La diplomatie vaccinale reprend de plus belle et divise le monde

L’idée de la diplomatie vaccinale est apparue avec la crise.
Photo: Farah Abdi Warsameh Associated Press L’idée de la diplomatie vaccinale est apparue avec la crise.

L’approvisionnement en vaccins anti-COVID-19 suscite à nouveau les inquiétudes dans le monde. Certains pays interdisent ou suspendent les exportations. D’autres utilisent au contraire la diplomatie vaccinale pour s’amadouer des alliés, réels ou potentiels. Cette dynamique en contrastes se joue sur fond de nouvelle vague épidémique qui submerge et inquiète la planète. Frédéric Mérand expose et explique les enjeux de cette géopolitique sanitaire. Il est professeur de science politique et directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.


 

La diplomatie vaccinale a-t-elle des précédents ?

L’idée de la diplomatie vaccinale est apparue avec la crise. C’est une des nouveautés de cette pandémie. Par contre, ce phénomène reflète une situation plus générale qui existe depuis longtemps, soit l’usage du soft power en relations internationales, et de manière plus cynique de la propagande. La distribution de l’aide alimentaire ou l’investissement dans les grands projets d’infrastructure répondent à des besoins, mais se font de manière intéressée. La politique étrangère manipule toujours la coopération. Toute l’aide au développement,depuis ses débuts, a toujours été extraordinairement politisée. Il a été démontré par exemple que quand un État veut être élu au Conseil de sécurité de Nations unies, curieusement, son aide au développement vers les pays susceptibles de l’élire augmente. C’est aussi connu que l’aide étrangère sert à acheter des produits et des services dans le pays donateur. Il n’y a pas que des considérations économiques. L’influence par l’image devient aussi importante. En diplomatie vaccinale, on voit bien que la Chine ou la Russie offrent des vaccins pour accroître leur réputation,dorer leur image, se faire des amis et au passage montrer que les Américains et les Européens ne distribuent pas de vaccins.

L’opportunisme et la générosité ne sont donc pas incompatibles ?

Il y a un paradoxe. Ce serait mal venu de critiquer les Chinois ou les Russes qui distribuent des vaccins abordables en Amérique du Sud alors que les États-Unis n’autorisent aucune exportation de vaccins. Ce n’est pas comme s’il y avait concurrence entre les détenteurs des doses. Par ailleurs, les Russes et les Chinois offrent des produits à l’étranger sans avoir vacciné toute leur population. On voit ici que c’est vraiment la diplomatie qui compte le plus. On est face à un problème épineux sans solution facile dans l’équilibre des responsabilités nationales et internationales.

Pourquoi les États-Unis ne s’engagent-ils pas à fond dans cette voie de la diplomatie par le vaccin ?

Washington doit composer avec des conséquences de décisions prises à l’époque de Donald Trump. Les contrats avec les pharmaceutiques ont été signés sous l’ancienne présidence. La décision de ne pas participer à l’initiative COVAX d’accès équitable à la vaccination dans le monde date de ce moment. Personne n’était étonné puisqu’il s’agissait bien de Donald Trump. Je ne suis pas sûr que Joe Biden va continuer dans la même voie très longtemps même s’il ne peut pas non plus être le président qui fait diminuer le rythme de vaccination dans son pays. Il y a un risque : si tout le monde se précipite sur les doses, il n’y en aura pas assez pour tout le monde. Vaut donc mieux coordonner les achats collectifs. Tous les pays en sont conscients, mais en pratique, les dirigeants politiques se font tous attaquer dans leur propre pays parce que la vaccination ne va pas assez vite ou pas aussi vite que chez le voisin. Même Joe Biden est soumis à cette pression et on voit ce que ça donne en Europe, qui durcit son contrôle des exportations.

On dit que la charité bien ordonnée commence par soi-même. N’est-ce pas compréhensible de se servir d’abord ?

La production des vaccins n’a pas été une affaire nationale. Il n’y a aucun vaccin national. Une entreprise américaine peut travailler avec une entreprise allemande sur une base composée en Suisse qui sera finalement déplacée vers une usine en Belgique, et pour une production à plus grande échelle en Inde, où là encore peuvent intervenir des chercheurs en provenance de nouveaux pays et peut-être du financement canadien. Depuis le début, cette histoire est internationale alors que la livraison demeure nationale. Des pays ont alors l’impression que le vaccin leur appartient. Le Canada est une victime collatérale dans ce portrait. Il n’y a pas d’industrie pharmaceutique ici capable de produire le vaccin. Le Canada est un importateur total, ce qui nous met dans une situation d’extrême dépendance. Si on était un pays pauvre, ce serait encore pire.

