Dans les marges de la civilisation

En 2018, il existait plus de 100 peuples non contactés, répartis principalement en Amazonie (photo), en Indonésie et en Papouasie–Nouvelle-Guinée.
Photo: Jody Amiet Agence France-Presse En 2018, il existait plus de 100 peuples non contactés, répartis principalement en Amazonie (photo), en Indonésie et en Papouasie–Nouvelle-Guinée.

Certains sujets ne cessent de s’inviter dans les médias, mais on finit parfois par perdre le fil des enjeux au gré des articles. C’est avec un adverbe, « pourquoi », que des étudiants en journalisme de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) ont tenté de bien expliquer différents sujets d’actualité. Aujourd’hui, la question des peuples isolés fait l’objet du deuxième des trois reportages publiés par Le Devoir. Pour lire les autres articles des étudiants, c’est ici!

Qui sont les peuples non contactés ?

Selon Survival International, une organisation européenne qui défend les communautés autochtones de la planète, les peuples non contactés sont des communautés indigènes n’ayant « aucun contact pacifique avec quiconque dans la société dominante ». Il en existait plus de 100 en 2018, répartis principalement en Amazonie, en Indonésie et en Papouasie–Nouvelle-Guinée.

Le territoire de 5,5 millions de kilomètres carrés que couvre la forêt amazonienne, pratiquement deux fois plus grand que celui de l’Inde, est le refuge principal des peuples non contactés sur la planète. « Tous les peuples non contactés courent à la catastrophe, à moins que leurs terres ne soient protégées », s’inquiète Survival International sur son site Web.

L’intérêt médiatique pour ces communautés, isolées encore aujourd’hui de toute civilisation moderne, s’est brièvement ravivé le 16 novembre 2018 lorsque le missionnaire américain John Allen Chau a péri sous les flèches des Sentinelles. Cette tribu habite l’une des îles de l’archipel Andaman dans le golfe du Bengale, au coeur de l’océan Indien. Et elle est considérée, par sa situation géographique, comme l’une des communautés les plus recluses sur Terre. Les Sentinelles y seraient arrivés en provenance de l’Afrique il y a plus de 50 000 ans.

Comment ces communautés parviennent-elles à vivre en réclusion encore aujourd’hui ?

Pour toutes les communautés non contactées, des « barrières » physiques et artificielles leur permettent de poursuivre leur mode de vie ancestral. « La situation des Andamans est artificielle », précise Guy Lanoue, directeur du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, rappelant que le gouvernement indien y a rendu illégale toute visite. Les sept pêcheurs qui ont aidé le jeune américain à se rendre sur l’île ont d’ailleurs été arrêtés après que la police indienne a ouvert une enquête pour meurtre.

Faut-il éviter tout contact avec ces peuples isolés ?

La question de forcer une rencontre avec les peuples non contactés polarise. « S’il y a un refus [de leur part], il est moralement et légalement non approprié de les contacter », affirme Ingrid Hall, professeure d’anthropologie et coordinatrice du laboratoire d’ethnologie de l’Université de Montréal.

Des communautés ont été anéanties après avoir contracté des maladies contre lesquelles elles n’avaient aucune résistance. C’est le cas en Amazonie, où des peuples indigènes ont été décimés par la grippe, la rougeole et des entérovirus, entre autres, à l’époque de la fièvre du caoutchouc. « Certains peuples ont perdu 90 % de leur population dans les douze à vingt-quatre mois suivant le premier contact et ne se sont jamais rétablis », soutient Survival International, qui s’oppose farouchement à toute initiative de contact. Les risques infectieux sont extrêmement élevés et les conséquences, tragiques. Même avec la médecine moderne, il n’y a aucune garantie que les peuples indigènes accepteront les traitements et y répondront positivement.

Il existe cependant certaines situations où il est essentiel d’établir le contact, estime Marie-Pierre Bousquet, directrice du programme en études autochtones de l’Université de Montréal. En cas de guerre ou de catastrophe naturelle (un feu de forêt, par exemple), la civilisation a le devoir d’informer ces peuples et de les protéger, croit-elle.

Que peut-on apprendre de ces communautés ?

Par ailleurs, des peuples indigènes peuvent être ouverts à partager leurs savoirs avec la civilisation moderne. Mieux connaître ces groupes peut être riche d’enseignements à plusieurs niveaux, selon Marie-Pierre Bousquet. Celle-ci souligne les « savoirs ethnobotaniques et ethnologiques, culturels et leur vision du monde » comme étant les principaux intérêts de la communauté anthropologique. L’important, soutient pour sa part Ingrid Hall, est de garder à l’esprit que ces populations ne sont pas « nos ancêtres plus purs », mais bien nos contemporains et une part essentielle de la diversité humaine.

Le peuple des Sentinelles a d’ailleurs démontré en 2004 sa grande résilience, évitant la catastrophe après le passage du tsunami meurtrier qui a fait des centaines de milliers de morts en Indonésie, au Sri Lanka et au sud de l’Inde. C’est grâce aux photos prises par un hélicoptère indien survolant l’île de North Sentinel qu’il a été possible de constater la bonne tenue du groupe. La communauté a pu éviter de graves pertes en se réfugiant sur les sommets de son île.

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