Al-Qaïda: la menace était floue

Le président en avait assez «de tuer des mouches», a dit Condoleezza Rice, expliquant que l’administration Bush avait préféré se doter d’un plan «stratégique» pour combattre le réseau terroriste al-Qaïda plutôt que d’y aller «au coup p
Photo: Le président en avait assez «de tuer des mouches», a dit Condoleezza Rice, expliquant que l’administration Bush avait préféré se doter d’un plan «stratégique» pour combattre le réseau terroriste al-Qaïda plutôt que d’y aller «au coup p

La conseillère américaine en matière de sécurité nationale, Condoleezza Rice, a rejeté hier matin les accusations voulant que l'administration Bush ait minimisé la menace que représentait le réseau terroriste al-Qaïda, lors d'une comparution publique assermentée devant la commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, qui demande à ce propos à la Maison-Blanche de «déclassifier» un important mémorandum dont on avait discuté lors d'un briefing présidentiel le 6 août de cette même année.

En réponse aux questions des commissaires, dont les plus pressantes sont venues d'élus démocrates, Mme Rice a affirmé que les renseignements sur d'éventuelles menaces, colligés par diverses agences au printemps et à l'été 2001, n'avaient pas la précision nécessaire pour permettre à l'administration d'agir. La levée du secret sur les discussions du 6 août pourrait justement apporter un éclairage supplémentaire sur cette question controversée.

Condoleezza Rice a également rejeté une bonne partie du blâme pour le fiasco du 11 septembre sur l'inertie bureaucratique et les obstacles juridiques qui l'auraient, selon elle, empêchée de prendre les mesures nécessaires.

Mme Rice faisait allusion au manque de communication entre diverses agences gouvernementales, particulièrement entre le FBI (police fédérale) et la CIA (agence de renseignement), ainsi qu'à l'«allergie» des Américains aux activités de contre-espionnage à l'intérieur de leurs frontières.

Le choc du 11 septembre a permis de s'attaquer au problème, a-t-elle affirmé, évoquant la création du ministère de la Sécurité intérieure et l'adoption du Patriot Act.

Elle a également dit que l'administration Bush, pleinement consciente de la menace générale que représentait al-Qaïda, avait, depuis son entrée en fonction, préféré se doter d'un plan «stratégique» pour combattre le réseau terroriste plutôt que d'y aller «au coup par coup». Le président en avait assez «de tuer des mouches», a-t-elle indiqué en réponse à une question.

La conseillère de George W. Bush, qui avait dans un premier temps refusé de comparaître publiquement, rejetait ainsi implicitement les accusations politiquement dommageables de Richard Clarke, un ancien conseiller à la lutte antiterroriste sous les présidents Bill Clinton et George W. Bush, selon lesquelles l'administration de ce dernier n'avait pas suffisamment pris au sérieux la menace d'al-Qaïda.

«Nous avons compris que le réseau présentait une menace grave pour les États-Unis», a-t-elle déclaré. «Dès le printemps et l'été 2001, nous avons développé une stratégie avec, pour objectif, son élimination», a-t-elle poursuivi.

Selon la conseillère à la sécurité nationale, cette stratégie, déposée à la Maison-Blanche le 4 septembre 2001, allait plus loin que celle adoptée en 1998 par le président Bill Clinton. Le plan, a-t-elle fait valoir, combinait des mesures précises en matière de sécurité aérienne ou de saisie des fonds suspects à une redéfinition de la politique américaine à l'endroit des pays voisins de l'Afghanistan, particulièrement du Pakistan.

Condoleezza Rice a reconnu que la réponse des divers services du gouvernement américain aux menaces terroristes n'avait pas été adéquate. «Les terroristes étaient en guerre avec nous, mais nous n'étions pas encore en guerre contre eux. Pendant plus de 20 ans, la menace terroriste a grandi et la réponse américaine mise en oeuvre par plusieurs administrations issues des deux partis a été insuffisante», a-t-elle déclaré dans sa déclaration liminaire.

