Sarkozy ronge son frein

Retranché au ministère de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy continue d'attendre son heure. Depuis la fin de la semaine dernière, qu'il a passée à sauter d'avion en avion pour enchaîner les meetings électoraux, il y reste le plus clair de son temps, pendu au téléphone dans son bureau, ne s'échappant qu'en de rares occasions pour se rendre à Matignon ou à l'Élysée.

Promu général de campagne entre les deux tours des régionales, porteur des derniers espoirs de son camp, le ministre a cru, quelques jours durant, que le poste de premier ministre était enfin à sa portée. Il sait, depuis lundi, qu'il lui faut patienter encore.

Un aller-retour à Matignon dans l'après-midi, trois conversations téléphoniques avec Jacques Chirac, puis un tête-à-tête avec le chef de l'État, en début de soirée, l'ont édifié: pour la deuxième fois, le président de la République lui aura préféré Jean-Pierre Raffarin. Malgré la déroute de l'UMP et le désaveu infligé, le chef de l'État n'a pas voulu consacrer l'omniprésent ministre de l'Intérieur en recours de la droite. Mais il n'a pas cessé, cette fois, de l'informer de ses réflexions, de l'y associer, même. «ll me gère», a coutume de dire M. Sarkozy, dans ces périodes d'échanges intenses avec le président — pour souligner, toujours, qu'il ne confond pas une nécessité tactique avec un hommage rendu.

Amer, M. Sarkozy? Ses proches jurent que non. «En 2002, j'étais candidat à Matignon, leur a-t-il dit. Aujourd'hui, c'est autre chose... » Parce qu'il reste le favori des sondages, que les derniers jours l'ont vu plébiscité par les élus de la majorité, appelé à l'aide par M. Raffarin lui-même et adoubé publiquement par Bernadette Chirac, le 22 mars à Tulle (Corrèze), le ministre de l'Intérieur tire de la calamiteuse campagne régionale de son camp un bilan personnel plutôt positif. Qu'importe même que ses efforts n'aient pas permis de limiter la défaite: ils lui ont permis d'afficher sa loyauté à l'égard de la chiraquie — et d'attester, pense-t-il, sa prééminence. Le «nouvel horizon» qu'il a appelé de ses voeux, à la tribune de plusieurs réunions, est destiné à servir de mode d'emploi à une autre politique. Chacun l'a entendu comme cela. Et cela vaut pour aujourd'hui, comme pour demain.

Élections européennes

M. Sarkozy, de fait, ne vit pas ce deuxième rendez-vous manqué avec Matignon comme il y a deux ans. En 2002, il avait conçu de la rancoeur de devoir s'effacer devant M. Raffarin, qu'il tenait en piètre estime; il trouvait injuste que son dévouement durant la campagne présidentielle ne soit pas récompensé. Mais il analysait que la nécessité d'un score triomphal face à Jean-Marie Le Pen contraignait M. Chirac à désigner une personnalité «plus transparente» et moins marquée à droite — au moins en apparence. Cette fois, il apparaît convaincu que M. Chirac n'a plus d'autre carte dans son jeu que lui-même et qu'il veut, pour cela, le préserver. «À quoi bon le nommer maintenant alors que les élections européennes arrivent, et qu'elles risquent d'être pires que les régionales!», explique un de ses proches.

À en croire la garde rapprochée de M. Sarkozy et plusieurs autres ministres, le chef de l'État se serait donc résolu — après de nouvelles hésitations, entre dimanche soir et lundi matin — à prolonger le mandat de M. Raffarin à la tête du gouvernement jusqu'au scrutin européen du 13 juin. Ensuite s'ouvrirait la deuxième phase du quinquennat, qui sonnerait l'heure du ministre de l'Intérieur. Sauf si, dans l'intervalle, M. Chirac inventait une nouvelle alternative moins délicate pour lui — ou si M. Raffarin trouvait de nouvelles ressources.

Car les relations de M. Sarkozy avec le chef de l'État restent à l'identique, marquées par la méfiance et le rapport de force permanent. Ni l'un ni l'autre n'ont oublié les violents affrontements de l'automne, lorsque deux phrases lâchées en public par le ministre de l'Intérieur sur ses ambitions présidentielles et sur la longueur excessive des carrières dans la vie politique française avaient offert à la garde chiraquienne l'occasion d'une contre-attaque vigoureuse. Pour autant, M. Sarkozy se dit persuadé que sa nomination viendra lorsqu'elle servira au mieux les stratégies du chef de l'État. «Chirac est un fauve, confie-t-il souvent. Il vous dévore ou vous laisse vivre selon l'intérêt du moment. Il n'y met pas plus d'affect que cela.» Certain que nul ne peut s'attaquer à lui, M. Sarkozy semble prêt à apprendre, pour quelques mois encore, la patience du chasseur.

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