Poutine reconnaît l’indépendance des séparatistes prorusses d’Ukraine

Comme de l’huile sur le feu. Le président russe, Vladimir Poutine, a reconnu lundi l’indépendance des deux territoires séparatistes prorusses du Donbass ukrainien et a demandé « aux forces armées de la Russie » d’y entrer pour assurer « les fonctions de maintien de la paix », mettant fin, de manière unilatérale, à un laborieux processus de paix amorcé depuis 2015 entre la Russie et l’Ukraine dans l’est du pays.

Le geste, vertement dénoncé par les Occidentaux, pourrait désormais ouvrir la porte à une invasion russe de l’Ukraine par ses deux régions, une attaque que Washington envisageait toujours lundi comme pouvant être « extrêmement violente », et ce, afin d’« écraser » le peuple de l’ex-république soviétique, selon le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan.

« Cela va coûter la vie aux Ukrainiens, aux Russes, aux civils et aux militaires , a-t-il dit sur les ondes du réseau NBC, lundi matin. Nos renseignements indiquent qu’il y aura une forme de brutalité très grande, parce que ce ne sera pas simplement une guerre classique entre deux armées. Ce sera une guerre menée par la Russie contre le peuple ukrainien pour le réprimer, l’écraser, lui faire du mal. »

Lors d’une adresse à la nation de 65 minutes diffusée lundi soir, Vladimir Poutine a qualifié de « nécessaire » sa décision de reconnaître « immédiatement l’indépendance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk », deux territoires prorusses, situés dans le bassin minier et industriel frontalier de la Russie.

Parrainé par Moscou, le mouvement prorusse de ces régions n’avait pas reçu de reconnaissance officielle de son autonomie autoproclamée.

Le chef du Kremlin a par ailleurs demandé à la Douma, le Parlement russe, « d’approuver cette décision puis de ratifier les accords d’amitié et d’entraide avec les deux républiques ». Dans la foulée, il a demandé lundi soir « aux forces armées de la Russie » d’assumer « les fonctions de maintien de la paix sur le territoire » de ces deux « Républiques populaires ». Il a ordonné dans la foulée à son armée d’entrer dans les territoires séparatistes, confirmant ainsi les pires craintes des Occidentaux.

Aucune valeur légale

 

Dans sa propre adresse à la nation, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a vigoureusement dénoncé le geste de Moscou. « L’Ukraine qualifie les derniers actes de la Russie de violations de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de notre État », a-t-il dit, ajoutant que les Ukrainiens étaient « sur leurs terres », n’avaient « peur de rien ni de personne » et ne céderaient pas « une seule parcelle du pays ».

Par la même occasion, le président Zelensky a appelé ses alliés occidentaux à l’aide. « Nous attendons de nos partenaires un soutien clair et efficace », a-t-il dit. « Il est très important de voir maintenant qui est notre vrai ami. »

Les dirigeants de ces « républiques » prorusses ont pour leur part réclamé cette reconnaissance d’indépendance et ont appelé à la mise en place d’une « coopération en matière de défense », et ce, pour assurer leur sécurité face à des attaques menées selon eux par l’armée ukrainienne.

« Les allégations de Poutine voulant qu’un “génocide” ciblant les russophones soit en cours dans ces territoires sont totalement spécieuses, résume en entrevue Lubomyr Luciuk, professeur de science politique et spécialiste de l’Ukraine au Collège militaire royal du Canada. C’est l’Ukraine qui se défend contre une invasion russe, et ce, depuis 2014, pas l’inverse. »

Selon lui, cette reconnaissance des « républiques séparatistes » n’a d’ailleurs aucune valeur légale. « Ces deux entités n’ont aucune existence en droit international. Ce sont des terres ukrainiennes sous occupation militaire russe, comme la Crimée. Elles ne sont pas et n’ont jamais été des États indépendants reconnus par la communauté internationale », dit-il.

Par une mise en scène savamment orchestrée par le président autocratique russe qui, chose rare, a rendu publique lundi la réunion de son Conseil de sécurité, Vladimir Poutine rejoue ainsi le scénario presque similaire de la guerre éclair de 2008 contre la Géorgie. Moscou avait alors, au terme de plusieurs jours d’accrochages frontaliers ente les deux pays, reconnu l’indépendance des deux territoires prorusses de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Tout comme l’Ukraine, la Géorgie a le projet d’intégrer l’OTAN. C’est cette perspective de rapprochement vers l’Ouest qui est à l’origine des tensions actuelles entre Moscou, Kiev et l’Occident.

