Pékin défie le leadership américain

Le président chinois, Xi Jinping, et le président russe, Vladimir Poutine, discutent après avoir mangé ensemble, mardi soir, au Kremlin.
Grigory Sysoyev Sputnik Associated Press Le président chinois, Xi Jinping, et le président russe, Vladimir Poutine, discutent après avoir mangé ensemble, mardi soir, au Kremlin.

Du Moyen-Orient à l’Asie et à l’Ukraine, la Chine avance ses pions et se pose de plus en plus en contrepoids des États-Unis, défiant Washington pour le leadership mondial.

Mais peu d’experts s’attendent à un bouleversement à court terme et se disent même sceptiques sur la capacité de Pékin à établir un nouvel ordre mondial.

L’encre était encore fraîche sur l’accord inédit conclu le 10 mars à Pékin entre les puissances rivales Iran chiite et Arabie saoudite sunnite, et voilà que la diplomatie chinoise se met à jouer les médiateurs dans la guerre en Ukraine.

La Chine n’a pas l’intention de fournir des garanties de sécurité à l’accord

 

La visite cette semaine à Moscou du président chinois, Xi Jinping, au cours de laquelle Russes et Chinois ont salué l’entrée dans une « nouvelle ère » de leur « relation spéciale », témoigne de l’offensive de Pékin visant à contrer la superpuissance américaine.

Dans une déclaration commune, le dirigeant chinois et le président russe ont d’ailleurs vivement attaqué l’Occident, accusant les États-Unis de « saper » la sécurité internationale pour conserver leur « avantage militaire », et exprimé leur « préoccupation » face à la présence croissante de l’OTAN en Asie.

Pas « dupes »

À Washington, des responsables américains affichent clairement leur scepticisme quant aux propositions de paix chinoises pour l’Ukraine, qui permettraient, selon eux, aux forces russes de se consolider après avoir subi de nombreux revers sur le terrain face à la défense acharnée des Ukrainiens.

Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a appelé lundi à ce que « le monde ne [soit] pas dupe face à toute décision tactique de la Russie, soutenue par la Chine ou tout autre pays, de geler le conflit selon ses propres conditions ».

M. Blinken n’a pas manqué aussi de souligner que M. Xi s’est rendu en Russie trois jours à peine après le lancement du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale visant le président russe, ce qui, selon lui, laisse entendre que la Chine n’éprouve pas le besoin « de le tenir pour responsable des atrocités infligées à l’Ukraine ».

Mais d’aucuns soulignent qu’il ne s’agit pas tant pour le président Xi de mettre fin à la guerre en Ukraine que de relayer un message.

Il « veut être vu et pris au sérieux comme un artisan de la paix », relève Robert Daly, qui dirige le programme Chine au Wilson Center, un centre de réflexion basé à Washington.

« C’est cela qui l’intéresse, plutôt que de réellement prendre des mesures pour obtenir la paix en Ukraine. Il s’agit surtout ici de s’afficher », dit-il.

Reste que les États-Unis sont sur le qui-vive et assurent « surveiller attentivement » les différentes avancées de la Chine sur le terrain diplomatique, dans l’attente d’un entretien téléphonique que le président Joe Biden a promis de solliciter auprès de son homologue chinois.

Les États-Unis s’inquiètent notamment que la Chine puisse fournir des armes à la Russie, ce qui serait une ligne rouge pour Washington. Ils se sont cependant refusés jusqu’à présent à dévoiler les éléments étayant leurs craintes.

« Alternative »

Les relations entre les États-Unis et la Chine, qui se livrent une compétition féroce, de l’Amérique latine à l’Afrique, sont émaillées de tensions : Taïwan, la Corée du Nord, ou encore l’incident du ballon chinois au-dessus des États-Unis, que l’armée américaine s’est finalement résolue à abattre début février.

Les États-Unis ont longtemps appelé Pékin à endosser ses responsabilités dans le monde, tout en désignant le géant asiatique comme une menace pour la sécurité mondiale.

Après l’annonce du rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, les États-Unis ont fait bonne figure, le secrétaire d’État américain estimant que « tout ce qui peut contribuer à réduire les tensions […] est une bonne chose ».

Des responsables américains se sont cependant efforcés de minimiser le rôle joué par la Chine, faisant valoir que Pékin était encore loin de damer le pion à Washington dans un Moyen-Orient qui reste largement sous la protection du parapluie sécuritaire américain.

Pour James Ryan, du Foreign Policy Research Institute à Philadelphie, « l’entrée de la Chine dans le jeu est purement économique […]. La Chine n’a pas l’intention de fournir des garanties de sécurité à l’accord ». Pékin en importe quantité de pétrole.

Yun Sun, chercheuse au Stimson Center de Washington, relève, elle, que l’accord irano-saoudien a « rendu pas mal de gens mal à l’aise aux États-Unis ».

« Les Chinois étaient juste là au bon moment et au bon endroit avec les bonnes relations », dit-elle, alors que les États-Unis n’entretiennent plus de relations diplomatiques avec Téhéran.

« Ils ont saisi l’occasion de se poser en médiateur. Mais, en fait, ils ne seront pas médiateurs. Ils n’ont rien à offrir. »

« Si la question est de savoir si les Chinois sont à même d’offrir une “alternative” à l’ordre mondial actuel, je n’y crois pas », ajoute l’experte.

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