Le grand jour tourne au vinaigre pour le Qatar

Les exploits des footballeurs ne devraient pas suffire à éteindre les polémiques sur tous les sujets non sportifs qui embrasent ce Mondial depuis des mois, voire des années.
Hassan Ammar Associated Press Les exploits des footballeurs ne devraient pas suffire à éteindre les polémiques sur tous les sujets non sportifs qui embrasent ce Mondial depuis des mois, voire des années.

Quatre ans après le sacre de la France, le soccer investit le Qatar pour sacrer son nouveau roi lors du premier Mondial organisé dans le monde arabe, traversé par les polémiques sur les droits de la personne, l’impact climatique ou les discriminations.

Dimanche pour le coup d’envoi de ce mois de soccer, le petit émirat gazier avait sans doute rêvé meilleur scénario. Devant les 60 000 spectateurs du stade Al Bayt, à 50 kilomètres au nord de Doha, les Qataris ont été facilement dominés par l’Équateur (2-0).

Moins de deux heures avant cette rencontre déséquilibrée et marquée par le doublé de l’attaquant sud-américain Enner Valencia, l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani était présent pour la cérémonie d’ouverture.

« Qu’il est beau pour les gens de mettre de côté ce qui les sépare pour préserver leur diversité et ce qui les unit en même temps », a déclaré l’émir tout sourire.

Plusieurs chefs d’État et de gouvernement étaient présents, au premier rang desquels le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, le roi de Jordanie, ou encore le président palestinien, Mahmoud ­Abbas, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ainsi que le président turc, Recep Tayyip Erdogan.

La France était représentée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le président Emmanuel Macron ayant annoncé sa présence pour la demi-finale ou la finale uniquement en cas de qualification des Bleus.

Toute la journée, de la corniche de Doha jusqu’à la ville d’Al Khor, où a été joué le match, des dizaines de milliers de supporters, qataris et équatoriens, mais aussi mexicains coiffés de leurs traditionnels sombreros, ou argentins, ont animé le pays-hôte de leurs couleurs et chansons.

En centre-ville, la zone des partisans, qui va vibrer pendant les 64 matchs, a dû fermer ses portes pour ne plus laisser entrer les supporters, la capacité de 40 000 personnes étant atteinte.

Benzema pas remplacé

Depuis 12 ans, le Qatar s’est préparé pour être capable d’accueillir 32 sélections et des centaines de milliers de partisans qui vont débarquer dans cet émirat grand comme Chypre ou la grande région parisienne.

Lors de ce tournoi joué dans huit stades — dont sept sont sortis du désert pour l’occasion —, les habituels géants du ballon rond devraient encore se disputer le trophée, jusqu’à la finale du 18 décembre : Brésil, Argentine, France ou encore Angleterre, Allemagne et Espagne.

La France peut rêver d’imiter l’Italie (1934 et 1938) et le Brésil de Pelé (1958 et 1962), seuls pays à avoir conservé leur titre.

Ce sera toutefois sans le meilleur joueur du monde : tout frais Ballon d’Or, Karim Benzema a déclaré forfait samedi soir, blessé à une cuisse, laissant des Bleus déjà orphelins de Paul Pogba et de N’Golo Kanté. Le Madrilène ne sera pas remplacé dans le groupe.

Les Sud-Américains en profiteront-ils ? Depuis vingt ans et la victoire du Brésil (2002), les Européens se partagent les titres (Italie 2006, Espagne 2010, Allemagne 2014 et France 2018).

Star argentine qui conduit une équipe invaincue depuis 36 matchs, Lionel Messi pense toutefois « que le Brésil, la France et l’Angleterre sont un peu au-dessus ».

En dehors de ce premier cercle, une victoire finale dans le superbe stade doré de Lusail, au nord de Doha, relèverait de l’exploit. Mais la Croatie, finaliste il y a quatre ans, reste un outsider. On peut aussi citer la Serbie, le Portugal de Cristiano Ronaldo (37 ans), l’Uruguay des vétérans Luis Suarez et Edinson Cavani (35 ans), voire le Sénégal, malgré l’absence de Sadio Mané.

D’autant que la donne pourrait changer, car, pour la première fois, le Mondial ne se joue pas lors de l’été boréal, afin d’éviter les chaleurs intenables (autour de 50°). La FIFA a décalé ce rendez-vous en pleine saison de clubs. Si tous devraient donc être physiquement déjà bien dans le rythme, les pays entrent dans la compétition sans rodage.

« Poudre aux yeux »

Les exploits des footballeurs ne devraient toutefois pas suffire à éteindre les polémiques sur tous les sujets non sportifs qui embrasent ce Mondial depuis des mois, voire des années.

Droits des travailleurs ayant construit les somptueuses enceintes, environnement, avec un bilan carbone annoncé neutre, mais que ses détracteurs qualifient « d’aberration », et discrimination des personnes, notamment des LGBTQ+ : cette 22e édition est l’une des plus controversées de l’histoire.

Les autorités du petit émirat gazier sont régulièrement critiquées par les ONG pour leur traitement des travailleurs migrants, notamment dans les secteurs de la construction, de la sécurité et du travail domestique. Des accusations vigoureusement rejetées par les autorités qui soulignent avoir réformé les lois sur le travail.

 

En ce qui a trait à l’empreinte environnementale, la construction des stades et les transports par avion des supporters venus du monde entier sont en cause. Mais les stades plantés dans le désert rafraîchis par la climatisation aux heures les plus chaudes ont aussi choqué.

Le traitement des personnes LGBTQ+ est un autre sujet d’inquiétude dans un pays conservateur où l’homosexualité et les relations sexuelles hors mariage sont criminalisées.

Les autorités ont assuré qu’elles seraient accueillies sans discrimination, mais la volte-face vendredi sur la vente d’alcool finalement interdite autour des stades fait craindre à certains d’autres revirements.

Infantino et les « hypocrites »

« Si ça veut dire que tout est rediscutable, quid de la sécurité des supporters LGBTQ+, de la possibilité de soutenir son équipe en étant debout au stade, de la possibilité de s’embrasser dans la rue ? » a demandé Ronan Evain, directeur général de l’association Football Supporters Europe.

Après des mois de silence, le président de la FIFA, Gianni Infantino a répondu sur un mode offensif samedi : « Donner des leçons de morale — toujours dans le même sens —, c’est simplement de l’hypocrisie », a-t-il souligné, trouvant ces critiques « profondément injustes ». 

« Pour ce que nous, les Européens, avons fait au cours des 3000 dernières années, nous devrions nous excuser pour les 3000 prochaines années avant de donner des leçons de morale aux autres », a-t-il déclaré.

Infantino avait déjà demandé à tous de « se concentrer sur le football ». Il n’est pas certain qu’il soit entendu.

L’Allemagne ou le Danemark ont répété que leurs capitaines, Manuel Neuer et Simon Kjaer, porteraient bien le brassard coloré « One Love » en faveur de l’inclusion et contre les discriminations, et non ceux arborés par la FIFA, porteurs de messages plus consensuels.

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