Qu’est-ce que l’OTAN et pourquoi l’Ukraine n’en fait-elle pas partie?

Des représentants des pays membres de l’OTAN donnent une conférence de presse lors d’une visite de la base militaire d’Azazi en Lettonie.
Toms Norde Agence France-Presse Des représentants des pays membres de l’OTAN donnent une conférence de presse lors d’une visite de la base militaire d’Azazi en Lettonie.

Une possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est l’un des enjeux ayant motivé l’invasion russe qui bat son plein depuis bientôt deux semaines. Mais qu’est-ce que l’OTAN et pourquoi l’Ukraine n’en fait-elle pas partie ? Le Devoir s’est entretenu avec deux experts pour décortiquer l’alliance politico-militaire et son rôle dans le conflit.

Qu’est-ce que l’OTAN et quel est son rôle ?

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est une alliance militaire formée en 1949 par 12 pays, dont les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et la France. Créée peu après la Seconde Guerre mondiale, elle avait pour objectif de contrer la menace d’expansion russe d’après-guerre en Europe.

De nos jours, l’OTAN sert de système de défense collective à la trentaine de pays qui y souscrivent, résume Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Les pays membres s’engagent à se défendre mutuellement contre toute attaque visant un pays membre — un engagement inscrit dans l’article le plus célèbre du traité, l’article 5.

« Je compare ça à la clause des Trois Mousquetaires : un pour tous et tous pour un. […] Si un pays membre de l’OTAN est attaqué par une puissance étrangère, le Canada n’aurait donc pas le choix que d’embarquer dans la défense et la réaction militaire », résume M. David.

Quels pays en sont membres ?

En plus des États-Unis et du Canada, dix autres pays figuraient parmi les membres fondateurs de l’organisation à sa création en 1949 : la Belgique, le Danemark, la France, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal et la Grande-Bretagne.



Depuis, 18 autres pays européens l’ont rejoint : l’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l’Estonie, l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Pologne, la Turquie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et l’Espagne.

L’Alliance compte ainsi 30 pays membres aujourd’hui. La Macédoine du Nord est le dernier pays ayant rejoint ses rangs, en mars 2020. Certains autres pays européens, comme la Suède et la Finlande, ont pour leur part évité de rejoindre l’OTAN au fil des années.

« L’adhésion à l’OTAN reste un libre choix, c’est une alliance sur invitation, ce n’est pas une alliance d’imposition. Il y a des pays qui, pour toutes sortes de raisons, ont choisi de ne pas la rejoindre parce qu’ils ne jugeaient pas qu’elle satisferait leurs besoins ou leurs préoccupations de sécurité », souligne Charles-Philippe David.

Pourquoi l’Ukraine n’est-elle pas un pays membre ?

Il y a bien longtemps que l’Ukraine avait exprimé son désir d’adhérer à l’OTAN : le pays avait entamé un processus formel afin de lancer un plan d’action en vue d’une demande d’adhésion à l’OTAN en 2008.

« Le problème qui s’est vite posé, c’est qu’il y avait des problèmes de corruption, de gouvernance, des zones en crise et en conflit dans l’Est. Ça a fait hésiter beaucoup de gens sur la stabilité et les allures démocratiques du pays », soutient M. David. La décision d’une adhésion d’un pays tiers doit être unanime au sein des pays membres.

Déjà à l’époque, le président russe Vladimir Poutine avait réitéré que toute tentative d’étendre l’OTAN à ses frontières était considérée comme une « menace directe », exprimant ses préoccupations quant à l’extension de l’alliance militaire et politique fondée pour contrer l’ex-Union soviétique.

« Bien sûr, il y avait la préoccupation de l’acceptabilité des Russes d’une telle inclusion, ce qui a fait hésiter notamment les Français et les Allemands sur l’adhésion de l’Ukraine. Elle ne se serait pas faite sans leur appui, donc on a remis ça à plus tard », ajoute M. David.

Quelles sont les conditions à respecter pour devenir membre de l’OTAN ?

Les pays qui aspirent à l’adhésion à l’OTAN sont censés atteindre certains objectifs politiques, économiques et militaires afin de s’assurer qu’ils deviendront des contributeurs à la sécurité de l’Alliance ainsi que des bénéficiaires de celle-ci.