Lundi, la décision russe a été qualifiée de « nouvelle violation du droit international et une grave escalade » dans le conflit en cours par le Congrès ukrainien canadien.

« Une invasion russe totale de l’Ukraine devient chaque jour plus probable, a déploré la présidente de l’organisme, Alexandra Chyczij, dans une déclaration transmise au Devoir. Tant en paroles qu’en actes, Poutine indique clairement qu’il cherche à soumettre l’Ukraine et le peuple ukrainien à l’oppression colonialiste russe. »

Le Congrès demande au passage au « Canada et ses alliés [de] faire preuve d’unité face à l’agression de la Russie qui croît de façon exponentielle » et réclame « des sanctions dissuasives sévères contre l’économie russe et les responsables russes », mais également une augmentation « considérable de l’aide militaire et économique à l’Ukraine ».

Indignation

 

Ottawa a accordé un prêt de 500 millions à l’Ukraine pour la soutenir dans cette crise et a fourni pour 128 millions de dollars de matériels militaires à l’ex-république soviétique. Le premier ministre Justin Trudeau a indiqué sur Twitter que « le Canada condamne fermement la reconnaissance par la Russie de soi-disant “États indépendants” en Ukraine. C’est une violation flagrante de la souveraineté de l’Ukraine et du droit international. Le Canada soutient l’Ukraine et imposera des sanctions économiques en conséquence. » La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a partagé cette même publication sur son compte Twitter.La reconnaissance de l’indépendance des régions prorusses de l’Ukraine par Moscou a soulevé, sans surprise, l’indignation des pays occidentaux, à commencer par les États-Unis qui, tout en accusant la Russie de « violation flagrante » de ses engagements internationaux, ont annoncé lundi des sanctions ciblant les deux territoires.

La Maison-Blanche a annoncé la publication d’un « décret qui interdira tout nouvel investissement, échange ou financement par des personnes américaines à destination, en provenance ou dans les régions » prorusses de Donetsk et de Lougansk, a indiqué sa porte-parole, Jen Psaki.

« Que cela soit clair : ces mesures sont distinctes et s’ajouteraient aux mesures économiques rapides et sévères que nous avons préparées en coordination avec nos alliés et partenaires si la Russie venait à envahir davantage l’Ukraine », a précisé Washington par voie de communiqué.

Pour des « raisons de sécurité », les diplomates américains encore en Ukraine ont été déplacés en Pologne.

Le président français, Emmanuel Macron, a également appelé à des « sanctions européennes ciblées » contre Moscou et a convenu que le geste de la Russie « ne restera pas sans réponse », au terme d’un appel téléphonique avec ses homologues américain et allemand.

« L’Union [européenne] réitère son soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues », ont déclaré le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans un communiqué commun.

L'ONU et une majorité de membres du Conseil de sécurité ont condamné la reconnaissance par Moscou de l'indépendance des républiques sécessionnistes. Le Conseil de sécurité de l’ONU, à la demande notamment de ses membres occidentaux, a accepté de tenir lundi soir une réunion d’urgence publique sur la reconnaissance de l’indépendance des territoires séparatistes en Ukraine effectuée par la Russie, a appris l’Agence France-Presse auprès de diplomates.

La Russie, présidente en exercice du Conseil de sécurité en février, et qui en maîtrise les priorités, a voulu imposer une session à huis clos, mais les États-Unis s’y sont opposés.

Dans une lettre à son homologue russe, Vassily Nebenzia, l’ambassadeur de l’Ukraine à l’ONU, Sergiy Kyslytsya, s’est appuyé sur la Charte de l’ONU et les règles de procédure onusienne pour réclamer la présence d’un représentant de l’Ukraine à cette réunion d’urgence.

Au moment où ces lignes étaient écrites, il n’était pas clair si le chef de l’ONU, Antonio Guterres, qui a décidé de revenir précipitamment du Portugal à cause de la situation, pourrait participer à la réunion, comme l’a aussi demandé l’Ukraine.

Avec l’Agence France-Presse



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