L’Iran va-t-il riposter?

En colère, les Iraniens sont descendus dans les rues de Téhéran, vendredi, pour protester contre l’attaque américaine.
Photo: Vahid Salemi Associated Press En colère, les Iraniens sont descendus dans les rues de Téhéran, vendredi, pour protester contre l’attaque américaine.

Donald Trump a fait vendredi ce que ses prédécesseurs ont refusé de faire pour éviter toute escalade : abattre le puissant général iranien Qassem Soleimani. Un geste jugé irréfléchi aux États-Unis comme ailleurs, et qui enflamme une relation déjà tendue avec l’Iran. La riposte de Téhéran pourrait d’ailleurs se faire sentir jusqu’au Canada.

Le tir d’un drone américain a pulvérisé tôt vendredi deux véhicules où prenaient place Qassem Soleimani ainsi que son bras droit en Irak, Abou Mehdi al-Mouhandis. Les deux hauts gradés militaires quittaient l’aéroport de Bagdad, capitale du pays.

Architecte de l’expansion iranienne au Moyen-Orient, Soleimani dirigeait les forces Al-Qods, une unité d’élite des Gardiens de la révolution chargée d’intervenir en sol étranger. Elle est classée organisation terroriste par les États-Unis et le Canada.

Al-Mouhandis — surnommé « l’ingénieur » — était quant à lui le numéro deux du Hachd al-Chaabi, une coalition paramilitaire chiite qui a mené le combat contre le groupe État islamique (EI) en Irak. Désormais intégrée à l’armée, elle est dominée par des factions pro-Iran.

Le raid américain a fauché en tout la vie d’au moins dix personnes, selon des responsables des services de sécurité irakiens. Peu de détails ont toutefois filtré sur l’identité des autres victimes.

Le Pentagone s’est aussi gardé d’exposer minutieusement cette opération inédite. « Sur ordre du président, l’armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l’étranger », a-t-il néanmoins indiqué par communiqué.

Photo: Office of the Iranian Supreme Leader Le général Qassem Soleimani, chef de la Force Qods des Gardiens de la révolution, a été tué par un tir de drone américain.

De son côté, Donald Trump a lancé sur Twitter que Soleimani « aurait dû être éliminé il y a des années », lui qui a tué et grièvement blessé « des milliers d’Américains sur une longue période et prévoyait d’en tuer beaucoup d’autres ». Un message repris par son secrétaire d’État et chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo.

Celui-ci a en effet soutenu que le général iranien préparait une « action d’envergure » menaçant des « centaines de vies américaines », sans fournir plus de détails. Il a toutefois assuré sur les ondes de CNN que les États-Unis souhaitaient la « désescalade » après l’attaque.

Cela étant, Washington a pressé ses ressortissants de quitter l’Irak « immédiatement ». Entre 3000 et 3500 soldats supplémentaires seront aussi déployés au Moyen-Orient, un nombre qui s’ajoute aux 750 militaires envoyés plus tôt cette semaine au Koweït, limitrophe de l’Irak.

« Le président Trump vient de jeter un bâton de dynamite dans une poudrière, et il doit au peuple américain une explication », a fustigé pour sa part Joe Biden, ancien vice-président et candidat pour la présidentielle de novembre. Un sentiment partagé à l’unisson par les démocrates, mais rejeté par le camp républicain.

Représailles

 

En Iran, la réaction au raid ne s’est pas fait attendre. Le guide suprême du pays, Ali Khamenei, a promis « une vengeance implacable » contre les responsables de la mort du général « martyr », tout en décrétant un deuil national de trois jours.

« Il n’y a aucun doute sur le fait que la grande nation d’Iran et les autres nations libres de la région prendront leur revanche sur l’Amérique criminelle pour cet horrible meurtre », a renchéri le président iranien, Hassan Rohani. Téhéran a depuis nommé un successeur à Qassam Soleimani, soit son ancien adjoint Esmaïl Qaani.

