Gazprom coupe temporairement les vivres à l’Allemagne

Cet arrêt pour dix jours des deux tuyaux, annoncé de longue date, ne devait en théorie n’être qu’une formalité technique. Mais dans le contexte de la guerre en Ukraine et du bras de fer entre Moscou et les Occidentaux sur l’énergie, personne ne peut parier sur la suite.
Photo: Barbara Gindl APA / Agence France-Presse

Cet arrêt pour dix jours des deux tuyaux, annoncé de longue date, ne devait en théorie n’être qu’une formalité technique. Mais dans le contexte de la guerre en Ukraine et du bras de fer entre Moscou et les Occidentaux sur l’énergie, personne ne peut parier sur la suite.

L’Allemagne — et avec elle, l’Europe — est entrée lundi dans une période de grande incertitude sur la suite de ses importations de gaz russe, déjà fortement réduites ces dernières semaines et qui pourraient bientôt se tarir complètement.

Le géant russe Gazprom a entamé dans la matinée des travaux de maintenance sur les deux gazoducs Nord Stream 1, qui acheminent une grande quantité de son gaz livré encore à l’Allemagne et à plusieurs autres pays de l’ouest de l’Europe. « Nord Stream est arrêté, […] le gaz ne circule plus », a confirmé lundi à l’Agence France-Presse le ministère allemand de l’Économie.

Cet arrêt pour 10 jours des deux tuyaux, annoncé de longue date, devait en théorie n’être qu’une formalité technique. Mais dans le contexte de la guerre en Ukraine et du bras de fer entre Moscou et les Occidentaux sur l’énergie, personne ne peut parier sur la suite.

Comme un avertissement, Gazprom a d’ailleurs réduit lundi ses livraisons de gaz à l’Italie et à l’Autriche, respectivement d’un tiers et de 70 %, ont indiqué les énergéticiens OMV et ENI. Les deux pays sont en partie approvisionnés par le gazoduc TAG, qui passe par l’Ukraine, mais aussi par le gazoduc Nord Stream.

« Se préparer au pire »

« Il existe de nombreux scénarios selon lesquels nous pourrions être plongés dans une situation d’urgence », a prévenu lundi le président de l’Agence allemande des réseaux, Klaus Müller, à la télévision ZDF.

« L’Allemagne en plein choc gazier ! » s’exclamait d’ailleurs en une le quotidien le plus lu d’Allemagne, Bild.

« Nous sommes confrontés à une situation inédite, tout est possible », a reconnu au cours du week-end le vice-chancelier allemand, Robert Habeck, sur la radio publique. « Il est possible que le gaz coule à nouveau, même en quantité supérieure à avant. Il est possible que plus rien ne vienne, et nous devons nous préparer comme toujours au pire », a-t-il ajouté.

Moscou, arguant d’un problème technique, a déjà réduit, ces dernières semaines, de 60 % les livraisons de gaz par Nord Stream, une décision dénoncée comme « politique » par Berlin.

L’Allemagne a par conséquent beaucoup oeuvré pour convaincre, samedi, le Canada de lui restituer une turbine destinée à Nord Stream 1, qui était en maintenance dans le pays. Et ce, malgré les protestations de l’Ukraine. L’Allemagne ne voulait pas donner un argument supplémentaire à Moscou d’interrompre ses livraisons de gaz : une fois rapatriée par son fabricant Siemens, la turbine va ensuite être remise à la Russie, a précisé Berlin lundi.

L’Allemagne fait aussi valoir que, pour des raisons techniques, il serait difficile à Gazprom de stopper net ses livraisons par Nord Stream, le gaz exploité dans le champ sibérien étant « sous pression » et ne pouvant pas être éternellement stocké. « Ce n’est pas comme un robinet d’eau », a dit M. Habeck.

L’ambassadrice du Canada en Ukraine a été convoqué lundi à Kiev à la suite de la restitution « inacceptable » par le Canada à l’Allemagne de turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream, a annoncé le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. « Le ministère des Affaires étrangères a dû convoquer l’envoyé du Canada dans notre pays en raison d’une exception absolument inacceptable au régime de sanctions contre la Russie », a déclaré M. Zelensky dans son message quotidien sur Telegram.

Craintes de pénurie

 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Allemagne fait des efforts pour réduire sa dépendance au gaz russe, mais celle-ci reste encore importante : 35 % de ses importations en la matière proviennent de Russie, contre 55 % avant la guerre. Et le chauffage des foyers est toujours assuré à plus de 50 % avec du gaz.

Un arrêt durable de Nord Stream 1 ne pénaliserait pas seulement la première économie européenne : ordinairement, le gaz qui arrive en Allemagne continue à être transporté vers toute l’Europe. En France, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a d’ailleurs appelé dimanche à « se mettre rapidement en ordre de bataille » pour faire face à l’éventualité d’une coupure totale des approvisionnements — l’« option la plus probable », dit-il.

Un arrêt prolongé des livraisons aggraverait donc la crise énergétique dans laquelle se débat déjà l’Europe, avec des prix qui flambent et la crainte de pénuries cet hiver.

En Allemagne, les autorités réfléchissent déjà à des plans de rationnement, et appellent aux économies. « Il faut tout faire pour économiser le gaz dès maintenant, optimiser le chauffage, discuter en famille, préparer les industries. Nous ne sommes pas impuissants », a martelé lundi Klaus Müller, le patron de l’agence fédérale des réseaux.

Le Bundestag a déjà adopté pour lui un plan symbolique d’économie  : fini le chauffage au-dessus de 20 degrés Celsius en hiver au Parlement allemand, entre autres mesures.

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