L'Allemagne, cible de choix

Pourquoi l’Allemagne ? C’est la première question qui se pose lorsqu’on tente d’analyser à chaud le tout récent attentat terroriste survenu à Berlin qui a fait au moins 12 morts. « L’Allemagne s’est bien profilée dans le monde musulman à partir du moment où Angela Merkel a décidé d’ouvrir la frontière. L’Allemagne et l’Europe paraissaient bien et ça a mis l’Allemagne dans le focus des terroristes, qui veulent détruire cette image », répond d’emblée Yan St-Pierre, consultant antiterroriste chez le Groupe de consultation de sécurité moderne Mosecon.
Pour le Québécois qui vit à Berlin depuis 10 ans, comme l’Allemagne s’est impliquée militairement — en ayant fourni des armes aux Kurdes dans le conflit syrien — et que son engagement à l’international est croissant, notamment au Mali mais surtout dans la lutte contre « Daesh » en France, il n’est pas étonnant qu’elle devienne une cible.
Contrairement à la France, qui a renforcé son niveau d’alerte, l’Allemagne n’est pas « aussi obsédée » par les mesures de sécurité. « Donc ça rend ça [un attentat] possible », croit Yan St-Pierre. Le pays marche sur des oeufs en raison de son passé sombre et un historique de surveillance oppressant (la Gestapo et la Stasi). De plus, « les Allemands sont des gens qui sont très conscients politiquement, et ça fait en sorte que les débats sont assez intenses. Il y a aussi une campagne électorale l’an prochain… », ajoute-t-il.
Fort flux migratoire
Mais surtout, l’Allemagne, qui avec l’accueil d’un million de réfugiés arrive en deuxième position derrière les États-Unis, fait malheureusement les frais de son effort humanitaire. Bien que l’immense majorité des nouveaux arrivants soient pacifiques (et surtout très démunis), le risque que des radicaux puissent se trouver dans le lot est accru, croit Jabeur Fathally, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et spécialiste du monde arabe. « En quelque sorte, la générosité allemande comportait les gènes de ce risque. »
Pour Yan St-Pierre, la chancelière en a subi les contrecoups à l’interne de sa décision d’ouvrir les frontières. « Les partis d’extrême droite sont sur une lancée, ils font campagne sur le fait que personne ne s’occupe des Allemands, que les vrais Européens sont menacés… », dit-il. Dans les minutes qui ont suivi l’attentat, les groupes d’extrême droite ont d’ailleurs sauté sur l’occasion pour blâmer les musulmans et les généreuses politiques d’accueil du pays.
À cela s’ajoute la xénophobie d’une partie de la population allemande à l’endroit des réfugiés arabo-musulmans, un terreau fertile pour la discrimination menant à la radicalisation violente. « Ça ne fait qu’exacerber les tensions et attiser les frustrations que certains [individus] ont à l’intérieur d’eux-mêmes », explique-t-il. Les attaques violentes, comme les cocktails Molotov, envers les lieux de prière ou centres d’accueil de réfugiés se multiplient depuis un certain temps. Pour Pegida et les autres organisations antimusulmanes et d’extrême droite, un attentat comme celui qui vient de se produire lundi à Berlin, « c’est du pain bénit », croit M. Fathally, qui s’intéresse aux questions de terrorisme international.
Personne n’est à l’abri
Si un tel acte terroriste — perpétré dans un marché de Noël que fréquentent touristes et locaux — alimente les divisions au sein de la population, il dissémine surtout la peur, montrant que personne n’est à l’abri de ce genre d’attaque qui peut arriver n’importe où. « Un terroriste frappe n’importe comment et il frappe là où il veut et peut frapper », explique M. Fathally.
C’est comme allumer un baril de poudre et s’assurer que l’explosion touche le plus de monde possible, illustre pour sa part M. St-Pierre. « L’impact le plus fort de ce genre d’attaque, ce n’est pas de frapper l’imaginaire, c’est de se dire : ça peut se passer n’importe où. Ça peut être fait avec un camion, un couteau de cuisine… » Et comme le camion semble provenir de la Pologne et que l’attaque a donc très probablement bénéficié de la zone Schengen, il y a fort à parier que le débat sur la validité de cette zone sera à nouveau lancé, conclut Yan St-Pierre.
Les attentats terroristes en Allemagne depuis 1972
1972: Prise d’otages lors des Jeux olympiques de Munich. Onze membres de l’équipe israélienne sont tués, de même qu’un policier allemand. Cinq terroristes du groupe palestinien Septembre noir meurent aussi.1977: Le président du patronat de l’Allemagne de l’Ouest est abattu par la Fraction armée rouge, une organisation terroriste allemande d’extrême gauche. Quatre autres personnes sont tuées.
1980: Durant l’Oktoberfest à Munich, un terroriste d’extrême droite pose une bombe artisanale et fait 13 morts et 211 blessés. C’est l’attentat le plus meurtrier de la période d’après-guerre en Allemagne.
1985: Durant l’été, à l’aéroport de Francfort, un attentat à la bombe non revendiqué fait 3 morts. Peu de temps après, dans la même ville, Fraction armée rouge attaque une base aérienne et tue 3 soldats américains.
1986: Une bombe explose dans une discothèque que fréquentent des militaires américains, tuant 3 personnes et faisant 229 blessés. La Libye est soupçonnée d’avoir commandité l’attentat.
1993: Dans l’ouest du pays, des néonazis mettent le feu à une maison habitée par des Turcs. Bilan : 5 morts.
2011: Devant l’aéroport de Francfort, un islamiste tire sur un autobus transportant des soldats américains. Bilan : 2 morts.
2016: Le 18 juillet, en Bavière, un Afghan âgé de 17 ans agresse à coups de hache les passagers d’un train et blesse 5 personnes. Le groupe État islamique revendique l’attaque.
Le 22 juillet, un germano-iranien de 18 ans fait feu dans un restaurant MacDonald’s de Munich et tue 9 personnes. La fusillade n’a rien à avoir avec l’islamisme radical.
Le 24 juillet, dans le sud de l’Allemagne près de Nuremberg, un demandeur d’asile syrien se fait exploser près d’un festival de musique et blesse 15 personnes. Il avait prêté allégeance au groupe État islamique. Lisa-Marie Gervais