Une filière économique québécoise?

La relation qu’entretient le Canada avec le monde de la politique française est tout sauf marginale. Il n’est pas loin le temps où, à la suite de son élection à titre de président de la République en 2007, Nicolas Sarkozy avait très chaleureusement remercié pour son succès le financier canadien Paul Desmarais.
« Si je suis aujourd’hui président, je le dois en partie aux conseils, à l’amitié et à la fidélité de Paul Desmarais », a déclaré Nicolas Sarkozy en lui remettant en 2008 la grand-croix de la Légion d’honneur, une haute et rare distinction de la République.
Lié aussi à ses fils, lesquels dirigent désormais l’empire financier Power Corporation, Nicolas Sarkozy était aux premières loges lors des funérailles du géant de la finance canadienne en 2013.
En France, le clan Sarkozy appuie désormais Fillon, faute d’avoir pu refaire son chemin jusqu’au pouvoir. L’ancien président a publié, le 18 avril, une vidéo dans laquelle il affirme : « J’ai travaillé cinq ans avec François Fillon. Il a été mon premier ministre. Je sais que nous pouvons lui faire confiance. »
Aujourd’hui Fillon
Arrivée à Montréal en 2001, Aurelia Le Tareau est l’une des principales têtes de pont de la campagne de François Fillon à Montréal. Après des études en « commerce et administration », elle a milité, expliquait-elle en entrevue au Devoir la semaine dernière, pour l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 et en 2012. « On ne s’appelait pas encore les Républicains. » La campagne en faveur de François Fillon, elle la situe ainsi d’emblée dans un esprit de continuité avec son engagement auprès de Sarkozy.
Élue déléguée consulaire française, Aurelia Le Tareau se présente comme « consultante en stratégie », sans vouloir en dire davantage. Sa vie professionnelle et sa vie politique ne sont pas liées, dit-elle. Sa page Linkedln et d’autres espaces sociaux publics indiquent qu’elle occupe un poste de directrice principale chez KPMG, un des plus gros cabinets comptables au monde.
Aurelia Le Tareau ne considère-t-elle pas que les scandales d’emplois fictifs créés par François Fillon depuis les années 1980, au profit de son épouse puis de ses deux enfants, entachent ses possibilités de gouverner ? « Il faut laisser faire la justice. Il s’est excusé. Ce sont des pratiques qu’il n’est pas le seul à avoir. » Est-ce qu’elle cautionne de telles pratiques ? « Ce ne sont pas des pratiques à cautionner. Mais la ligne est fine, en pratique. Ce n’est pas le seul. » Pas question tout de même de se dissocier formellement du candidat à cet égard. « Je ne vais pas commenter les affaires judiciaires en cours depuis Montréal. Vous essayez de me piéger. »
Au premier chef « des idées de François Fillon » dont elle veut parler, il y a l’économie. Le candidat veut « libéraliser la croissance des entreprises ». C’est un pas dans la bonne direction, dit-elle.
Les Français à Montréal se répartissent en trois catégories : les étudiants et leurs parents, le monde de la technologie (Ubisoft et compagnie) et la grande communauté d’affaires. Peut-on considérer que les électeurs potentiels de Fillon appartiennent surtout à la catégorie des gens d’affaires ? Non, croit Aurelia Le Tareau. Elle dit : « On n’est pas plus d’“affaires” que des gens qui votent pour Macron. »
Après la Caisse de dépôt
À Montréal, la candidature d’Emmanuel Macron compte désormais sur l’appui d’un ponte de la haute finance en la personne de Roland Lescure. Ancien numéro 2 de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Lescure vient de quitter ses fonctions et un salaire de 2 millions de dollars pour prêter main-forte à Macron. Depuis trois semaines, il distribue des tracts et organise des assemblées, donnant l’apparence d’un parfait désintéressement dans cette entreprise quant à son avenir.
Diplômé de l’École polytechnique, détenteur d’une maîtrise de la London School of Economics, Roland Lescure est le demi-frère de l’homme d’affaires Pierre Lescure, fondateur de la chaîne Canal + et président du Festival de Cannes. Leur père était journaliste au quotidien L’Humanité, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, comme le grand-père d’ailleurs, lequel est le cofondateur des Éditions de Minuit avec le célèbre Vercors. Sa mère est une militante syndicale. S’il n’a pas les idées de ses devanciers, il affirme en avoir conservé leurs valeurs. « Je me suis toujours méfié des solutions trop simples à des problèmes complexes. » Il est convaincu que Macron, dans une « globalisation maîtrisée », va laisser « émerger les entreprises de demain ».
Devant les curieux réunis mercredi à l’Usine C, Roland Lescure explique avoir éprouvé à 50 ans le besoin soudain de s’engager à un moment qu’il juge historique. Au sein du comité Macron, dit-il en s’animant devant son public, on l’appelle « le Bernie Sanders ». Dans un entretien au Devoir, il dit que Macron a « le parcours d’un Barack Obama ».
Souhaite-t-il devenir ministre dans un éventuel cabinet Macron, en supposant que celui-ci triomphe ? « J’espère que je pourrai y contribuer, mais ce sera à eux de décider. » Chose certaine, il n’a pas quitté son emploi pour 10 jours, mais pour entreprendre un nouveau parcours de « 5 ou 10 ans ». « Macron ne fait pas les choses comme les autres. » Roland Lescure ajoute : « J’ai l’impression de me trouver dans une PME organique. »
Dans le cadre d’une entrevue à l’émission 24/60 d’ICI Radio-Canada, Roland Lescure affirme n’avoir jamais rencontré Emmanuel Macron. Le magazine économique Bloomberg affirme pourtant qu’il l’a rencontré pour la première fois en 2012, au palais présidentiel de l’Élysée à Paris. « Oui, je l’ai rencontré avec des investisseurs. » Il dit avoir été impressionné. Rien, depuis, directement. Mais en mars, il était avec ses conseillers à Paris « pour discuter ».
En attendant, Roland Lescure s’emploie à faire rebondir en Amérique quelques ballons de la communication politique de son candidat. « Macron est à réinventer la politique », dit-il par exemple. L’écologie ? « On va détruire de la valeur si ça continue. » Il plaide contre le simplisme binaire de l’équation gauche-droite en politique, à laquelle il préfère une autre opposition. Aujourd’hui, dit-il, « c’est l’espoir ou la crainte ». Le monde est plus complexe aujourd’hui, répète-t-il comme ses compagnons. Mais on se retrouve au centre de quoi si la gauche et la droite ne comptent plus ?
Ce texte fait partie de notre section Perspectives.