« Normalement, il faut avoir un système politique démocratique qui est basé sur une économie de marché, traiter les populations minoritaires de façon équitable, régler les conflits de manière pacifique et contribuer militairement aux opérations de l’OTAN », résume Luca Sollai, doctorant et chargé de cours au Département d’histoire de l’Université de Montréal.

Photo: Aris Messinis Agence France-Presse

Pourquoi la Russie s’oppose-t-elle fermement à l’adhésion de l’Ukraine dans l’OTAN ?

Bien que plusieurs raisons historiques, politiques et géographiques s’imposent, le président Poutine considère notamment une adhésion potentielle de l’Ukraine à l’alliance militaire comme une menace pour les frontières de la Russie et pour sa sphère d’influence.

« La Russie craint, à tort ou à raison, pour sa sécurité et celle de ses frontières. Elle y voit une menace, car des bases militaires de l’OTAN pourraient se retrouver à la frontière russo-ukrainienne » indique M. Sollai, qui rappelle également que les relations entre la Russie et les pays occidentaux ont toujours été difficiles.

« Pour la Russie, il est vital que trois pays n’entrent pas dans l’OTAN : la Biélorussie, l’Ukraine et la Finlande. Ces trois pays poseront toujours problème s’ils veulent entamer un processus d’adhésion. La Russie ne cédera pas sur ces dossiers-là, à mon avis », ajoute-t-il.

Est-il toujours possible que l’Ukraine se joigne à l’OTAN ?

S’il est difficile de prévoir l’avenir de l’Ukraine dans le contexte de l’invasion en cours, une chose est certaine, selon M. David : la guerre déclenchée par la Russie aura persuadé plusieurs autres pays à vouloir se joindre à l’OTAN.

« Ce n’est pas tant l’Ukraine qui va faire partie de l’OTAN, c’est qu’il va y avoir des demandes d’autres pays qui sont apeurés par la Russie qui vont vite vouloir devenir membres. Je pense à la Géorgie et à la Moldavie, mais aussi à la Finlande et à la Suède qui ont sérieusement peur », observe le fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand.

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« Je vois mal comment la Russie, qui emploie des forces militaires aussi massives, pourrait accepter moins que l’engagement d’une Ukraine neutre à ne pas rejoindre l’OTAN », croit pour sa part M. Sollai. Le président Poutine a effectivement posé comme condition préalable à tout dialogue l’acceptation par Kiev de toutes les exigences de Moscou, notamment la démilitarisation de l’Ukraine et un statut neutre pour le pays.

Pourquoi l’OTAN n’intervient-elle pas dans le conflit ?

Parce que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN, mais surtout parce que ça impliquerait que l’alliance aille en guerre, selon Charles-Phillipe David. Au début du conflit, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, annonçait déjà que l’organisation n’enverrait pas de troupe en Ukraine : « L’OTAN n’a pas de troupes en Ukraine et n’a aucun plan et aucune intention de déployer des troupes dans ce pays », avait-il déclaré. L’Alliance avait toutefois activé « ses plans de défense » pour déployer des forces supplémentaires dans les pays alliés de son flanc est.

« C’est ça, la clause des Trois Mousquetaires. Si on intervient en Ukraine, ça veut dire qu’on déclare la guerre à la Russie. […] C’est pour ça que [le président américain] Joe Biden a dit qu’il n’était pas question qu’un seul soldat américain soit déployé en Ukraine », observe-t-il.

Les alliés de l’OTAN ont rejeté la demande de Kiev de créer une zone d’exclusion aérienne en Ukraine. Pourquoi ?

Comme pour l’envoi de forces armées occidentales en Ukraine, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne entraînerait probablement une grande escalade du conflit, croit M. David. « Il faut être conscient que c’est une forme d’entrée en guerre qui n’est pas au sol, mais qui nous mènerait peut-être là ».

« La question a été évoquée et les Alliés ont convenu que nous ne devrions pas avoir d’avions de l’OTAN opérant dans l’espace aérien ukrainien ou des troupes de l’OTAN au sol, car nous pourrions nous retrouver avec une guerre totale en Europe », avait aussi expliqué le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg.

L’instauration d’une zone d’exclusion serait considérée par Moscou « comme une participation au conflit armé de tout pays » dont le territoire serait utilisé pour « créer une menace envers nos militaires », a prévenu le président russe en début de semaine.