Est-il possible de bouter la Russie hors du Conseil de sécurité?

Vasily Nebenzya, représentant permanent de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU
John Minchillo Associated Press Vasily Nebenzya, représentant permanent de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU

La Russie peut-elle continuer à siéger au sein du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) et à prétendre être, dans cette enceinte, le défenseur de la paix et de la coopération internationale, ainsi que le « juge » des affaires géopolitiques du monde ? Tout en continuant sa guerre d’invasion en Ukraine et son pilonnage des villes et villages de l’ex-république soviétique ?

Certainement pas, estime le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, qui, depuis quelques jours, appelle à rien de moins qu’au retrait du siège permanent détenu par la Russie au sein du Conseil de sécurité, et ce, pour rétablir la crédibilité de l’ONU, selon lui.

Une idée qui résonne de plus en plus dans les cercles de réflexion sur les institutions internationales, mais dont la mise en application expose finalement ses promoteurs à un mur difficilement surmontable.

« Il est légalement possible de remettre en question le siège permanent de la Russie au sein du Conseil de sécurité, sur la base des articles 108 et 109 de la Charte des Nations unies, résume en entrevue au Devoir Lorenzo Gasbarri, spécialiste des organisations internationales, auteur de plusieurs essais sur le droit international et professeur à la Scuola Superiore Sant’Anna, joint à Pise, en Italie. Or, pour modifier la composition du Conseil, il faudrait un vote aux deux tiers des pays composant l’Assemblée générale de l’ONU. Tous les membres permanents du Conseil de sécurité [dont la Russie fait partie] vont devoir aussi accepter ce changement. Et il est peu probable que Moscou vote pour un amendement limitant sa participation au Conseil de sécurité. »

N’empêche, dans une lettre ouverte publiée mercredi par le quotidien américain The Hill, le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kuleba, estime que la Russie n’a plus la légitimité qu’il faut pour se maintenir au sein de ce Conseil de sécurité, où elle a « transformé le siège d’un membre permanent en trône de l’impunité », plus d’un an après le déclenchement de sa guerre d’invasion contre l’Ukraine, écrit-il. Il réclame que Moscou perde « ce siège dans cette honorable chambre ».

« Aujourd’hui, la Russie n’est ni un juge ni une solution à aucun des problèmes du monde, ajoute le politicien. [Elle] s’est placée au-dessus et au-delà des règles [fondatrices de l’organisation internationale] il y a longtemps, en attaquant la Géorgie en 2008, en menaçant la Moldavie, en annexant illégalement la Crimée ukrainienne en 2014, en se mêlant de la politique intérieure américaine, en militarisant l’énergie et l’information, en inculquant à sa propre population une idéologie militariste et impérialiste, en utilisant systématiquement des drogues illicites dans les sports internationaux, en envoyant ses mercenaires wagnériens déstabiliser et exploiter l’Afrique. »

En 1991, la Russie a réclamé ce siège et n’importe quel membre a eu la possibilité de s’y opposer, mais cela ne s’est pas produit

 

Il ajoute : « Au cours de l’année écoulée, la Russie a envahi un pays voisin, a tenté d’annexer son territoire, bombardé systématiquement des zones résidentielles, détruit des villes et des villages entiers, a violé, pillé, commis un génocide et mis en oeuvre probablement la plus grande campagne de transfert forcé d’enfants de l’histoire moderne. La Russie n’a pas seulement violé la paix, elle l’a mise en lambeaux. »

Des principes bafoués

Dans sa lettre, le ministre des Affaires étrangères ukrainien rappelle qu’en 1945, la création de l’ONU visait à poser sur un monde en ruine un nouveau cadre international afin qu’à l’avenir, le droit international prime la loi du plus fort. Sa Charte donne le ton dès les premiers mots de son préambule en posant l’organisation, suite logique de la Société des Nations (SDN), issue quant à elle du Traité de Versailles en 1919, comme un rempart « au fléau de la guerre » pour « les générations futures ».

Dans cette perspective, les nations du monde ont ainsi confié aux cinq pays les plus puissants de l’époque, les États-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni, la France et la Chine, la mission de maintenir la paix et la sécurité internationales au sein d’un Conseil de sécurité. Le siège de l’URSS a été récupéré par la Russie après la dissolution de cette union, en 1991.

Ce transfert est toutefois qualifié d’illégal par Dmytro Kuleba, qui parle d’une « usurpation » justifiant, selon lui, que Moscou perde désormais son influence dans cette instance, tout comme son droit de veto sur les résolutions qui y sont débattues.

« Le simple changement de la plaque signalétique soviétique par la plaque russe a été la plus grande fraude diplomatique du XXe siècle », écrit-il. À tort, toutefois.

« En 1991, la Russie a réclamé ce siège et n’importe quel membre a eu la possibilité de s’y opposer, mais cela ne s’est pas produit », dit Lorenzo Gasbarri.

Pis, l’Ukraine elle-même a soutenu la présence de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU en signant plusieurs accords à Alma Ata, au Kazakhstan, établissant la Communauté des États indépendants avec les anciennes républiques soviétiques. Parmi les dispositions, les ex-républiques acceptaient de soutenir le maintien par la Russie en remplacement de l’Union des républiques socialistes soviétiques aux Nations Unies, « y compris en tant que membre permanent du Conseil de sécurité et d’autres organisations internationales », précise M. Gasbarri.

En février, l’ONU a adopté une nouvelle résolution non contraignante appelant à défendre les principes de la Charte des Nations unies pour une « paix globale, juste et durable en Ukraine ». Un geste symbolique qui n’a eu aucun impact sur le conflit en cours.

Le Conseil de sécurité reste, lui, paralysé par la Russie, qui met systématiquement son veto à toute résolution du Conseil condamnant sa guerre d’invasion lancée contre l’Ukraine.

C’est ce que Moscou a fait le 25 février 2022 sur une résolution « déplorant l’agression russe », et le 30 septembre sur celle condamnant l’annexion de quatre régions ukrainiennes.

Des vetos mis par un « criminel qui occupe le siège d’un juge », écrit Dmytro Kuleba, et dont la présence au Conseil, tant qu’elle persistera, va continuer à « jeter le doute sur la légitimité de l’ensemble du système des Nations unies », conclut-il.

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