Un sommet de l’ONU sur l’alimentation critiqué de toutes parts

Appels au boycott par au moins 600 organisations et désaveu des experts en droits humains de la même organisation : le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires qui s’ouvrait jeudi matin à New York s’avère un rendez-vous sous tension.
« Je peux vous dire que le sommet a déjà échoué », annonçait déjà à la veille de cet événement Michael Fakhri, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation. Avec deux autres collègues occupant des fonctions semblables, ils ont dit craindre que ce sommet « abandonne les personnes les plus vulnérables et marginalisées ». La sécurité alimentaire et les droits humains devraient être au centre des préoccupations des États qui participent au rendez-vous, « mais l’influence des corporations [agroalimentaires] a été complètement éclipsée » des discussions, a écrit M. Fakhri.
Plus de 600 groupes et individus ont aussi signé un appel à boycotter la conférence internationale qui prend place sur fond d’Assemblée générale de l’ONU, incluant la National Farmers Union, un syndicat national des cultivateurs du Canada. Les signataires reprochent aux géants de l’industrie comme Nestlé, Dupont et Bayer d’avoir été trop impliqués dans toutes les discussions préalables menant au sommet, entre autres pour identifier des « solutions » mises de l’avant par les États participants. « [Nous] rejetons la colonisation corporative en cours des systèmes alimentaires et de la gouvernance sous la façade » de ce sommet, écrivent-ils dans leur déclaration.
Ces voix discordantes rappellent qu’une poignée de multinationales domine toute la chaîne alimentaire, des semences aux pesticides en passant par les abattoirs et les supermarchés. Les petits producteurs, les mouvements des sans-terre, de l’agriculture paysanne et autochtone demandent ainsi de remettre agroécologie au centre de la transformation des systèmes alimentaires.
José Graziano da Silva, un ancien directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a aussi parlé de « nutri-washing » sur les réseaux sociaux. Inspiré du mot-valise anglais « greenwashing » (écoblanchiment), le mot se veut une critique trop de propositions « qui reflètent les voix de personnes bien nourries et trop peu pour mettre fin à la faim et d’autres formes de malnutrition ».
L’ingérence du lobby de la production de viande a notamment été mise au jour par des organisations environnementalistes. Des documents obtenus par Greenpeace Unearthed et vérifiés par le journal britannique The Guardian ont montré comment une coalition d’associations du bœuf et de la volaille a fait pression sur un groupe de travail. La coalition appelait l’ONU à soutenir la consommation accrue de viande, sous l’argument que les avancées techniques pourraient « contribuer à la préservation des ressources planétaires ». Cette affirmation est notamment contraire aux recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui demande de limiter la consommation de viandes à travers le monde.
Des problèmes urgents
Dans son discours, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres ne s’est pas caché des profonds problèmes auxquels les pays participants sont confrontés : deux milliards de personnes sont en surpoids ou obèses, des centaines de millions « vont au lit en ayant faim », le tiers de la nourriture produite mondialement est gaspillé et sa production génère trop de gaz à effet de serre.
La faim et la malnutrition touchent un plus grand nombre de personnes sur la planète depuis l’an dernier, et cette hausse importante est due à la pandémie, a indiqué un rapport de l’ONU publié dans la foulée de ce sommet.
L’UNICEF y allait aussi de ses conclusions dans une autre analyse selon laquelle l’alimentation des enfants en bas âge n’aurait connu aucune amélioration au cours des dix dernières années. « Les conclusions du rapport sont sans appel : alors même qu’ils se trouvent à un stade crucial de leur développement, des millions d’enfants en bas âge ne bénéficient pas d’une alimentation appropriée », a déclaré mercredi Henrietta Fore, directrice de l’UNICEF. La pandémie de COVID-19 y aurait contribué plus récemment, mais la hausse des inégalités, les conflits et les catastrophes climatiques sont pointés comme responsables dans la dernière décennie.