Francophonie : une histoire de la RDC - Le plus grand pays francophone du monde raconté

Anthropologue, archéologue, historien, sociologue, journaliste, on ne sait trop où classer David Van Reybrouck tant le livre qu’il publie ces jours-ci est extravagant. En 600 pages serrées, il raconte l’histoire de l’ancien Congo belge (devenu Zaïre puis République démocratique du Congo) de la préhistoire aux rébellions qui déchirent le pays depuis des années. D’ailleurs, cet ancien professeur d’anthropologie a dû quitter l’université pour écrire ce livre inclassable. L’écrivain ne cadrait pas dans cette université « hyperlibérale » où l’on écrit en anglais des textes « hyperpointus » pour « trois mecs et une tête de cheval ». « Même un historien de la trempe de Fernand Braudel n’y aurait plus sa place », dit-il.
À quelques jours de l’ouverture du sommet de la Francophonie à Kinshasa, Congo, une histoire (Actes Sud) offre la vision tragique d’un pays passionnant qui, avec plus de 70 millions d’habitants, est le plus populeux à avoir aujourd’hui le français comme langue officielle. Sous la plume allègre de cet aventurier flamand (qui a vendu 250 000 exemplaires de son livre aux Pays-Bas), l’histoire du Congo devient celle d’une mondialisation amorcée au XIXe siècle et qui s’épanouit au tournant du XXIe, alors que ses fabuleuses ressources naturelles sont plus que jamais convoitées. L’écrivain, qui a réalisé plus de 500 entrevues, dénonce par ailleurs l’« intégrisme électoral » auquel seraient soumis les pays africains depuis les années 90, au détriment des formes de démocratie locales. Une oeuvre totale, sans compromis, pour un pays qui le méritait bien.
Au moment de son indépendance, en 1960, le Congo avait un des meilleurs niveaux d’alphabétisation. Comment expliquez-vous la suite des choses ?
C’était le pays le plus alphabétisé de l’Afrique subsaharienne. Mais, il n’avait que 16 diplômés universitaires. Le colonisateur belge a voulu émanciper les masses, mais sans créer une élite locale qui aurait pu lui tourner le dos. Il a implanté l’enseignement primaire à la fin du XIXe siècle et secondaire dans les années 30. Il fallut attendre les années 50 pour les premiers diplômés universitaires. Dans une région minière comme le Katanga, il n’était pas question de former des ingénieurs, mais des ouvriers dociles.
Il y a pourtant au Congo une envie d’étudier énorme. Lorsque je donnais des cours à Kinshasa, certains de mes élèves se levaient à 4 h du matin pour venir à l’université, alors que mes étudiants belges n’hésitaient pas à remettre des travaux plagiés sur Internet.
Vous décrivez un pays qui a souvent été au bord de l’éclatement, mais où existe une forte identité nationale.
Il est impressionnant de constater comment, dans les années 60, Mobutu a créé de toutes pièces une véritable fierté nationale qui n’existait pas avant. Cette nouvelle identité nationale a hérité de toute une série de traits culturels, comme le christianisme et la langue française. Le français, notamment, se porte plutôt bien au Congo et sa créativité montre qu’il a un bel avenir devant lui.
Cette unité nationale n’a-t-elle pas été mise à dure épreuve par deux guerres civiles ?
Depuis 15 ou 20 ans, elle a été ébranlée. Dans certaines régions, comme le Katanga et le Kivu, on a vu réapparaître une pensée tribale souvent encouragée par les pays voisins. Les tendances autonomistes n’ont pas l’ampleur de celles du Québec et de la Flandre, mais on constate que ces provinces riches hésitent à envoyer leur argent à Kinshasa. Il faut dire que le gouvernement tarde à appliquer la nouvelle constitution, qui stipule que 40 % des ressources doivent revenir aux régions.
Mais, le sentiment national demeure néanmoins très fort. Le décalage est d’autant plus grand entre cette fierté nationale et la honte qu’ont les Congolais du délabrement de leur État.
Quel héritage laissera l’actuel président, Joseph Kabila ?
Il y a eu trois Joseph Kabila. Celui de 2001 à 2006 a remplacé son père par une forme de succession dynastique. Il a dû mener une politique d’unité nationale très difficile avec les anciens belligérants. C’est comme si, en 1945, on avait demandé à De Gaulle, Churchill et Hitler de former un gouvernement d’unité nationale. Il est tout de même parvenu à tenir le pays ensemble. Le deuxième Kabila a été légitimé par les premières élections, en 2006. Son discours de prestation de serment exprimait une grande vision du pays. Le troisième n’a pas vraiment tenu ses promesses, sans compter qu’il a modifié la constitution pour se faire réélire en 2011. L’espace démocratique s’est beaucoup rétréci au Congo. Alors que Mobutu tenait fermement les rênes, aujourd’hui, on ne sait pas trop où réside le pouvoir. Certainement pas dans le Parlement, plutôt dans l’entourage de Kabila. Mais, c’est un entourage très opaque et peu homogène.
Je pense tout de même qu’il n’est pas facile d’être Kabila. Sa tâche est immense. Mandela a dû créer un État juste à partir d’un État injuste. La tâche de Kabila est plus difficile encore : il s’agit de créer un État de toutes pièces à partir d’un État en faillite.
Pourquoi êtes-vous si critique à l’égard du processus électoral en cours ?
Depuis la fin de la guerre froide, la communauté internationale s’intéresse essentiellement aux droits de l’homme et à la démocratie. Mais, on devrait se demander si nos instruments sont les meilleurs pour y parvenir. En Afghanistan, en Irak et au Congo, après une guerre sanglante, on a imposé la tenue d’élections souvent formelles. Nous avons exporté la démocratie comme un meuble IKEA qu’il suffisait d’assembler sur place. Et s’il était un peu bancal, c’était la faute de l’acheteur.
Au Congo, il faut se demander si la démocratisation a vraiment été favorisée par ces scrutins tenus, rappelons-le, dans un État qui a fait faillite et où il n’y a même pas d’État civil. Le fondamentalisme électoral de l’Occident prétend que les élections sont le seul instrument capable de créer une culture démocratique. Il me semble qu’une presse libre, une éducation correcte et une société civile forte sont certainement aussi importantes. Et la première étape devrait être des élections locales. Le Congo n’en a jamais eu depuis son indépendance. Le président tanzanien Julius Nyerere disait que le conseil de village était une forme démocratique essentielle, mais on n’en parle jamais.
Je vois ce fondamentalisme électoral comme une nouvelle forme d’évangélisation où les élections ont pris la place des sacrements. Souvent, les leaders locaux ne s’en servent pas pour connaître la volonté du peuple, mais pour apaiser les donneurs de fonds.
Quels espoirs placez-vous aujourd’hui dans ce pays immense ?
L’arrivée d’une nouvelle série d’acteurs internationaux, comme la Chine et le Brésil, peut créer une nouvelle situation. Le Congo a toujours eu ce dont l’économie mondiale avait besoin, depuis les esclaves, en passant par le caoutchouc, le cuivre et l’uranium. Mais, le peuple congolais en a rarement profité. Reste à voir s’il y aura un système de redistribution des revenus et si le peuple congolais en profitera.
L’Afrique est le dernier continent de l’ancien Tiers-Monde, qui n’a pas pris son envol. Mais, cet élan existe. Le Congo ne sera probablement pas parmi les premiers de la classe. Le Nigéria et l’Afrique du Sud sont nettement en tête. Ce qui n’empêche pas le Congo de connaître un essor culturel impressionnant. Ça annonce peut-être quelque chose.