Il y a fort à parier que le régime iranien a été « surpris » par cet assassinat spectaculaire, analyse au bout du fil Vahid Yücesoy, chercheur au CERIUM. Cette riposte étonnamment musclée du président Trump, dit-il, tranche avec la voie privilégiée jusqu’alors par Washington : celle de la « pression maximale » à coup de sanctions contre Téhéran.

Photo: Iraqi Prime Minister Press Office Le cabinet du premier ministre iranien a publié une photo d’un véhicule en flammes à la suite de l’attaque aérienne à l’aéroport international de Bagdad, survenue vendredi.

Car le raid de vendredi est l’épilogue d’une longue montée des tensions entre l’Iran et les États-Unis, amorcée par le retrait unilatéral de ce dernier de l’accord sur le nucléaire iranien et du rétablissement de lourdes sanctions économiques.

Ripostes en série

 

Dernière agression en date pour les Américains : un assaut contre son ambassade de Bagdad lancé mardi par des partisans et des combattants du Hachd al-Chaabi — et « orchestrée » par l’Iran, selon Trump. Ils protestaient contre les bombardements américains ayant tué dimanche 25 miliciens d’une faction du Hachd.

Ce bombardement faisait lui-même suite à la mort d’un sous-traitant américain le 27 décembre en Irak. L'attaque à la roquette a été attribuée par Washington à ces paramilitaires pro-iraniens.

L’accumulation des agressions iraniennes, couplé au caractère « erratique » du locataire de la Maison-Blanche explique donc la frappe contre Qessam Soleimani et Abou Mehdi al-Mouhandis, selon M. Yücesoy. Le président, qui brigue un second mandat, « a commandé cette opération pour montrer au monde qu’il était capable de tenir tête à l’Iran », mentionne-t-il.

Dans une brève allocution en après-midi, Donald Trump a insisté qu’il avait agi pour « arrêter » une guerre et non pour en commencer une. En soirée, les États-Unis ont de nouveau frappé en Irak, dans un raid aérien contre un convoi du Hachd al-Chaabi. Il y a eu « des morts et des blessés » a indiqué une source policière à l'AFP, sans qu’on en sache davantage.

« C’est impossible pour l’Iran de ne pas réagir à l’assassinat d’une figure aussi emblématique du régime. La question qui se pose maintenant, c’est de savoir quelle sera l’ampleur et la forme de cette riposte », réagit Justin Massie, politologue à l’UQAM et spécialiste en matière de sécurité internationale.

À quel genre de représailles doit-on s’attendre ? « L’Iran n’a pas les moyens d’entamer une guerre directe avec les Américains », répond Vahid Yücesoy, étant donné que le pays est toujours sous sanctions et sort tout juste d’un soulèvement populaire brutalement réprimé.

Forces canadiennes

 

Téhéran pourrait toutefois livrer des guerres par procuration, en soutenant — financièrement ou matériellement — des États ou des milices dans la région, évoque-t-il. Après tout, l’Iran a une forte influence en Irak, en Syrie et au Liban, entre autres.

Partageant cet avis, Justin Massie ajoute que le régime iranien pourrait par ailleurs décider d’attaquer non pas directement les Américains, mais ses alliés et partenaires au Moyen-Orient. « Le Canada pourrait être du lot. »

L’armée canadienne compte en effet des centaines de soldats postés dans la région. En plus de diriger la mission de l’OTAN en Irak et de mener des missions d’entraînement en Jordanie et au Liban, elle participe à la coalition internationale contre le groupe EI.

« Le gouvernement irakien, qui est très hostile pour l’instant au gouvernement américain, pourrait carrément demander le retrait des troupes occidentales en Irak, comme ça s’était passé en 2011 », renchérit M. Massie.

« La sécurité et le bien-être des Canadiens en Irak et dans la région, y compris de nos troupes et nos diplomates, sont notre préoccupation primordiale », a déclaré vendredi François-Philippe Champagne, ministre fédéral des Affaires étrangères. Il a également appelé « toutes les parties à faire preuve de retenue et à poursuivre la désescalade », tout comme la France, le Royaume-Uni et la Russie.

Avec l’Agence France-Presse

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