La sécurité alimentaire mondiale en question
Perturbations des marchés des denrées agricoles, manque de bras dans les champs, protection déficiente des salariés de l’agroalimentaire face au coronavirus : dans un rare communiqué commun, les dirigeants des trois organisations multilatérales chargées de l’alimentation, de la santé et du commerce, FAO, OMS et OMC, mettent en garde contre un risque de crise alimentaire mondiale.
Si certains pays exportateurs de céréales de base étaient tentés de retenir leurs récoltes par crainte de manquer ou pour faire baisser les prix, d’autres, plus fragiles, à l’autre bout de la chaîne alimentaire mondialisée, risquent de traverser des pénuries graves, préviennent les trois organisations.
« Les incertitudes liées à la disponibilité de nourriture peuvent déclencher une vague de restrictions à l’exportation », provoquant elle-même « une pénurie sur le marché mondial », soulignent le Chinois Qu Dongyu, qui dirige l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et le Brésilien Roberto Azevedo, dirigeant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Selon eux, il est « important » d’assurer les échanges commerciaux « afin d’éviter des pénuries alimentaires », notamment dans les pays les plus pauvres.
Pour les experts de la FAO, l’agence onusienne chargée de l’agriculture et de l’alimentation, les « restrictions à l’exportation » débouchent parfois sur des famines dans d’autres coins du globe.
« Émeutes de la faim »
Après la crise financière de 2007, « quelques pays producteurs de riz comme l’Inde et le Vietnam ont placé des restrictions à l’exportation car ils s’inquiétaient de la hausse des prix, ce qui a en retour fait augmenter les prix mondiaux, et contribué à créer des émeutes de la faim dans certains pays en développement », rappelle Abby Abbassian, économiste principal de la FAO, interrogé par téléphone par l’AFP à Rome.
Les trois organisations internationales s’inquiètent d’autres facteurs menaçant la chaîne alimentaire mondiale.
Le « ralentissement de la circulation des travailleurs de l’industrie agricole et alimentaire » bloque de nombreuses agricultures occidentales. Avec la fermeture des frontières due au coronavirus, elles se découvrent toutes en même temps dépendantes de main-d’œuvre venue d’ailleurs : Latino-Américains aux États-Unis, Maghrébins pour récolter les fraises en Espagne, backpackers européens en Australie, travailleurs agricoles d’Europe de l’Est dans les champs d’asperges en Allemagne…
Autre maillon suscitant l’inquiétude, les « retards aux frontières pour les conteneurs » de marchandises, qui entraînent un « gâchis de produits périssables et une hausse du gaspillage alimentaire ».
Au plus fort de la crise du coronavirus en Chine, des bateaux chargés de conteneurs de lait en poudre venant d’Europe n’ont même pas pu être déchargés par manque de main-d’œuvre dans les ports, par exemple.
Par ailleurs, alors que des salariés de l’emblématique magasin bio américain Whole Foods, propriété d’Amazon, se mettent en grève pour leur santé face au coronavirus, les trois organisations internationales s’inquiètent aussi du besoin de « protection » du personnel de la production alimentaire ou de la distribution.
Leur souci est aussi bien de « minimiser la propagation du virus » dans ce secteur que de « maintenir les chaînes d’approvisionnement alimentaire ». Par temps de pandémie, l’alimentation est devenue prioritaire pour des centaines de millions de personnes confinées dans le monde.
Pour les experts
de la FAO, les « restric-tions à l’expor-tation » débouchent parfois sur des famines dans d’autres coins du globe