L’avenir flottant de la Station spatiale internationale

Il n’a jamais été question que la Station spatiale internationale (ISS) soit éternelle. Sa fin de carrière doit même se faire avec fracas, par un ultime plongeon dans l’océan.
Mais après plus de deux décennies de coopération pour faire voler cet immense laboratoire, Russes et Américains ne semblent plus d’accord sur la date de sa mise à la retraite.
La NASA, comme l’agence spatiale européenne, répète vouloir poursuivre l’opération jusqu’en 2030. Mais le patron de l’agence spatiale Roscosmos a, lui, annoncé cette semaine que la Russie se retirerait du programme « après 2024 ».
Les tensions diplomatiques causées par l’invasion russe de l’Ukraine ne sont pas étrangères à l’annonce — même si Moscou avait déjà laissé entendre être sur le départ.
Et entre 2024 et 2030 s’inscrit désormais un énorme point d’interrogation.
Première inconnue : la Russie n’a pas encore dit quand elle envisageait précisément d’abandonner le vaisseau.
Un retrait dès 2024 signifierait pour elle un programme spatial civil cloué au sol, sans nulle part où envoyer ses cosmonautes. Moscou a bien annoncé vouloir construire sa propre station, mais celle-ci ne sera pas prête avant de nombreuses années.
Certains espèrent donc que la Russie travaille sur une échéance plus reculée pour son départ de l’ISS.
« Il est certainement possible de l’imaginer rester un peu plus longtemps », a avancé auprès de l’AFP Scott Pace, directeur de l’Institut de politique spatiale de l’Université George Washington, déjà rassuré que Moscou respecte son engagement préalable et ne parte pas avant 2024, comme certains le craignaient.
Outre la date, la manière reste aussi à déterminer.
La Russie n’a pas encore formellement notifié sa volonté de retrait, et de nombreuses discussions sur la transition s’annoncent. Elles devraient avoir lieu dans le cadre du « multilateral control board », un organe réunissant tous les partenaires (États-Unis, Russie, Europe, Japon, Canada).
Jusqu’où iront les Russes ?
Partir signifie-t-il seulement arrêter d’envoyer des cosmonautes et ne plus fournir le soutien du centre de contrôle des vols russe (TSUP, l’équivalent de Houston aux États-Unis) ?
Ou voudront-ils également démonter leur segment de la station ?
L’ISS « n’est pas vraiment conçue pour être démantelée », a rappelé Scott Pace. « Elle peut l’être, mais c’est au moins aussi dur que de l’assembler. »
Selon l’expert, un accord de location pourrait être mis en place : les partenaires occidentaux rémunéreraient la Russie pour l’utilisation de ses locaux — dont, détail important, la seconde et seule autre toilette de la station.
Un tel accord pourrait intéresser Moscou, qui a perdu les revenus générés par la location de places à bord de ses fusées Soyouz pour les astronautes de la NASA, transportés depuis 2020 par SpaceX.
Défis techniques
Sur le plan technique, faire voler l’ISS sans les Russes ni leur segment sera difficile, mais vraisemblablement possible.
Les vaisseaux de SpaceX peuvent assurer l’acheminement d’astronautes et le ravitaillement (en nourriture, en carburant, etc.). Et la capsule de Boeing, Starliner, devrait bientôt offrir un deuxième « taxi » vers l’ISS, avec un premier test habité prévu d’ici la fin de l’année.
Le plus gros problème concerne le maintien en orbite de la station.
Elle a tendance à se rapprocher de la Terre, et environ tous les trois mois, il faut la « remonter » en utilisant un système de propulsion.
Actuellement, ces poussées sont surtout réalisées par les moteurs des vaisseaux russes de ravitaillement Progress amarrés à la station et, dans une moindre mesure, par des moteurs situés sur le module russe Zvezda.
Un début de solution a récemment été esquissé, grâce à un test réussi où l’altitude de la station a été réajustée à l’aide du vaisseau de l’entreprise américaine Northrop Grumman, Cygnus. Celui-ci, qui transporte des cargaisons jusqu’à la station depuis 2013, a subi des modifications dans ce but.
Mais sa puissance seule ne suffira pas, et ne règle pas une autre question : celle des corrections de l’orientation de la station, dont il est aussi nécessaire d’empêcher la rotation sur elle-même. Une telle manoeuvre réclame une deuxième source de propulsion.
Les vaisseaux de SpaceX ou de Boeing pourraient donc être également mis à contribution.
Tous ces efforts doivent garantir l’avenir de l’ISS jusqu’à ce que des stations privées puissent assurer le relais. La NASA a déjà investi dans pas moins de quatre projets.
Persister avec tant d’obstination pour un maintien jusqu’en 2030 est-il bien nécessaire ? « Peut-être n’est-ce pas la bonne stratégie pour les États-Unis », a avancé l’astronome Jonathan McDowell. Selon lui, le retrait russe pourrait aussi servir d’excuse aux Américains pour se retirer plus tôt et investir leur argent ailleurs. Notamment dans le programme de retour sur la Lune.