Mikhaïl Gorbatchev, fossoyeur involontaire de l’Union soviétique
Produit du système communiste, Mikhaïl Gorbatchev n’imaginait sans doute pas qu’il changerait un jour la face du monde en devenant le fossoyeur involontaire de l’URSS. C’est pourtant ce qu’il a fait. Le dernier dirigeant de l’Union soviétique est décédé mardi d’une « grave et longue maladie », à l’âge de 91 ans, en Russie, a indiqué l’Hôpital clinique central, où il était soigné.
Il laisse derrière lui « la démonstration qu’un système, voire une superpuissance, peut s’effondrer avec un minimum de violence », explique Michel Roche, spécialiste de l’URSS et de la Russie postsoviétique. Il s’agit pour lui d’une figure de cas « exemplaire », puisque très peu d’autres superpuissances ont été démantelées de la sorte dans le passé.
Le décès de l’ex-dirigeant soviétique intervient en pleine offensive de l’actuel président russe, Vladimir Poutine, en Ukraine. L’invasion lancée le 24 février est dénoncée en Occident comme une résurgence de l’impérialisme russe.
Prix Nobel de la paix en 1990 pour son rôle dans la fin de la guerre froide, au siècle dernier, Gorbatchev a passé les 20 dernières années en retrait de la politique. Il ne s’était pas exprimé publiquement sur l’offensive massive du Kremlin en Ukraine.
Simple fils de paysan, Mikhaïl Gorbatchev a effectué un parcours classique d’apparatchik pour prendre à 54 ans, le 11 mars 1985, la tête d’un empire soviétique qui était alors exsangue sur le plan économique et empêtré dans une guerre sans fin en Afghanistan. C’est sa jeunesse qui le distingue. Dans les trois ans suivant le décès de Léonid Brejnev, en 1982, le Parti communiste de l’Union soviétique a connu deux secrétaires généraux vieillissants qui sont morts à ce poste : Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko.
Mais « quand Gorbatchev arrive au pouvoir, l’Union soviétique va déjà mal depuis une dizaine d’années », en proie à une crise de croissance depuis le milieu des années 1970, explique M. Roche, également professeur de science politique à l’Université du Québec à Chicoutimi.
Le début de la fin
Conscient que la crise guette, l’ancien dirigeant soviétique lance alors une libéralisation baptisée la perestroïka (« restructuration ») et la glasnost (« transparence ») pour réformer le système soviétique et réduire l’influence des vieux caciques du parti. Rapidement, des millions de Soviétiques découvrent alors des libertés inédites, mais aussi, presque simultanément, les pénuries, le chaos économique et les révoltes nationalistes qui sonneront à petit feu l’arrêt de mort de l’URSS.
Sa grande originalité parmi les autres réformateurs de l’époque était d’insister sur le fait que toutes les réformes, qu’elles soient sociales, économiques ou politiques, sont interreliées, renchérit Guillaume Sauvé, spécialiste de la Russie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. C’est le grand contraste avec la Chine, par exemple, souligne-t-il, qui, à la même époque, menait des réformes économiques sans réformes politiques.
L’URSS menait par ailleurs une politique étrangère qui lui coûtait très cher, si l’on pense à l’occupation de l’Afghanistan, ou encore au maintien des troupes en Europe de l’Est, dans les pays alliés, poursuit M. Roche.
Sous Gorbatchev, les dérives n’ont elles aussi pas manqué : l’entrée des chars soviétiques en Lituanie, la répression de manifestants pacifiques en Géorgie, ou la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en 1986, passée sous silence pendant des jours, ce qui a contribué à la contamination de centaines de milliers de personnes. Le dirigeant soviétique devra alors à la fois remettre en cause la politique étrangère et intérieure du pays, ce qui aura pour effet d’accentuer les problèmes plutôt que de les résoudre.
Son héritage controversé
L’héritage à l’Ouest, que ce soit le chancelier allemand Helmut Kohl ou le président américain Ronald Reagan, les grands du monde capitaliste sont fascinés par ce nouvel interlocuteur ouvert à la négociation.
Mais source d’un immense respect en Occident, il représente, à l’inverse, la fin d’un monde en Russie. Pour les Russes, M. Gorbatchev a détruit le statut de grande puissance de leur patrie.
En juin 1991, lorsque Boris Eltsine est élu au suffrage universel président de la Russie soviétique, M. Gorbatchev tente de sauver l’URSS en proposant une autonomie interne élargie. Le projet échoue le 19 août 1991, lorsque la ligne dure du Parti communiste tente un putsch contre lui. Déjà mourante, l’URSS disparaît en décembre lorsque la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine proclament que l’Union soviétique « n’existe plus ». Mikhaïl Gorbatchev démissionne le 25 décembre.
« Quand on regarde la Russie d’aujourd’hui, en guerre contre l’Ukraine, on remarque que le régime russe s’est très fortement durci dans la semaine qui a suivi avec l’adoption de ce qu’on appelait les lois sur la censure de guerre, qui ont mené à la fermeture des principaux médias indépendants, dont certains — et ce n’est pas un hasard — sont nés pendant ou juste après la période de perestroïka, explique M. Sauvé. Donc là, il y a vraiment une boucle qui est bouclée. C’est-à-dire qu’il y a une étape très importante qui a été franchie précisément avec la guerre en Ukraine pour écraser toute forme de protestation de l’opposition ou de médias indépendants. »
Ces libertés sont alors l’un des aspects de l’héritage de Gorbatchev qui a disparu, selon l’expert. Si les politiques économiques n’ont quant à elles pas subi de grands changements, on assiste actuellement à un virage de 180 degrés du point de vue des politiques étrangères, poursuit M. Sauvé, si l’on tient compte du fait que l’époque Gorbatchev en était une de rapprochement avec les pays occidentaux.
Avec l’Agence France-Presse