Le «bateau fantôme», nouvelle ruse des trafiquants

L’«Ezadeen» a été remorqué par un cargo islandais dans le port italien de Corigliano Calabro.
Photo: Icelandic Coast Guard Agence France-Presse L’«Ezadeen» a été remorqué par un cargo islandais dans le port italien de Corigliano Calabro.

Pour la seconde fois en moins d’une semaine, la marine italienne a évité le pire en portant secours à plusieurs centaines de migrants clandestins abandonnés à leur sort à bord d’un navire sans équipage, cette fois au large de la Calabre. Un autre sauvetage qui met en lumière la nouvelle tactique des trafiquants pour profiter du flux migratoire incessant vers l’Europe, celle des « bateaux fantômes ».

L’Ezadeen, un bâtiment de 73 mètres de long immatriculé en Sierra Leone, a été repéré jeudi soir, apparemment en difficulté, à quelque 150 km de la ville de Crotone, en Calabre. Les autorités maritimes ont aussitôt contacté le navire. Aucun des quelque 450 passagers n’a d’abord répondu à l’appel. Puis, une femme s’est manifestée et a réussi à expliquer la situation par radio. « Nous sommes seuls, il n’y a personne, aidez-nous », a-t-elle lancé, selon le capitaine Filippo Marini, un porte-parole de la marine italienne.

La marine a aussitôt pris contact avec un navire islandais qui était dans les parages du cargo et faisait partie du dispositif européen Triton de surveillance de la Méditerranée, a précisé Frontex, l’agence européenne de contrôle des frontières de l’Union européenne.

L’équipage islandais n’a d’abord rien pu faire puisque le navire avançait à pleine vitesse. Ce n’est qu’une fois le carburant totalement épuisé que cinq marins islandais ont pu monter à bord de l’Ezadeen et lancer un cordage afin de permettre un remorquage du cargo.

Le navire qui comptait des hommes, des femmes mais aussi des enfants est arrivé vendredi, la nuit tombée, dans le port italien de Corigliano Calabro, escorté par la marine italienne. Tous se portent bien, selon les autorités italiennes. Les migrants doivent être dirigés dans l’un des centres de premier accueil que compte l’Italie.

La marine italienne rapporte que l’Ezadeen serait parti de Turquie. Toutefois, selon France TV Info et le site marinetraffic.com, le cargo serait plutôt parti du port de Tartous en Syrie le 11 octobre, avant de rejoindre le 19 décembre Famagouste à Chypre. Sa destination officielle aurait été le port de Sète, dans le sud de la France.

Deuxième intervention en trois jours

 

Deux jours auparavant, le même hélicoptère avait déposé un équipage de garde-côtes pour prendre le contrôle d’un autre cargo, lui aussi abandonné par son équipage, le Blue Sky M, transportant près de 800 migrants clandestins. « Une hécatombe a été évitée », s’était alors félicitée la marine militaire italienne.

Ce cargo, battant pavillon moldave, vieux de 38 ans et parsemé de rouille, est arrivé mercredi avant l’aube à Gallipoli en Italie, où ces centaines de clandestins, tous Syriens, ont été pris en charge par les autorités.

Le phénomène n’est pas nouveau. Plus de 207 000 personnes ont entrepris la traversée de la Méditerranée en 2014, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés.

Les conflits en Syrie, en Irak ou en Afghanistan ainsi que la pauvreté dans certains pays d’Afrique ou d’Asie ont provoqué un flux migratoire record en 2014 vers l’Europe : plus de 170 000 personnes ont été secourues par l’Italie au cours des 14 derniers mois, et des centaines — voire des milliers — d’autres ont péri dans leur tentative de traverser la Méditerranée.

« Des villes entières sont en train d’être évacuées en Syrie, ce qui représente des milliers de migrants chaque mois », souligne Joel Millman, porte-parole de l’Organisation internationale des migrations (OIM).

L’OIM a relevé vendredi que les trafiquants semblent avoir opté pour des « économies d’échelle » leur permettant de gros revenus en un seul voyage, avec une seule nationalité. « Nous avons des informations selon lesquelles ces migrants payent entre 1000 et 2000 $ par personne, ce qui signifie que ceux qui sont derrière un cargo tel que le Blue Sky M ont encaissé plus d’un million de dollars pour un seul voyage, de quoi payer l’équipage, son évacuation et sans doute des pots-de-vin qui pourraient être utiles pour une prochaine opération », ajoute M. Millman.

Outre les moyens courants utilisés jusqu’ici, des canots de pêche ou pneumatiques aux bateaux de plaisance ou voiliers, les réseaux de trafiquants utilisent « de plus en plus des cargos d’occasion ou des bateaux attendant la casse pour tromper les garde-côtes patrouillant aux frontières maritimes ».

La technique des passeurs consiste à « affréter de vieux cargos, à les remplir d’exilés fuyant la guerre, à les faire naviguer jusqu’au moment où les membres de l’équipage les abandonnent pour ne pas risquer d’être poursuivis à leur arrivée pour aide au passage illégal », rapporte Mediapart.

Les vieux bateaux sont vendus partout dans le monde, « ce qui est légal », affirme à l’AFP David Olsen, expert du journal maritime Lloyd’s List. « Ils sont vendus sur des sites Internet et même sur eBay », précise-t-il.

Ces cargos valent « moins que le prix d’un appartement à Londres ». « Il y a des gens qui, en sirotant leur bière autour d’une table, se mettent d’accord pour vendre un vieux bateau. Car ça ne vaut pas le coup d’envoyer des bateaux de 40 ou 50 ans en Inde pour les détruire », souligne M. Olsen.

L’Europe réagit

Ces deux incidents relancent le débat de la protection des frontières et de l’immigration européennes. Un porte-parole de l’Union européenne (UE) a promis vendredi que la lutte contre les trafiquants utilisant de « nouveaux moyens » pour entrer dans l’UE sera l’une des « priorités » de cette dernière en 2015.

Le Front national, parti français, a quant à lui pressé la France et l’UE à prendre de nouvelles mesures pour contrer l’immigration clandestine. « Le gouvernement français ne peut pas continuer de rester les bras croisés […] Une politique clairement dissuasive doit être mise en place, via un rapatriement systématique des navires vers les pays d’origine, et non de destination », a déclaré Marine Le Pen, présidente du Front national, par voie de communiqué vendredi.

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