Le Canada exhorté à rapatrier ses ex-combattants du groupe EI

Environ 10 000 combattants présumés du groupe armé État islamique et leurs familles, dont des Canadiens, sont maintenus dans des camps de détention au nord de la Syrie. En photo, des prisonniers étaient libérés du camp Al-Hol, sous contrôle kurde, le 2 juin dernier.
Photo: Delil Souleiman Agence France-Presse Environ 10 000 combattants présumés du groupe armé État islamique et leurs familles, dont des Canadiens, sont maintenus dans des camps de détention au nord de la Syrie. En photo, des prisonniers étaient libérés du camp Al-Hol, sous contrôle kurde, le 2 juin dernier.

Ottawa refuse toujours de préciser ses intentions sur le rapatriement ou non de la cinquantaine de citoyens canadiens détenus en Syrie après avoir combattu au sein du groupe État islamique (EI), et ce, même si lundi le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a qualifié « d’intenables » ces détentions sans issue et a appelé les alliés des États-Unis, dont le Canada, à mettre un terme au statu quo.

« Les États-Unis continuent d’exhorter les pays, y compris les partenaires de la coalition, à rapatrier, à réhabiliter et, le cas échéant, à poursuivre en justice leurs citoyens », a déclaré depuis Rome en Italie le chef de la diplomatie américaine lors d’une réunion de la coalition contre le groupe EI.

Selon lui, le maintien en détention actuellement de 10 000 combattants présumés du groupe terroriste et de leurs familles, au nord de la Syrie, dans des camps sous contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les militaires kurdes, demeure une « situation [qui] ne peut tout simplement pas persister indéfiniment ».

De ce nombre, 47 prisonniers sont des citoyens canadiens, dont 13 femmes et 26 enfants, selon l’organisme Human Rights Watch.

Depuis des années, le Canada, tout comme la France et la Grande-Bretagne, est réticent à l’idée de faire revenir ces citoyens au pays en raison des perceptions négatives que pourrait induire une telle démarche au sein de l’électorat. L’an dernier, Justin Trudeau a évoqué la sécurité du personnel diplomatique qu’il faudrait envoyer sur le territoire syrien, toujours aux prises avec une guerre civile, pour justifier l’inertie d’Ottawa dans ce dossier.

Photo: Delil Souleiman Agence France-Presse

En après-midi lundi, le ministère fédéral des Affaires étrangères, contacté par Le Devoir, n’a pas voulu préciser ses intentions devant l’appel à l’action lancé par M. Blinken. Tout au plus a-t-il répété que « les capacités du gouvernement du Canada à fournir une assistance consulaire en Syrie sont extrêmement limitées », mais que ses représentants sur le terrain travaillent activement avec les autorités kurdes syriennes « pour obtenir des renseignements sur les Canadiens sous leur garde », a indiqué une porte-parole.

Ottawa considère toujours ses ressortissants radicalisés, vivant à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, comme une menace sérieuse à la sécurité du pays. 

Pourtant, plusieurs pays, dont l’Italie, le Kazakhstan ou le Kosovo, ont rapatrié leurs citoyens radicalisés au temps du groupe EI, en surmontant l’ensemble des difficultés liées au contexte de détention des soldats du groupe terroriste et de leur famille. Antony Blinken a d’ailleurs salué l’action de l’Italie, hôte de la réunion de la coalition contre le groupe EI, rare pays occidental à avoir assumé ses responsabilités internationales face à ce groupe de prisonniers.

« Des raisons politiques »

« Il n’y a pas d’enjeu de sécurité particulier lié à ces retours au pays », estime en entrevue au Devoir, Cécile Rousseau, pédopsychiatre à l’Université McGill qui suit de près depuis des années la question du rapatriement des enfants de Daech — autre nom donné au groupe EI — et de leurs mères, qui composent la grande majorité du contingent canadien détenu en Syrie. « Actuellement, rapatrier ces femmes et ces enfants, ce n’est pas dangereux. Nous avons les capacités et les ressources pour le faire. Depuis longtemps. Si rien ne se passe, ce n’est pas faute de moyens, mais pour des raisons politiques. »

Selon elle, la perspective électorale qui se profile à l’horizon au Canada et le caractère minoritaire du gouvernement libéral en place viennent forcément compliquer la démarche. « Comment ces rapatriements vont être perçus, se demande-t-elle, comme un geste humanitaire ou une menace, en raison des fantômes que cela va évoquer ? »

Le groupe EI a fait régner la terreur entre 2006 et 2017 en Syrie et en Irak, où il a dirigé un vaste califat autoproclamé, mais a également frappé plusieurs capitales du monde par des dizaines d’attentats revendiqués par l’organisation. Son régime a été marqué par la haine de l’Occident et la brutalité contre les minorités religieuses et les femmes. Il a perdu la majorité de son territoire en Irak et en Syrie, mais son influence croît toujours dans quelques pays africains.

Dans un rapport cinglant publié en 2020, Human Rights Watch a accusé le gouvernement canadien de bafouer ses « obligations internationales en matière de droits de la personne » en refusant de venir en aide à ses ressortissants détenus dans des camps en Syrie en raison de leurs liens présumés avec Daech.

Selon l’organisation internationale, Ottawa a manqué à ses obligations d’adopter des mesures « nécessaires et raisonnables pour aider les ressortissants étrangers à faire face à de graves abus, y compris des risques pour leur vie », mais aussi leur éviter « la torture et des traitements inhumains et dégradants ».

Dans un communiqué diffusé lundi, la coalition contre le groupe EI a mis en exergue « ses graves préoccupations » sur le sort des prisonniers en Syrie et a insisté sur la nécessité de trouver « une solution globale et de long terme ».

« Nous sommes face à des femmes et à des enfants qui vivent en situation précaire dans des camps qui ne sont pas des endroits pour vivre, et surtout pas pour y grandir, dit Cécile Rousseau. Plus on attend pour les rapatrier et plus leur réadaptation, leur réhabilitation, va être longue et compliquée. »

Avec l’Agence France-Presse

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