Un ton calme avant la tempête en Ukraine?

D’un côté, l’ouverture au dialogue diplomatique. De l’autre, le bruit des bottes à la frontière.
Tout en laissant entrevoir un certain apaisement dans le conflit russo-occidental qui se joue sur le territoire de l’Ukraine depuis décembre dernier et en continuant de nier avoir des plans d’invasion, le président russe, Vladimir Poutine, a intensifié malgré tout cette semaine les mouvements de ses troupes le long de la frontière avec l’ex-république soviétique.
Des signaux contradictoires qui pourraient laisser croire que la bonne volonté exposée depuis quelques jours par le Kremlin pour éviter la guerre ne serait en fait qu’une tentative de diversion qui servirait à gagner du temps et à mettre la touche finale aux derniers préparatifs avant une attaque du territoire ukrainien.
Mercredi, le chef d’état-major des forces armées russes, le général Valery Gerasimov, est arrivé en Biélorussie, pays voisin de l’Ukraine, où la Russie et son allié de longue date ont planifié des exercices militaires conjoints de 10 jours qui débutent jeudi. Les principaux commandants militaires russes l’accompagnent, alors qu’au ministère des Affaires étrangères à Moscou, les hauts gradés continuaient, au lendemain du marathon diplomatique mené par la France et l’Allemagne, d’accuser l’Occident de « chantage et de pression », mais surtout d’attiser les tensions en armant l’Ukraine.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a d’ailleurs justifié les manœuvres militaires en Biélorussie en évoquant « des menaces sécuritaires sans précédent, beaucoup plus importantes et beaucoup plus dangereuses qu’auparavant », que les Occidentaux feraient désormais peser sur la Russie. L’élargissement de l’influence de l’OTAN à l’est, avec l’intégration possible de l’Ukraine dans l’Alliance, est une des composantes du nœud gordien.
Scénarios étudiés
Mardi, pendant que depuis Kiev, le président français, Emmanuel Macron, estimait aux côtés du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, avoir obtenu l’engagement de son homologue russe concernant une possible désescalade, le ministère russe de la Défense précisait ses nouvelles intentions dans la mer Noire.
Moscou y a déplacé six péniches de débarquement issues de sa flotte navale de la Baltique et du Nord, capables de transporter des milliers de soldats. Selon un communiqué de la marine russe, ces navires amphibies ont été déployés au large des côtes de l’Ukraine pour « participer à des exercices militaires prévus ». Or, avec les forces russes déjà en place dans la région, Moscou vient d’accroître ses capacités d’assaut en cas d’attaque du littoral ukrainien, dont le système de défense est limité, estiment des analystes militaires.
Une invasion de l’Ukraine par la mer Noire fait partie des scénarios possibles, selon une évaluation des risques réalisée par le politicologue Seth Jones et l’ex-agent de la CIA Philip Wasielewski publiée sur la page du Center for Strategic and International Studies. Elle affaiblirait l’ex-république soviétique en l’enclavant, après une prise de contrôle des ports du pays.
Le déploiement des troupes en Biélorussie vient pour sa part faire peser une menace sur la capitale, Kiev, située à peine à 220 kilomètres de la frontière entre les deux pays. Ces exercices militaires sont toujours perçus par les États-Unis comme un prétexte à une attaque qui pourrait intervenir « à tout moment », a dit la Maison-Blanche dimanche, et pourraient surtout fournir une couverture à un plan d’invasion de l’Ukraine en plusieurs temps.
Moscou doit par ailleurs composer avec une fenêtre d’opportunité courte pour une invasion terrestre en raison de la raspoutitsa, la saison du dégel crainte par les armées russes qui, à partir de mars en Ukraine, transforme les steppes gelées en champ de boue, compliquant ainsi le déplacement des troupes.
Perception bien réelle du risque
Une attaque, malgré les déclarations un peu plus apaisées du Kremlin, reste toujours possible, selon Lubomyr Luciuk, professeur de science politique au Collège militaire royal du Canada et spécialiste de l’Ukraine. « Un bluff de la part de Poutine ? Je n’y crois pas, dit-il en entrevue. Sa stratégie consiste à déchirer les liens qui unissent l’Ukraine à l’Europe pour convaincre la société ukrainienne qu’elle est seule, que l’Occident n’est pas aussi favorable à son intégrité territoriale et à son indépendance politique qu’elle espérait. » Et une invasion, en créant de possibles tensions à l’ouest sur la riposte à lui opposer, pourrait servir cette cause.
N’empêche, mercredi, la diplomatie ukrainienne affichait un ton plutôt optimiste à la veille du déclenchement des exercices militaires en Biélorussie, en voyant désormais « de vraies chances de règlement diplomatique » de la crise, a indiqué le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba.
Pour sa part, la vice-ministre ukrainienne de la Défense, Ganna Malyar, a rejeté l’idée d’un assaut russe imminent, qualifiant la menace de « chantage » russe visant à « ruiner les alliances politiques et sécuritaires des Occidentaux ». « On voit une concentration des forces armées, mais il n’y a pas de formation d’unités d’assaut. Nous ne voyons pas de mise en place d’infrastructures nécessaires à une escalade immédiate. »
En Europe, une invasion russe de l’Ukraine est perçue comme de plus en plus certaine par la majorité des habitants de la Pologne, de la Roumanie, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, indique un sondage publié mercredi par le Conseil européen des relations internationales. Une perspective que le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, a entretenue en déclarant que la Russie réfléchissait toujours à la réponse qu’elle allait donner au rejet de ses demandes par Washington et l’OTAN et que la décision définitive reviendrait à Vladimir Poutine. Le président qui, lundi, lors de sa rencontre avec M. Macron, a promis de manière nébuleuse de ne pas être « à l’origine de l’escalade », répétant ainsi avec d’autres mots ses attaques contre Washington, qu’il accuse d’être responsable de cette crise dont l’issue reste toujours incertaine.
Avec l’Agence France-Presse