Aux côtés de l’Ukraine, la dissidence biélorusse prend les armes

Des volontaires biélorusses s’entraînaient à Kiev en mars dernier. D’abord constituées en simple bataillon, les troupes de Kastous Kalinowski se sont vues récemment décerner le titre de régiment par les forces armées ukrainiennes. Né dans la foulée de l’agression lancée par Moscou, le 24 février, c’est l’un des plus grands corps militaires de volontaires étrangers à combattre en Ukraine.
Photo: Efrem Lukatsky Associated Press Des volontaires biélorusses s’entraînaient à Kiev en mars dernier. D’abord constituées en simple bataillon, les troupes de Kastous Kalinowski se sont vues récemment décerner le titre de régiment par les forces armées ukrainiennes. Né dans la foulée de l’agression lancée par Moscou, le 24 février, c’est l’un des plus grands corps militaires de volontaires étrangers à combattre en Ukraine.

Les Biélorusses sont nombreux à avoir rejoint la résistance ukrainienne, tantôt en prenant les armes, tantôt en organisant des sabotages contre la dictature d’Alexandre Loukachenko, plus que jamais à la solde du Kremlin. La dissidence biélorusse lie son destin à celui de l’Ukraine, dont la victoire contre l’envahisseur s’avère inévitable pour qu’advienne la démocratie dans leur pays.

Il a l’allure frêle de celui qui revient de convalescence. Ses mains malingres trahissent les « 21 kilos » qu’il a perdus au cours des derniers mois. Yuri, casquette enfoncée sur la tête, l’admet, il est « un peu fatigué ». L’homme de 36 ans, qui préfère taire son nom de famille pour des raisons de sécurité, s’apprête néanmoins à regagner le front ukrainien.

« Mes camarades me manquent », lâche-t-il. La dernière fois qu’il y était, c’était le 22 avril, et il avait bien failli y laisser sa peau. La contre-offensive à laquelle lui et des soldats prenait alors part dans la région de Kherson, ville du sud de l’Ukraine occupée par les Russes, avait mal tourné. Les troupes russes ont pilonné leurs positions, et le champ dans lequel ils avançaient était truffé de mines.

Le bilan médical de Yuri : une grave blessure aux oreilles, une autre aux jambes, « mais surtout une au ventre ». Soigné un temps à Varsovie, le voilà qui s’apprête à repartir en mission, même s’il avoue n’être « pas tout à fait guéri ».

En cet après-midi de juillet, ils sont une vingtaine d’hommes, comme lui, à patienter dans l’arrière-cour de la Maison biélorusse. C’est à bord de véhicules stationnés dans l’enceinte du siège de cette organisation dissidente, située dans la capitale polonaise, que le groupe prendra sous peu la direction de l’Ukraine en guerre. Tous se sont engagés au sein des rangs de Kastous Kalinowski, un régiment de l’armée ukrainienne intégralement constitué de Biélorusses. Né dans la foulée de l’agression lancée par Moscou, le 24 février, c’est l’un des plus grands corps militaires de volontaires étrangers à combattre en Ukraine. Une alliance haute en symbole qui témoigne de l’importance que cette guerre représente aux yeux de nombreux Biélorusses, prompts à joindre la résistance ukrainienne.

Car pour des soldats comme Yuri, il s’agit là d’un « problème commun aux Ukrainiens comme aux Biélorusses ». Alexandre Loukachenko, dictateur depuis plus d’un quart de siècle, est inféodé au Kremlin. Sa réélection frauduleuse, le 9 août 2020, avait fait naître dans la « dernière dictature d’Europe » un soulèvement sans précédent.

Drapés de blanc-rouge-blanc, couleurs de la contestation, ils avaient été des centaines de milliers à battre le pavé aux quatre coins du pays pour réclamer des élections libres. Mais la riposte du régime a été celle d’une répression aux relents totalitaires. Les ONG et médias indépendants ont été liquidés, et les opposants, soit jetés dans les geôles du régime, soit contraints à l’exil par milliers. Le nombre de prisonniers politiques s’élève à plus de 1200, selon l’organisation biélorusse des droits de la personne de Viasna.

Un bataillon devenu régiment

 

Le despote de Minsk, ciblé par une kyrielle de sanctions occidentales, doit dorénavant sa survie politique à Vladimir Poutine, dont il est devenu le vassal. Des troupes russes ont ainsi été postées sur le territoire biélorusse, duquel des missiles ont été lancés vers l’Ukraine, selon les informations de Kiev. De quoi provoquer la « honte » de Valeri, 46 ans. Lui a aussi fait le choix de rejoindre le régiment Kastous Kalinowski, du nom du célèbre écrivain et héros de la renaissance nationale du XIXe siècle.

Exilé en Pologne depuis deux ans, le père de famille souhaite garder l’anonymat, par crainte de représailles contre sa famille habitant toujours en Biélorussie. Valeri avoue néanmoins ressentir une certaine fébrilité : il n’a aucune expérience militaire. Une fois arrivé à Kiev, il apprendra d’abord à tenir une arme, avant d’être dépêché sur le front.

D’abord constituées en simple bataillon, les troupes de Kastous Kalinowski se sont vues récemment décerner le titre de régiment par les forces armées ukrainiennes. Une montée en grade qui irrite volontiers Alexandre Loukachenko, lequel avait déjà qualifiés ces combattants, à la mi-mars, de « citoyens fous ».