Selon Rice, les services de renseignement ont informé les hauts responsables du gouvernement américain de menaces avant le 11 septembre 2001, mais celles-ci visaient pour la plupart des cibles situées à l'étranger. «Aucun rapport porté à notre attention ne prévoyait l'utilisation par des terroristes d'avions comme projectiles», a-t-elle ajouté.

Face à l'insistance du démocrate Richard Ben-Veniste, un ancien procureur au temps du Watergate, Condoleezza Rice a reconnu que Richard Clarke l'avait informée de la présence de cellules d'al-Qaïda aux États-Unis. Elle a enchaîné en disant que le FBI faisait enquête sur la question, ajoutant ne pas se souvenir d'en avoir parlé personnellement au président Bush.

Évoquant le mémorandum présenté à la présidence le 6 août 2001, elle a aussi convenu que le document était consacré à la possibilité d'attaques terroristes sur le territoire américain.

Le président de la commission d'enquête, l'ancien gouverneur républicain Thomas Kean, a annoncé hier qu'il allait demander à la Maison-Blanche de «déclassifier» ce document. Hier, son titre au moins a été rendu public: «Oussama ben Laden est résolu à attaquer à l'intérieur des États-Unis».

Mme Rice a cependant dit que le mémorandum ne faisait pas état de nouvelles menaces, qu'on «y discutait de la possibilité de diverses actions [terroristes]» et qu'il s'agissait de renseignements «historiques» réunis à la demande du président.

Richard Clarke avait également affirmé, lors de son témoignage devant la commission le mois dernier, que la Maison-Blanche avait développé une véritable «obsession» sur l'Irak. La conseillère de la Maison-Blanche a reconnu à ce sujet que l'administration américaine avait évoqué «une action contre l'Irak» après le 11 septembre 2001 mais que l'entourage du président l'aurait déconseillée.

«Il y a eu une discussion sur l'Irak» à la demande du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, et de son adjoint Paul Wolfowitz, qui «a insisté un peu», a-t-elle reconnu. «Compte tenu de la guerre mondiale contre le terrorisme, devrions-nous nous contenter d'examiner l'Afghanistan ou devrions-nous étudier quelque chose comme l'Irak? [...] Le président a écouté l'ensemble de ses conseillers. Je peux vous dire que lors du tour de table, lorsqu'il a demandé à chacun ce qu'il devait faire, pas un ne lui a recommandé d'entreprendre quoi que ce soit contre l'Irak. On n'a parlé que de l'Afghanistan.»

Condoleezza Rice a également soutenu que le président américain n'avait jamais tenté de «forcer qui que ce soit à dénaturer les faits» pour trouver un lien entre Saddam Hussein et les attentats 11 septembre 2001, comme Richard Clarke l'avait affirmé.

À plusieurs reprises, elle a cependant présenté l'actuelle guerre en Irak comme un volet du combat à finir contre le terrorisme.

Portant un tailleur de couleur claire, Condoleezza Rice a répondu aux questions sur un ton calme et affiché pendant la majeure partie de son témoignage un sourire engageant qui n'a disparu qu'à l'occasion d'échanges particulièrement vifs avec des commissaires d'obédience démocrate.

À aucun moment durant son témoignage, retransmis sur les grands réseaux télévisés des États-Unis, Mme Rice n'a présenté d'excuses du gouvernement pour n'avoir pas pu empêcher la tragédie du 11 septembre. Après son audition, elle a cependant salué dans la salle des familles des victimes des attaques qui ont fait plus de 3000 morts à New York, à Washington et en Pennsylvanie.

La conseillère de la Maison-Blanche devait continuer son témoignage à huis clos hier après-midi. À la question de savoir si la commission avait d'autres questions à lui poser, son président Thomas Kean a répondu par l'affirmative.

Les prochaines auditions publiques sont prévues les 13 et 14 avril. Doivent y être entendus le ministre de la Justice, John Ashcroft, Janet Reno, qui l'avait précédé à cette fonction, le directeur de la CIA, George Tenet, ainsi que Robert Mueller et Louis Freeh, actuel et ancien directeurs du FBI.

La commission forte de dix membres (cinq démocrates, cinq républicains) doit rendre publiques ses recommandations le 26 juillet.

Avec l'Agence France-Presse et Libération

À voir en vidéo