Macron perd sa majorité

C’est une vraie claque ! À force de refuser de faire campagne, le président français, Emmanuel Macron, a perdu sa majorité absolue à l’Assemblée nationale à l’occasion du second tour des élections législatives qui se tenaient dimanche. À l’opposé, le Rassemblement national, présidé par Marine Le Pen, et la coalition des partis de gauche, la Nouvelle Union populaire, écologiste et socialiste (NUPES), dirigée par le leader de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon, font tous deux une entrée en force à l’Assemblée nationale.

Même s’il représente la première force politique, avec 246 députés, le parti présidentiel rebaptisé Ensemble ! est très loin des 289 élus qui lui permettraient de gouverner sans alliance. Le président perd plus d’une centaine de députés dans la bataille, dont quelques-uns des rares cadres fondateurs de son parti, comme l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Même la première ministre, Élisabeth Borne, n’a été élue dans le Calvados qu’avec 52 % des voix. Du jamais vu pour un premier ministre. Plusieurs ministres défaits dans leur circonscription devront d’ailleurs quitter leurs fonctions, comme la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, et celle de la Transition écologique, Amélie de Montchalin.

Ce coup de tonnerre apparaît comme un véritable désaveu pour le président et annonce un risque de blocage politique qui obligera en permanence le gouvernement à nouer des alliances à gauche et à droite selon les projets de loi. De nombreux observateurs évoquent un scénario législatif à l’italienne. La principale réforme du programme présidentielle, le report de la retraite à 65 ans, semble pour l’instant mort-née.

Impassible, la première ministre, Élisabeth Borne, a qualifié la situation d’« inédite » et a appelé à « construire une majorité d’action […]. Il n’y a pas d’alternative à ce rassemblement pour garantir à notre pays la stabilité », dit-elle. Selon elle, « les sensibilités multiples devront être associées et les bons compromis bâtis afin d’agir au service de la France. Les Français nous appellent à nous rassembler pour le pays ».

Alors qu’elle était dans tous les esprits, la possibilité d’une alliance du parti présidentiel avec la soixantaine d’élus du parti de droite Les Républicains a aussitôt été rejetée du revers de la main par son président, Christian Jacob. « Nous avons fait campagne dans l’opposition, nous sommes dans l’opposition et nous resterons dans l’opposition », a-t-il déclaré, même si certains de ses lieutenants sont moins affirmatifs.

Avec 142 élus, à défaut de devenir premier ministre comme il le proclamait sur ses affiches, Jean-Luc Mélenchon dirigera le premier groupe d’opposition. Cela permettra à ses élus de siéger à de nombreuses commissions parlementaires, dont les influentes commissions des Finances et de la Défense.

Triomphant et parfois exalté, Mélenchon a fustigé « la déroute » du parti présidentiel. « C’est l’échec de la macronie, dit-il, l’échec moral de ceux qui donnaient des leçons à tout le monde. » Alors que, pour la première fois dans l’histoire, une coalition de gauche est dirigée par son pôle le plus radical, Jean-Luc Mélenchon n’a pas hésité à évoquer « ce monde finissant » et le « grand jaillissement de l’histoire » venu « du plus profond de ce qu’est la France des rébellions et des révolutions ». Réunis à l’Élysée Montmartre, ses partisans ont aussitôt entonné L’Internationale.

Alors qu’il n’avait pas de groupe reconnu à l’assemblée, le Rassemblement national a multiplié par dix le nombre de ses députés pour atteindre 89 élus, dépassant même celui des Républicains. Depuis Hénin-Beaumont, dans le Nord–Pas-de-Calais, sa présidente, Marine Le Pen, a estimé avoir atteint les trois objectifs qu’elle s’était fixés : « faire d’Emmanuel Macron un président minoritaire ; poursuivre la recomposition politique indispensable ; constituer un groupe d’opposition déterminant face aux destructeurs d’en haut, la macronie, et d’en bas, l’extrême gauche ». La présidente du RN, réélue haut la main dans sa circonscription, promet « une opposition ferme, responsable, respectueuse des institutions », affirmant que sa « seule boussole est l’intérêt de la France et du peuple français ».

« Le plafond de verre est brisé », s’est réjoui Louis Aliot, maire de Perpignan et vice-président du RN. Alors qu’il a refusé toute alliance à droite, notamment avec le nouveau parti Reconquête dirigé par Éric Zemmour, le RN obtient avec 89 élus un nombre de députés supérieur à celui de La France insoumise (84), mouvement qui s’est présenté à cette élection allié aux écologistes, aux socialistes et aux communistes. Plusieurs s’interrogent d’ailleurs sur l’avenir de cette alliance des gauches, dont certains prédisent l’éclatement dans un avenir proche.

La France n’avait pas connu une Assemblée nationale aussi éclatée depuis le second mandat de François Mitterrand en 1988. Une époque où les oppositions politiques étaient beaucoup moins radicales. « Ce soir, tout repart à zéro », expliquait sur BFMTV le doyen des politologues français, Alain Duhamel. Selon certains, le pays pourrait même être ingouvernable. À l’Assemblée, le gouvernement devra affronter une forte opposition aussi bien de droite que de gauche. Sans oublier le Sénat, majoritairement à droite, qui doit approuver les projets de loi.

Dans ce nouveau paysage politique, l’abstention demeure le premier parti de France. Déjà historique au premier tour, avec 52,49 %, elle s’est accentuée au second pour atteindre 53,5 %. Rarement une campagne législative avait-elle suscité aussi peu d’intérêt. Entre les deux tours, Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas fait campagne, préférant partir en Roumanie, en Moldavie et en Ukraine en se contentant d’appeler à un « sursaut républicain » du tarmac de l’aéroport. Du jamais vu.

« À l’épreuve d’une France ingouvernable », titre la une du Figaro, dont l’éditorial évoque un véritable « saut dans l’inconnu ». Même sidération à gauche à Libération, qui parle d’une « gifle », alors que le quotidien Le Monde évoque « un risque de paralysie politique ». À droite comme à gauche, nombreux sont ceux qui estiment qu’il sera difficile de tenir cinq ans avec une telle Assemblée et qu’une dissolution suivie de nouvelles élections n’est pas impossible.

À voir en vidéo