Le régiment peut compter sur l’appui de la Maison biélorusse, à Varsovie, dont les lieux leur servent de QG. « Depuis février, une centaine de tonnes de matériel ont transité par ici, pour ravitailler nos gars », se félicite Ales Zarembiuk, son fondateur, qui mentionne notamment de l’équipement médical, de la nourriture en conserve ou encore des dizaines de véhicules. Au rez-de-chaussée de l’édifice traîne un gilet pare-balles décoré d’un écusson blanc-rouge-blanc, fraîchement livré par des Biélorusses de la diaspora.

Chaque semaine ou presque, de nouvelles recrues partent en Ukraine, dont beaucoup étaient installées en Pologne, en Ukraine ou en Lituanie, foyers de l’exil biélorusse. Au nom du secret militaire, Pavel Kuchta, recruteur en chef du régiment Kastous Kalinowski, ne peut dévoiler le nombre d’hommes mobilisés. Mais ils seraient près de 300, sans compter les autres formations de volontaires biélorusses.

Au moins une dizaine de soldats biélorusses auraient trouvé la mort au combat. Afin d’éviter que des agents infiltrés du KGB biélorusse s’immiscent dans le régiment, un processus de « vérification » est effectué en amont par les « cyberpartisans », un groupe d’anciens employés du secteur des hautes technologies en Biélorussie s’étant retournés contre le régime.

À seulement 24 ans, et fort d’une expérience comme soldat volontaire en 2014 dans le Donbass, Pavel Kuchta a un parcours militaire bien rempli. Carrure athlétique et tatouages patriotiques sur le corps, le Biélorusse a aussi une histoire personnelle intimement liée à l’engagement qu’il mène, soit de voir émerger une « Biélorussie libre et indépendante ».

À l’été 2020, au plus fort du mouvement de contestation pacifique contre Loukachenko, son demi-frère, Nikita Krivtsov, a été retrouvé pendu dans une forêt en lisière de Minsk. Un assassinat politique déguisé en suicide, il en est convaincu. Pavel Kuchta n’en est pas moins animé par un esprit de revanche. Il lie le destin de son pays à celui de l’Ukraine. « Car se battre pour l’Ukraine, c’est défendre leur liberté, mais aussi la nôtre. Beaucoup de Biélorusses l’ont compris. La victoire de l’Ukraine est vitale, et Loukachenko ne pourra pas tenir s’il perd l’allié qu’il a en Poutine. »

Réseau de saboteurs

 

La collaboration du dictateur moustachu avec Poutine ne jouit d’ailleurs d’aucun appui populaire au pays. Selon certains sondages indépendants, pas moins des trois quarts des Biélorusses s’opposent à l’idée d’une coresponsabilité de leur pays dans l’agression du Kremlin.

« La Biélorussie a beaucoup souffert des guerres tout au long de son histoire, et beaucoup ont peur que celle-ci déborde jusque chez eux », affirme Svetlana Tikhanovskaïa, l’égérie de l’opposition biélorusse, rencontrée par Le Devoir à Vilnius, capitale de la Lituanie, où elle est exilée. « Les Biélorusses n’ont pas le sentiment d’appartenir à ce prétendu “empire russe” : nous sommes des gens pacifiques, comme l’a été notre révolution en 2020. Nous sommes opposés à Loukachenko, nous ne voulons pas que notre pays soit un paria, du côté des agresseurs. »

En Biélorussie, manifester est devenu trop dangereux. Alors, la résistance au régime prend une forme souterraine. Un réseau de saboteurs antiguerre a mis à mal, au cours des cinq derniers mois, l’acheminement de matériel militaire russe transitant sur les chemins de fer biélorusses. Ceux qui se font mettre la main au collet risquent désormais la peine de mort.

Ces sabotages, se comptant par dizaines, mais ne cessant de diminuer en raison d’une intense répression, relèvent d’initiatives individuelles qui n’ont pas fondamentalement mis en danger le régime. Mais « ces gestes héroïques rappellent l’opposition de la société à la guerre », tempère Pavel Usov, directeur du Centre d’analyses et de prévisions politiques basé à Varsovie.

Le politologue biélorusse, exilé en Pologne, s’est rendu à Kiev au printemps pour animer une conférence auprès de combattants de Kastous Kalinowski sur l’importance de forger une « vision politique de long terme » au sein du régiment. Car, en cas de victoire de l’Ukraine, la portée des troupes Kastous Kalinowski devra s’élargir aux frontières du pays. « Elles devront devenir un important levier de changement en Biélorussie. Cela représente une menace claire pour le régime de Loukachenko », estime le chercheur.

Le scénario idéal suivant une défaite russe, selon lui, serait la chute pure et simple du régime d’Alexandre Loukachenko, qui serait forcé de fuir. L’autre est celui d’une issue imprévisible et plus brutale, où Loukachenko tenterait de s’accrocher coûte que coûte au pouvoir. Quitte à verser dans la violence. Et ça, Yuri, le soldat qui s’apprête à rejoindre l’Ukraine, en a bien conscience.

Cette « expérience de combat » que ses camarades et lui s’apprêtent à acquérir, il espère l’utiliser, un jour, dans sa Biélorussie natale. « Il y a deux ans, nous n’avons pas réussi à déloger Loukachenko par la voie pacifique, avec les chaînes humaines et les fleurs. Mais aujourd’hui, des Biélorusses prennent les armes, et cela prépare le terrain à un éventuel affrontement avec le régime. Avec l’espoir qu’après avoir aidé l’Ukraine, elle vienne aussi nous épauler le moment venu. »

Avec Alesia Karolik

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