Russie : la saison politique est ouverte

Vladimir Poutine
Photo: Agence Reuters Alexsey Drugimyn Vladimir Poutine

Moscou — La saison électorale est officiellement ouverte en Russie. Techniquement, les membres du tandem dirigeant n'ont pas encore annoncé lequel des deux, le président de la Fédération, Dmitri Medvedev, ou le premier ministre, Vladimir Poutine, briguera le poste de no 1 du régime au mois de mars. Mais sur le terrain, le tout-puissant chef du gouvernement rassemble ses troupes. Qu'il retourne au Kremlin ou reste à la Maison-Blanche, Poutine a besoin d'assurer la suprématie absolue de son parti, Russie unie, à la Douma, la chambre basse du Parlement, aux législatives du 4 décembre.

Or, depuis que le blogueur Alexeï Navalny est parti en croisade contre la corruption des fonctionnaires, le sobriquet qu'il a lancé colle à la peau de Russie unie, «le parti des escrocs et des voleurs». Cette formation qui occupe 315 des 450 sièges à la Douma et légifère à son gré, sans contrepoids ni contrepied, irrite de plus en plus par sa monopolisation inefficace et corrompue du pouvoir et les têtes, toujours les mêmes, des représentants éternels. Aux élections régionales en mars, selon les données officielles, dans six des douze régions du pays, moins de 20 % des citoyens, et moins de 30 % dans quatre autres, ont soutenu le parti au pouvoir. Pour garder le contrôle de la situation et être en mesure d'appointer le prochain président, lui-même ou un autre, Poutine a besoin d'une majorité écrasante à la Douma.

Éleveurs de rennes

En guise de transfusion sanguine, il a donc créé une structure aux contours flous, le Front populaire panrusse (FPP), afin de «rassembler tous ceux qui ne sont pas indifférents au destin de la Russie» au sein d'une vaste coalition électorale. Associations, syndicats et entreprises peuvent y adhérer, sans pour autant s'encarter dans Russie unie et présenter des candidats sur les listes de cette dernière. Vladimir Poutine n'avait pas fini d'annoncer la création du FPP que les entreprises se bousculaient au portillon: le holding industriel sibérien Sibirski delovoï soyouz a été le premier à embrigader ses 40 000 employés dans le FPP, suivi par les chemins de fer russes et la poste (1 million et 400 000 salariés respectivement). Et le mouvement continue: éleveurs de rennes, automobilistes, gymnastes...

L'ennui, c'est que les employés n'ont pas toujours été mis au courant qu'ils devenaient les militants loyaux du pouvoir au sein du Front. «Il n'y a aucun risque à ne pas entrer en rangs bien alignés dans le FPP. Le problème, ce n'est pas Poutine, le grand, le méchant, mais les gens qui adhèrent», écrit le chroniqueur de Gazeta.ru, Andreï Kolesnikov. Certaines associations se sont d'ailleurs révoltées et ont refusé d'aller collectivement au Front: l'Union des architectes a déclaré dans une lettre ouverte que l'embrigadement politique nuisait à la création. Et puis, le côté neuf de l'initiative poutinienne prend un coup de vieux si on invoque l'histoire: le parti bolchevique avait créé le Bloc des communistes et des sans-parti en 1937 pour permettre aux collectivités ouvrières, associations et citoyens, de soutenir le régime.

Mobilisation massive

«Si tu es pour le Front, c'est que tu es pour Poutine.» Ce slogan semble illustrer avec justesse la fonction principale du FPP: sans soutenir un parti du pouvoir qui s'est fourvoyé, on peut plébisciter l'homme, Vladimir Poutine, et les institutions publiques qui le soutiennent. Dans le même temps, le FPP devrait permettre à Russie unie de se refaire une beauté en mobilisant des personnalités plus attrayantes que les éternels piliers de la Douma, mais aucun résultat électoral n'est garanti pour l'instant, tant le fonctionnement du mouvement reste indéterminé. Autrement dit, si, comme tout le monde s'y attend, Russie unie triomphe, ce ne sera pas forcément grâce au Front populaire panrusse, mais à des méthodes électorales bien rôdées. Le FPP et son leader charismatique permettraient d'expliquer une victoire écrasante que les sondages n'annonçaient pas forcément.

Devant cette mobilisation massive programmée autour de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev apparaît plutôt démuni. Les sondages le donnent toujours en deuxième position aà la présidentielle, avec 18 % des répondants sondés qui voteraient pour lui si les élections se tenaient le lendemain, contre 23 % pour Poutine, selon le centre Levada.

Même s'il a acquis un certain capital de sympathie grâce à son style de gouvernement plus moderne et sa passion pour Internet et les nanotechnologies, Dmitri Medvedev n'est pas parvenu, en trois ans, à se constituer une base électorale importante ou des arrières politiques solides. Ce qui ne l'empêche pas de manifester l'envie de rester à la tête du pays, même s'il ne s'imagine pas vraiment en challenger de Vladimir Poutine.

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