Les allégations d’usage de munitions au phosphore blanc se multiplient
Des allégations et des images évoquant un usage potentiel de munitions au phosphore blanc en Ukraine ont été relayées par plusieurs élus du pays en guerre, qui craignent que ces attaques ne visent des populations civiles, ce qui violerait le droit international.
À Irpin, à Popasna et à Kramatorsk, des élus ukrainiens ont rapporté l’utilisation de munitions au phosphore blanc par l’armée russe, des allégations qui n’ont toutefois pas été confirmées par des sources indépendantes.
L’armée russe aurait notamment utilisé mardi soir ce type d’arme incendiaire dans la banlieue nord-ouest de Kiev, près de Hostomel et de la ville d’Irpin, a affirmé le maire de cette dernière, Oleksandr Markouchine, dans une publication sur son compte Telegram. Sur des photos publiées par l’élu, on pouvait apercevoir un ciel noir parsemé de lignes blanches étincelantes, comme celles que produit le phosphore blanc au moment de sa combustion.
« L’utilisation de telles armes par les troupes ennemies contre des civils est un crime contre l’humanité », a ajouté le maire d’Irpin.
« C’est un crime contre l’humanité » et le président russe, Vladimir Poutine, doit en « payer » le prix, a par ailleurs déclaré mercredi la députée ukrainienne Inna Sovsun sur Twitter.
#russian troops fired white phosphorus munitions at the outskirts of #Kyiv, the use of which is prohibited against civilians by the Geneva Convention. This is a crime against humanity.#putin must pay! pic.twitter.com/cwfhFndpiY
— Inna Sovsun (@InnaSovsun) March 23, 2022
Pas interdites
Contrairement aux armes chimiques, dont l’usage est interdit par des conventions internationales, le phosphore blanc entre dans la catégorie des armes incendiaires qui sont régies de façon moins stricte. Cet élément chimique peut par exemple être utilisé pour illuminer les positions ennemies dans le cadre d’opérations nocturnes ou encore pour créer un écran de fumée visant à limiter la visibilité de l’ennemi.
« C’est une arme incendiaire, ce n’est pas une arme chimique au sens usuel du terme. On peut l’utiliser pour mettre le feu aux édifices » ou encore contre des soldats, expliquait le spécialiste de la sociologie du militaire et professeur au Collège des Forces canadiennes Éric Ouellet dans une entrevue au Devoir mercredi.
Le Protocole sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires, adopté en 1980 à Genève, interdit toutefois « en toutes circonstances » d’utiliser sciemment des armes incendiaires contre des civils ou contre des bases militaires situées à proximité de lieux résidentiels.
« N’importe quelle attaque contre des civils est un crime de guerre », que l’arme utilisée soit du phosphore blanc ou des missiles, rappelle d’ailleurs M. Ouellet. L’expert estime que ce n’est qu’une question de temps avant que l’Occident entame la création d’un tribunal spécial pour juger la Russie pour les crimes de guerre qu'elle aurait commis en Ukraine. « Ça s’en vient dans les prochaines semaines », prévoit M. Ouellet.
Le vice-recteur associé à la recherche au Collège militaire royal du Canada, Pierre Jolicœur, se demande pour sa part si l’usage de phosphore blanc par la Russie en Ukraine — s’il se confirme — ne viserait pas « à faire plier » les dirigeants de l’OTAN, qui se rencontrent cette semaine pour déterminer de nouvelles sanctions à imposer à Moscou. La Russie souhaiterait ainsi montrer qu’elle est « prête à aller jusqu’au bout, quelles qu’en soient les conséquences en Ukraine », indique M. Jolicœur.
Une arme « cruelle »
Le gouverneur de l’oblast de Louhansk, Serhiy Haidai, a d’ailleurs lui aussi fait état mercredi de l’usage de munitions au phosphore dans la ville ukrainienne de Popasna, dans l’est du pays.
« Ils se foutent des victimes et des destructions ; plus il y en a pour eux, mieux c’est, parce que ce sont des meurtriers », a écrit l’élu sur sa page Facebook au sujet de l’armée russe.
Selon l’organisme Human Rights Watch, les armes incendiaires figurent « parmi les armes les plus cruelles utilisées dans les conflits armés d’aujourd’hui ». La Russie en a notamment fait usage entre 1994 et 1996 en Tchétchénie, tandis que les États-Unis ont eu recours au phosphore blanc au début des années 2000 en Irak. Des bombes au phosphore auraient aussi été utilisées en 2015 et en 2018 en Syrie et par Israël sur la bande de Gaza en 2008.
Or, lorsque des civils sont ciblés par ces armes incendiaires, les conséquences peuvent être dramatiques. Après sa combustion, le phosphore blanc peut en effet provoquer « de graves brûlures thermiques et chimiques qui pénètrent souvent jusqu’aux os, qui sont lentes à guérir et qui sont susceptibles de provoquer des infections », indique Human Rights Watch dans un document explicatif publié en 2018. Même les personnes ayant un contact moins direct avec le phosphore blanc pourront en subir les effets, notamment au niveau respiratoire.