Le vrai problème, c’est la concurrence fiscale

Les Panama Papers ont levé le voile sur un vaste réseau d’évasion et d’évitement fiscal. Pourtant, les États luttent contre ces phénomènes depuis plusieurs années déjà. Quel est le bilan ? Et quels sont les principaux obstacles qui entravent cette lutte ? Réponses de Peter Dietsch, professeur de philosophie à l’Université de Montréal, membre du CERIUM et auteur de Catching Capital : The Ethics of Tax Competition (Oxford University Press, 2015).

Malgré les apparences projetées par les Panama Papers, la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux se serait renforcée ces dernières années. Remporte-t-elle un?certain succès ?

Il est vrai qu’à première vue, les Panama Papers suggèrent que la lutte contre l’évasion fiscale n’a pas été très efficace. Mais il y a un réel progrès. Par exemple, la fraude fiscale est devenue plus difficile pour les particuliers. L’OCDE a mis en place en 2014 un nouveau régime d’échange autonomique d’information fiscale. Il y a encore du chemin à faire dans la mise en oeuvre, mais on se dirige dans la bonne direction.

La même chose n’est pas vraie dans la lutte contre l’évitement fiscal des multinationales (MN). Rappelons que les différentes succursales d’une MN doivent structurer les affaires entre elles comme s’il s’agissait d’entreprises séparées, selon le principe de pleine concurrence. Or, ce principe est extrêmement difficile à faire respecter et les autorités fiscales sont toujours un pas derrière les avocats et les conseillers fiscaux des MN. Malheureusement, l’OCDE mise sur la stratégie de réparer le système basé sur ce principe, alors qu’il serait plus efficace de passer à une base fiscale globale consolidée. Dans un tel système, les profits des MN sont calculés à l’échelle globale et non pays par pays. Ensuite, le droit de taxer des parties de ces profits est accordé aux pays selon des indicateurs d’activité réelle dans leur juridiction. Exemple : si 21 % des actifs, salaires et ventes de Bombardier sont localisés au Canada, Ottawa aurait le droit de taxer 21 % des profits globaux de Bombardier.

Vous affirmez dans un article du Globe and Mail qu’une lutte à tout casser contre l’évasion et l’évitement fiscaux ne résoudrait pas le problème général de l’érosion des revenus fiscaux pour les États. Pourquoi ?

L’évasion et l’évitement fiscaux ne sont que les symptômes d’un phénomène plus large. Les pays instrumentalisent leur politique fiscale pour attirer du capital de l’étranger. Il en résulte la concurrence fiscale internationale. Les particuliers et les entreprises qui ne paient pas leurs impôts ne font ainsi que répondre aux incitatifs mis en place par les États.

Le problème est que, même si l’on réussissait vraiment à mettre fin à l’évasion et à l’évitement, cela n’abolirait pas l’incitatif des États à se faire concurrence sur le plan fiscal. Le seul effet serait de changer le caractère de la concurrence. Aujourd’hui, des échappatoires permettent d’éviter de payer des impôts sans vraiment déplacer sa résidence (pour les particuliers) ou ses activités économiques (pour les MN). Qu’arriverait-il si ces échappatoires étaient bloquées ? La concurrence fiscale réelle pour le capital s’intensifierait. Autrement dit, Google, Starbucks, Bombardier et autres MN, ne pouvant plus déplacer leurs profits grâce à un système complexe de succursales, répondraient de manière plus forte à des différences entre les taux nominaux d’imposition. Moins Google pourrait déplacer ses profits du Canada vers l’étranger, plus Google aurait tendance à délocaliser des activités économiques réelles du Canada vers l’étranger.

Cela suggère qu’une solution efficace au problème de la concurrence fiscale devra inclure des mesures pour limiter la capacité des États à baisser leurs impôts pour attirer des investissements directs. Or, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Mais comment faire ? N’est-ce pas là toucher à une compétence centrale des États, rendant ainsi toute contrainte extérieure extrêmement difficile à appliquer ?

Une chose est sûre : il faut mettre fin à l’évasion et à l’évitement. Tout particulier devrait payer ses impôts dans le pays où il réside, et toute MN, là où elle mène ses activités.

Quant aux restrictions sur l’attraction d’investissements directs, il y a plusieurs options. On pourrait notamment s’inspirer de l’OMC, qui interdit que les États subventionnent les entreprises, sauf exception. On pourrait ainsi exiger que les États n’utilisent pas leur fiscalité de manière stratégique pour attirer du capital. Une autre approche serait de se mettre d’accord sur des taux d’imposition minimaux à l’échelle mondiale.

Dans les deux cas, une telle coopération représenterait en effet une concession de souveraineté fiscale de la part des États. Mais la concurrence fiscale actuelle mine déjà leur souveraineté réelle. Des limites bien définies sur la souveraineté formelle des États sont un prix qu’il vaut la peine de payer pour renforcer leur souveraineté réelle.



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