Le fondateur de L'Arche, Jean Vanier, accusé d'agression sexuelle

Jean Vanier, le fondateur de L'Arche, était très respecté pour son travail auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle partout à travers le monde.
Photo: Justin Tallis Archives Agence France-Presse Jean Vanier, le fondateur de L'Arche, était très respecté pour son travail auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle partout à travers le monde.

Jean Vanier, une figure catholique hautement respectée à travers le monde pour son travail auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle, tombe en disgrâce moins d’un an après sa mort.

L’organisation internationale L’Arche a révélé samedi dans un rapport que son défunt fondateur avait agressé sexuellement au moins six femmes de sur une période allant de 1970 à 2005. Selon une enquête interne, Jean Vanier a « usé de son ascendant » « dans des conditions d’emprises psychologiques » pour profiter de ces femmes sur plus d’une trentaine d’années. Le rapport n’exclut pas qu’il ait fait d’autres victimes.

Durant l’enquête menée par la firme britannique indépendante GCPS Consulting, les six femmes — toutes adultes et sans aucune déficience — ont rapporté leur grande vulnérabilité au moment des faits reprochés, souvent pendant qu’elles étaient en quête d’accompagnement spirituel.

Au cours d’une entrevue téléphonique réalisée samedi par La Presse canadienne, Jocelyn Girard, un ancien responsable de deux communautés de L’Arche, a dit vivre une grande déception.

M. Girard raconte avoir rencontré Jean Vanier à plusieurs reprises pendant son évolution au sein de L’Arche en France et au Québec, de 1998 à 2010.

Il est resté marqué par « l’aura rayonnante, tellement grande » dont jouissait Jean Vanier dans l’organisation. M. Girard a aujourd’hui une pensée pour les victimes, « qui sont restées dans cette espèce d’état de tension intérieure entre le saint homme, celui qui est adulé, et leur propre souffrance ».

Il avance l’hypothèse selon laquelle Jean Vanier était peut-être « sincère dans ses convictions par rapport à ce mysticisme érotico-spirituel », à l’instar de celui du mouvement raëlien.

Celui qui enseigne aujourd’hui à l’Institut de formation théologique et pastorale de Saguenay craint que cette ombre au tableau prive les communautés de L’Arche de précieux financement.

« Mon expérience de douze ans n’est pas entachée par la déchéance du fondateur. Elle est attristée, certainement, parce que c’est l’homme qui l’a inspirée, inévitablement. Mais l’oeuvre, la vie vécue dans les communautés de L’Arche, pour moi, c’est quelque chose qui demeure », a-t-il fait valoir.

« Les personnes et les assistants qui ont été transformés pour le reste de leur vie vont maintenant devoir assumer que ce n’est pas Jean Vanier qui les a transformés, mais bien les personnes les plus fragiles, les personnes avec un handicap », a-t-il ajouté.

Douleur

 

Dans un communiqué publié samedi, en France, l’organisation oecuménique s’engage à ce que « ses 154 communautés à travers le monde soient des lieux de sécurité et de croissance pour tous ses membres, avec ou sans handicap. »

« Rien dans l’enquête ne permet de penser que des personnes en situation de handicap ont été concernées », insiste-t-on.

« Nous mesurons le trouble et la douleur que ces informations vont provoquer chez beaucoup d’entre nous, à l’intérieur de L’Arche, mais aussi à l’extérieur, tant [Jean Vanier] aura inspiré et réconforté de nombreuses personnes partout dans le monde », ont écrit les responsables de L’Arche internationale, Stephan Posner et Stacy Cates Carney, dans une lettre adressée à leurs membres répartis dans 38 pays.

« Nous sommes bouleversés par ces découvertes et nous condamnons sans réserve ces agissements en totale contradiction avec les valeurs que Jean Vanier revendiquait par ailleurs, incompatibles avec les règles élémentaires de respect et d’intégrité des personnes, et contraires aux principes fondamentaux de nos communautés », déclarent-ils. On y reconnaît aussi la « souffrance et le courage de ces femmes » qui ont témoigné.

En 2015, L’Arche Internationale avait été secouée par des révélations concernant ce qu’elle caractérise comme les « théories et pratiques déviantes » du père Thomas Philippe, qui avait joué un rôle important dans sa fondation en tant que père spirituel de Jean Vanier.

Le père Thomas avait déjà été sanctionné par l’Église pour ses inconduites sexuelles — par lesquelles il disait rechercher et communiquer une expérience mystique. En vertu du droit canonique, on lui avait interdit d’accomplir tout ministère jusqu’à sa mort, en 1993.

Jean Vanier avait nié avoir connaissance des comportements de son père spirituel, mais des allégations similaires soulevées contre lui ont poussé L’Arche à lancer une enquête en mars dernier, peu de temps avant sa mort, à Paris, à l’âge de 90 ans.

Les recommandations de la firme de consultation GCPS seraient encore à venir, mais L’Arche s’engage immédiatement à évaluer ses dispositifs existants pour prévenir de tels abus et à mettre en place une procédure centralisée de signalement sûr et confidentiel. Le tout, avec l’assistance de personnes extérieures à L’Arche.

Né en Suisse, Jean Vanier était le fils du Montréalais Georges Vanier qui a été diplomate et gouverneur général du Canada de 1959 à 1967. Il a été fait compagnon de l’Ordre du Canada en 1989, reçu grand officier de l’Ordre national du Québec en 1992 et fait Chevalier de la Légion d’honneur, en France, en 1994.

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