La thèse de l’animal vivant à l’origine de la pandémie se renforce

Pandémie, an 2 : aux origines de la crise sanitaire, la thèse de la contamination animale semble de plus en plus se confirmer. Une perspective non moins inquiétante que celle d’une fuite de laboratoire, et ce, en raison des nombreuses autres épidémies que ce virus découvert dans la nature laisse désormais présager pour l’avenir. Deuxième texte d’une série de deux.

D’incertitudes en revirements. L’origine possible de la pandémie de COVID-19 a été déplacée une fois de plus il y a quelques jours avec la publication dans la revue scientifique Science d’une nouvelle étude qui remet sérieusement en question l’identité même du patient zéro, établi il y a plus d’un an par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

L’agence sanitaire internationale indiquait dans un rapport qu’un homme de 41 ans ayant fréquenté le désormais célèbre marché d’animaux de Wuhan, en Chine, mais sans lien direct avec l’endroit, était le premier porteur du coronavirus, qui s’est répandu ensuite à l’échelle du globe.

Or, pour Michael Worobey, virologue et chef du Département d’écologie et de biologie évolutive de l’Université de l’Arizona, la première contamination aurait plutôt frappé une vendeuse de fruits de mer travaillant dans ce marché et fut décelée cinq jours plus tôt.

Le détail a son importance, puisqu’il est porté par un scientifique qui s’est fait connaître pour avoir appelé dans les pages de la même revue scientifique à considérer sérieusement l’hypothèse d’une fuite de laboratoire pour expliquer la pandémie en cours. Une origine qu’il remet désormais en question au regard de ses travaux qui livrent, selon lui, « des preuves solides en faveur d’une origine de la pandémie via un animal vivant », présent dans ce marché.

Le virus se serait propagé principalement dans le secteur ouest du marché, occupé en partie par des marchands de chiens viverrins, une sorte de raton laveur prisé pour sa fourrure. L’animal pourrait être l’hôte intermédiaire recherché.

« Dans cette ville de 11 millions d’habitants, la moitié des premiers cas sont liés à un lieu de la taille d’un terrain de soccer, a résumé Michael Worobey dans les pages du New York Times. Il devient très difficile d’expliquer cette tendance si l’épidémie n’a pas démarré dans ce marché. »

Une concordance de faits

 

« La fuite de laboratoire peut exister. C’est sûr. Cela s’est déjà vu, commente le virologue Jean-Paul Gonzalez, spécialiste des enquêtes sur les origines de pandémies et qui enseigne à l’Université de Georgetown. Mais il y a, dans le cadre de cette pandémie, une concordance de faits qui, depuis le début, pointe vers une origine de nature animale. »

La chauve-souris est porteuse d’un nombre élevé de souches de coronavirus, souches qu’un autre animal, dit hôte, aurait permis de faire passer chez l’humain.

« Pour les scientifiques, il y a des hypothèses qui sont faciles à repousser du revers de la main, comme celle de la fuite de laboratoire. Mais pour les politiciens, c’est un peu plus compliqué, ajoute-t-il. L’origine animale n’est toutefois pas moins grave. Elle l’est même un peu plus, puisqu’elle présuppose qu’il va y avoir à l’avenir un SRAS-CoV-3, puis 4, puis 5… D’où l’importance de bien trouver, et surtout de bien comprendre l’origine de ce coronavirus » sans lequel la pandémie de COVID-19 n’aurait pas existé.

En février 2020, soit deux à trois mois après les premiers cas de contamination, des chercheurs chinois ont découvert chez des chauves-souris au Yunnan une souche de coronavirus nommée RaTG13 et identique à 96,2 % au SRAS-CoV-2, le virus à l’origine de la pandémie actuelle.

En septembre dernier, une nouvelle analyse publiée dans les pages de la revue Nature a confirmé la découverte faite un an plus tôt par des chercheurs de l’Institut Pasteur qui ont isolé chez des chauves-souris au Laos trois coronavirus partageant de grandes similitudes avec le SRAS-CoV-2. Le génome de ces trois souches est similaire à 95 % à celui du SRAS-CoV-2, et l’un d’eux, baptisé Banal-52, est, avec 96,8 %, le plus proche parent du SRAS-CoV-2 jamais découvert à ce jour.

« Lorsque le SRAS-CoV-2 a été séquencé pour la première fois, le domaine de liaison au récepteur [région cruciale de la protéine de spicule qui permet au virus de s’accrocher à une cellule pour la contaminer] ne ressemblait vraiment à rien de ce que nous avions vu auparavant, explique dans l’article Edward Holmes, virologue à l’Université de Sydney en Australie. Cela a amené certaines personnes à spéculer sur un virus créé dans un laboratoire. Mais les coronavirus du Laos confirment que ces parties du SRAS-CoV-2 existent aussi dans la nature. »

La nécessité du savoir

 

Pour Christian Bréchot, président du Global Virus Network, le virus de la COVID-19 « était probablement en circulation depuis la fin du mois d’août ou le début du mois de septembre 2019 », dit-il, depuis Tampa en Floride, où ce virologue enseigne à l’Université de Floride du Sud. « Mais on ne pourra jamais le savoir avec certitude en raison de l’opacité et du manque d’accès aux échantillons détenus par la Chine. »

Paradoxalement, Pékin s’est montré prompt à partager avec le reste de la planète le séquençage du SRAS-CoV-2, dès le 5 janvier 2020, afin d’en permettre son diagnostic partout sur la planète. « Mais il a été impossible de faire des recherches très tôt sur le terrain en Chine. Conséquence : deux ans plus tard, nous ne sommes toujours pas en mesure de trouver l’animal hôte, ce qui, dans les circonstances, n’est pas très habituel. »

70%
C’est le pourcentage des infections émergentes qui sont causées par des transmissions à l’humain par des animaux, selon Christian Béchot, le président du Global Virus Network.

Dans le cas de la première épidémie de SRAS, entre 2002 et 2004, l’OMS a réussi à collecter assez d’informations 14 mois après le début de la pandémie pour établir un lien entre ce coronavirus et la civette, l’animal hôte qui a permis le passage de ce coronavirus entre les espèces.

Depuis le début de la crise sanitaire actuelle, le pangolin, le vison, le chien viverrin, la civette, les chats domestiques ou encore le blaireau furet ont été tour à tour pointés du doigt pour leur participation éventuelle dans la contamination de masse en cours.

« Dans l’immédiat, connaître cet animal ne changera rien, assure M. Bréchot. Mais d’un point de vue global, cela reste une information importante puisque 70 % des infections émergentes sont causées par des transmissions à l’humain par des animaux. Il faut donc connaître le plus possible les animaux qui sont impliqués dans ces transmissions », pour être capables de les voir venir, les prévenir et les combattre.

Un savoir qui pourrait protéger des pandémies à venir. En théorie du moins. « Depuis deux ans, nous avons beaucoup appris, mais allons-nous tirer les bonnes leçons ? demande Jean-Paul Gonzalez. En 1976, après la découverte du virus Ebola, nous avions tout compris de sa virologie, mais cela n’a pas empêché d’avoir 27 épidémies qui ont fait plus de 15 000 morts, et ce, surtout à cause de la politique et de l’économie. Mais certainement pas de la science », conclut-il.



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