Le Devoir aux Nations unies - Conseil de sécurité: le Canada a fait le plein d'alliés

New York — Parti dernier dans la difficile course à l'obtention d'un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, le Canada devrait néanmoins remporter son pari ce matin, lors du vote décisif. Selon les informations obtenues, Ottawa aurait même reçu suffisamment d'engagements écrits des pays membres des Nations unies pour espérer l'emporter dès le premier tour.
En entrevue avec Le Devoir hier en fin de journée dans les bureaux de la mission canadienne à l'ONU, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a toutefois préféré ne rien confirmer. Il faut dire que le vote est secret, de sorte que certains pays, comme l'Australie en 1996, ont déjà essuyé de cuisants revers, même si tous les observateurs leur prédisaient une victoire facile au premier tour.«Ce n'est pas une élection comme les autres, alors il faut être prudent. Mais je peux dire qu'à moins de 24 heures du vote, je suis confiant. On a fait une bonne campagne et on a utilisé toutes les techniques pour obtenir l'appui des autres pays», affirme M. Cannon.
L'Assemblée générale de l'ONU votera ce matin pour renouveler 5 des 10 membres non permanents du Conseil de sécurité. Le mandat est de deux ans (2011 et 2012). Pour y accéder, le Canada devra récolter le vote des deux tiers de l'Assemblée générale. Si tous les pays sont présents aujourd'hui (ce qui est rare), il faudrait alors obtenir 128 voix sur 192.
La zone géographique «Europe occidentale et autres pays» met en concurrence trois nations qui ont une bonne réputation internationale: le Canada, l'Allemagne et le Portugal. Mais il n'y a que deux sièges disponibles dans cette zone, de sorte que l'un des pays devra s'avouer vaincu.
La concurrence a été plus serrée que jamais pour Ottawa, qui s'est lancé dans la course à l'automne 2008, plusieurs mois après ses rivaux. À chaque décennie depuis la création de l'ONU, le Canada a brigué avec succès un siège dans le Saint des Saints de la sécurité mondiale. Jamais il n'a échoué dans sa quête. La dernière présence du Canada remonte à 1999 et 2000.
«C'est le grand vote de l'année. C'est très prestigieux le Conseil de sécurité», affirme Louise Fréchette, qui a été vice-secrétaire générale de l'ONU de 1998 à 2006. Elle ajoute que le Canada, après «un départ chaotique où on se demandait s'il était sérieux», a finalement retrouvé son aplomb dans les six derniers mois. «C'est ce que ça prenait, car ce n'est pas gagné d'avance», dit Mme Fréchette, qui est maintenant associée au Centre pour l'innovation en gouvernance internationale, à Waterloo.
Un sprint éprouvant
Les traits tirés, les yeux rouges de fatigue, c'est un ministre Cannon visiblement épuisé en cette fin de campagne qui a pris place hier avec Le Devoir dans une petite salle de la mission canadienne à l'ONU. Depuis une semaine, la délégation canadienne est en mode séduction tous les soirs, alors que s'organisent un peu partout à New York des soirées mondaines où les ambassadeurs de l'ONU, les hommes qui détiennent la clé du vote, sont présents.
Vendredi, le Canada recevait d'ailleurs le gratin diplomatique au chic Colony Club, en plein coeur de Manhattan. Plus de 300 personnes se sont présentées, dont le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon. «On est content qu'il ait fait acte de présence. Tous les gestes symboliques comptent», affirme Lawrence Cannon.
Dans la grande salle de conférence juste à côté, un «meeting de guerre» rassemble une cinquantaine de fonctionnaires et de diplomates du ministère des Affaires étrangères. Plusieurs sont venus d'Ottawa dans les derniers jours pour prêter main-forte à l'équipe sur place et tenter de remporter la bataille. «C'est un peu comme une campagne électorale. Il faut un plan de match et une équipe pour le mettre en oeuvre. Présentement, on révise tout», affirme Lawrence Cannon, qui donnait d'ailleurs un dernier coup de pouce à la campagne canadienne hier soir, lors d'une réception organisée par l'Afrique du Sud. Dans la journée, il a rencontré des représentants de plusieurs pays, notamment de l'Afrique, de l'Asie et de l'Europe de l'Est. «Les diplomates veulent que tu sois présent. Ça aide à cristalliser le vote», dit-il.
L'Allemagne favorite
L'Allemagne, qui pèse très lourd en Europe, a une diplomatie efficace et une contribution exemplaire à l'ONU. Selon Paul Heinbecker, ancien ambassadeur canadien à l'ONU, elle devrait remporter l'un des deux sièges aujourd'hui. «L'Allemagne est favorite dans cette course. La lutte est entre le Canada et le Portugal», a-t-il affirmé au Devoir.
Le Portugal, qui a obtenu l'aide de l'influent Brésil dans sa quête, joue la carte du pays de moyenne puissance qui peut être le porte-voix des petites nations du monde à la table des grands.
Le Canada, aidé par sa grande visibilité internationale cette année, grâce au G8, au G20 et aux Jeux olympiques, a lui aussi obtenu un coup de pouce de pays puissants dans certaines régions-clés, comme la Russie, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Les 26 pays de l'OTAN, reconnaissant les sacrifices canadiens en Afghanistan, devraient aussi s'aligner, tout comme les nations des Caraïbes. «Il y a un bon momentum du côté canadien depuis un an», explique un diplomate européen qui a demandé l'anonymat.
Le véritable avantage du Canada se situe dans la représentation géographique. «Est-ce que les pays du monde voudront deux nouveaux membres au Conseil qui proviennent de l'Europe? Il y a déjà la France et la Grande-Bretagne qui ont un siège permanent», affirme un autre diplomate onusien.
Néanmoins, la politique étrangère du gouvernement Harper n'a pas facilité la course du Canada. Par exemple, la rhétorique sans nuances en faveur d'Israël n'a pas échappé aux 57 pays de l'Organisation de la conférence islamique. Les pays arabes seraient réticents à appuyer le Canada, sachant de quel côté il va pencher lorsque le Conseil de sécurité traitera des tensions dans cette région du monde.
Mais Lawrence Cannon tient à briser cette impression. «Les pays arabes ne vont pas faire bloc contre nous. C'est un mythe. Je peux vous dire que plusieurs pays modérés sont de notre côté.»
L'autre épine au pied du Canada aura été son manque de sérieux dans la lutte contre les changements climatiques. À ce sujet, 37 pays de l'ONU sont de petites îles qui ont peur d'être englouties. Il est vrai qu'il a fallu travailler plus dur pour les convaincre, reconnaît Lawrence Cannon. «On a eu des discussions importantes, mais ils ont bien vu qu'on a signé l'accord de Copenhague et qu'on a promis 400 millions pour aider les pays pauvres à s'adapter aux changements climatiques. Ça compte.» Résultat ce matin lors du vote, là où ça compte vraiment...