraine. Que craindre de ce dangereux duel d’armes radioactives ?
« En principe, on fait la même chose que ce qu’ils font. [Les États-Unis] déploient depuis longtemps leurs armes nucléaires tactiques sur le territoire de leurs alliés et y entraînent des gens pour les tirer. » Par ces mots prononcés à la télévision d’État, le président russe, Vladimir Poutine, a brandi une nouvelle fois la menace d’une guerre nucléaire. Son armée utilisera un pays voisin, la Biélorussie, pour y stationner une partie de ses armes de destruction massive. Elle commencera par « former les équipages » à partir du 3 avril et estime pouvoir « terminer la construction d’un entrepôt spécial pour les armes nucléaires tactiques sur le territoire de la Biélorussie » le 1er juillet. Dix avions auraient déjà été équipés pour être prêts à utiliser ce genre d’armement, selon ses dires.
Derrière cette déclaration martiale du président russe, plusieurs voient un coup de bluff, à commencer par les Américains. « Les États-Unis n’ont vu aucune indication que la Russie ait encore transféré des armes nucléaires en Biélorussie, a rejeté dimanche le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby. Nous n’avons vu aucune indication que [Vladimir Poutine] ait tenu sa promesse ou déplacé des armes nucléaires. »
« Nous n’avons constaté aucun changement dans le dispositif nucléaire de la Russie qui nous amènerait à adapter le nôtre », a renchéri dimanche la porte-parole de l’OTAN, Oana Lungescu.
Plus ils menacent d’utiliser l’arme nucléaire pour après ne pas le faire, moins ils sont convaincants.
« Ce n’est pas nécessairement un bluff, c’est juste que ça ne change pas grand-chose », observe pour Le Devoir Émile Lambert-Deslandes, coordonnateur du Réseau d’analyse stratégique, un réseau partenaire du ministère de la Défense du Canada. Des missiles nucléaires russes sont déjà stationnés à 50 kilomètres de la frontière polonaise et de l’OTAN. Un site de lancement a été repéré dans l’enclave russe de Kaliningrad par des scientifiques américains il y a quelques années.
« C’est dangereux, par contre », souligne M. Lambert-Deslandes. « Dans un sens, oui, plus ils menacent d’utiliser l’arme nucléaire pour après ne pas le faire, moins ils sont convaincants. Mais ils ont encore l’arme nucléaire et la capacité de l’utiliser. C’est un développement qui n’est pas rassurant, parce que ça démontre encore que la Russie est prête à l’utiliser, l’arme nucléaire, pour faire de la pression, et l’utiliser de manière agressive. »
Une arme politique
L’Ukraine n’a pas tardé à réagir à cette menace en réclamant d’urgence une « réunion extraordinaire » des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. « L’Ukraine attend des actions efficaces, pour contrer le chantage nucléaire du Kremlin, de la part du Royaume-Uni, de la Chine, des États-Unis et de la France », a clamé le ministère ukrainien des Affaires étrangères dans un communiqué.
Cet appel risque fort de rester lettre morte. La Russie doit prendre la présidence de cette haute instance à partir d’avril pour un mois.
Le danger d’une escalade atomique demeure faible, surtout après la visite récente du président chinois à Moscou. Xi Jinping a refroidi toute ardeur russe d’une guerre nucléaire chaude, à en croire le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell. Le président Xi aurait dit « très, très clairement » à son homologue russe qu’il ne devait pas déployer de telles armes, a dévoilé la semaine dernière le haut diplomate aux journalistes.
En outre, le « plan de paix » de Pékin pour l’Ukraine stipule que « la prolifération nucléaire doit être empêchée et la crise nucléaire évitée ». Le communiqué commun de la Russie et de la Chine après leur rencontre de la semaine dernière précise que « tous les États dotés d’armes nucléaires devraient […] retirer les armes nucléaires déployées à l’étranger ».
« Le fait que la Russie décide d’aller de l’avant avec ce projet-là avec la Biélorussie… Ça devient gênant pour la Chine », note Émile Lambert-Deslandes.
Un coup d’oeil au calendrier peut aussi expliquer cette menace de Poutine. Son intention de placer ses pions en Biélorussie a été communiquée le 25 mars, jour férié de « Journée de la liberté », censé commémorer la naissance, en 1918, de la République populaire de Biélorussie.
Uranium appauvri
Des armes à l’uranium entreront tout de même dans le théâtre de guerre ukrainien sous peu, mais du côté jaune et bleu. Le Royaume-Uni a confirmé il y a quelques jours que la livraison de leur cadeau de 14 tanks Challenger 2 serait suivie d’un arsenal « comprenant des obus perforants contenant de l’uranium appauvri ».
Cette matière radioactive n’explose pas. Elle ressemble à un métal très dur et constitue un déchet de la fabrication de réacteurs nucléaires. Ces derniers fonctionnent avec de l’uranium « enrichi » et, pour produire ce type d’uranium, les ingénieurs transfèrent de la radioactivité à partir d’autres fragments d’uranium. Cet uranium dit « appauvri » est ainsi vidé d’environ 40 % de sa radioactivité.
Le danger radioactif de ces munitions est donc faible, confirme la Commission canadienne de sûreté nucléaire. « Le principal risque lié à l’uranium appauvri n’est pas sa radioactivité, mais sa toxicité chimique. L’ingestion ou l’inhalation de grandes quantités d’uranium appauvri peut affecter les reins. Si de petites particules d’uranium appauvri étaient inhalées en grandes quantités pendant une longue période, le principal problème de santé serait un risque accru de cancer du poumon », indiquent leurs experts.
L’avantage de ces munitions réside dans la dureté de l’uranium qu’elles contiennent et dans leur capacité à prendre feu lorsqu’elles sont chauffées. Ces atouts en font une arme de pointe pour perforer le blindage de chars d’assaut. L’Agence internationale de l’énergie atomique reconnaît même sur son site Internet que ce type de munitions « convient très bien aux utilisations militaires ».
Avec l’Agence France-Presse