Quelle carte reste-t-il à jouer au Canada ?

On voit l’avantage d’avoir des amis. Le cas précis du Canada fait qu’il reçoit tous ses vaccins de l’Europe. Washington va peut-être nous envoyer des doses, mais la fourniture se fait d’Europe. Il y a donc un risque que nous devenions une victime collatérale de la guerre des vaccins. L’Union européenne (UE) a décidé de bloquer les exportations de vaccins vers les pays qui n’exportent pas de vaccins vers l’Europe ou qui ont déjà vacciné leur population dans une proportion supérieure à celle de l’Europe. L’UE s’est fait avoir par le Royaume-Uni et le vaccin AstraZeneca. L’opinion publique se plaint. Les dirigeants politiques doivent faire des choix qui pourraient menacer le Canada. Mais je ne crois pas que ce sera le cas parce que le Canada entretient de bonnes relations avec l’Union européenne. Je ne crois pas que les mécanismes de blocage ont été pensés pour s’appliquer à un pays ami comme le nôtre. Mais si un pays a de mauvaises relations avec l’Union, il a de quoi s’inquiéter, ça, c’est sûr.

On voit l’avantage d’avoir des amis. Le cas précis du Canada fait qu’il reçoit tous ses vaccins de l’Europe. Washington va peut-être nous envoyer des doses, mais la fourniture se fait d’Europe. Il y a donc un risque que nous devenions une victime collatérale de la guerre des vaccins.

 

On peut aussi se comparer à des pays qui font mieux, non ?

En mondialisation, on se compare toujours à son voisin. Je trouve que l’exemple très frappant de cette tendance, auquel contribuent puissamment les médias, c’est Israël comme étalon auquel on devrait se comparer. Dans le contexte où il n’y a pas assez de vaccins dans le monde, l’idée de prendre un pays de 8 millions d’habitants comme modèle est intenable. Cette réussite n’est possible que dans le contexte où un ou deux pays font cavalier seul parce qu’ils en ont les moyens ou qu’ils sont tout petits, ou qu’ils ont des accords spéciaux pour y arriver, ou que comme les États-Unis ils contrôlent une partie importante de la production. C’est le fameux problème du passager clandestin, qui désigne en économie ou en sociologie celui qui veut bénéficier d’un service sans en assumer pleinement les coûts. La tentation d’y aller solo est toujours forte sachant en plus que le reste du monde va vous admirer si vous le faites.

En l’absence de coordination mondiale efficace, la concurrence s’avère donc bénéfique ?

Dans un sens oui. Si les Américains étaient les seuls à posséder le vaccin, ce ne serait pas une position enviable d’être un ennemi des États-Unis. On est maintenant en face d’un produit extrêmement rare alors que dans l’industrie de l’armement, par exemple, il y a une grande disponibilité de produits et de fournisseurs. La Chine, la Russie ou l’Europe veulent bien aider d’autres pays, pour toutes sortes de raisons, mais il y a une vraie contrainte sur la production. Cette situation va changer quand on produira des milliards et des milliards de doses. Le vaccin est un bien public. Le mieux serait que le monde entier en profite, ce serait le meilleur moyen de lutter, sauf qu’il y a une forte incitation à ne rouler que pour soi-même. Le nœud de l’affaire concerne donc les contrats signés avec les compagnies. Certains pays peuvent s’approprier toute la production. D’autres peuvent agir autrement.

Quelles leçons doit-on tirer par rapport à la réaction mondiale à d’autres problèmes mondiaux, dont les changements climatiques ?

Je n’étais pas très optimiste pour ce qui est de la coopération mondiale avant la pandémie et je ne crois pas que le vaccin soit le pire exemple de coopération. Le problème des vaccins par exemple n’est pas si difficile à résoudre : il y a un problème de production à court terme d’un produit peu dispendieux. Il y aura abondance de vaccins d’ici quelques mois. Pour les changements climatiques, la situation était et est encore bien pire.

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