Israël - Une alliance hétéroclite

Le chef du parti ultrareligieux Shass s'est écrié «C'est le Nouveau Testament!» en découvrant que le premier ministre Ariel Sharon, réélu le 28 janvier dernier, avait décidé de laisser tomber son allié traditionnel pour former un tout nouveau gouvernement.

Faute de pouvoir reformer un gouvernement d'union nationale avec les travaillistes, Ariel Sharon s'est résigné cette semaine à s'appuyer sur une alliance hétéroclite qui regroupe son propre parti, le Likoud (40 députés), un parti ultralaïque, le Shinouï (15 députés), et le principal porte-parole des colons des territoires occupés, le Parti national religieux (six députés). Avec les voix du bloc de l'Union nationale (sept), un regroupement de partis d'extrême droite, le premier ministre est donc parvenu à rassembler une majorité de 68 députés sur les 120 que compte la Knesset.

C'est donc un gouvernement résolument ancré à droite qui dirigera Israël au cours de la prochaine année. Personne ne se hasarde en effet à prévoir un mandat beaucoup plus long à une équipe qui regroupe des éléments aussi opposés.

Le Shinoui

Conscient de ne pas pouvoir former le gouvernement laïque dont il rêve, le Shinouï a mis de côté sa principale revendication et s'est contenté du démantèlement du ministère des Affaires religieuses et de vagues comités chargés d'étudier l'instauration du mariage civil et la participation éventuelle des ultrareligieux au service militaire. Leur leader, Joseph Lapid, n'aurait pour rien au monde raté la chance de faire accéder son parti au gouvernement pour la première fois. Le Shinouï détiendra notamment les ministères de la Justice et de l'Intérieur.

En leader pragmatique, le premier ministre semble accepter le jugement d'une population de plus en plus révoltée par le parasitisme des ultrareligieux, qui vivent de subventions et refusent de faire leur service militaire. Il s'affranchit donc des ultrareligieux de Shass, son allié de toujours, tout en s'alliant aux colons. Le leader spirituel de Shass, le rabbin Ovadia Yosef, ne s'est d'ailleurs pas gêné de traiter Ariel Sharon de «roi des poubelles».

Dans son discours à la Knesset, le premier ministre a pris soin d'indiquer que ses ministres ne sont pas tenus de partager son point de vue en faveur de la création d'un État palestinien, pour lequel il se dit prêt à un «douloureux compromis». Sharon vient en effet de s'allier à deux partis radicalement opposés à toute forme d'État palestinien. Le PNR, qui détiendra les portefeuilles du Logement et des Affaires sociales, défend la poursuite de la colonisation des territoires occupés et l'augmentation des subventions aux colons. L'Union nationale milite elle aussi pour la colonisation tous azimuts. Certains de ses militants proposent ouvertement le «transfert» des Palestiniens de la Cisjordanie vers les pays arabes limitrophes.

Cette divergence entre Sharon et ses alliés est pour l'instant secondaire puisque la création d'un État palestinien ne sera pas à l'ordre du jour tant que la guerre en Irak ne sera pas terminée, comme l'a répété George W. Bush dans son discours de mercredi dernier devant l'American Enterprise Institute à Washington. La première tâche du nouveau gouvernement consistera plutôt à redresser l'économie d'Israël, dont le PNB, en 2003, devrait diminuer pour la troisième année consécutive. Ariel Sharon n'aura pas de difficulté à arracher à ses alliés de droite les mesures de rigueur qui attendent les Israéliens.

L'une des grandes surprises de ce gouvernement est la rétrogradation de l'ancien premier ministre Benjamin Nétanyahou. Celui qu'on considère comme le successeur éventuel de Sharon passe du portefeuille des Affaires étrangères à celui des Finances. Avec cette nomination, Sharon fait d'une pierre deux coups. Aux Affaires étrangères, il nomme l'ex-ministre des Finances, le séfarade Silvan Shalom, jugé plus malléable par les Américains. Et il fait à Nétanyahou un vrai cadeau de Grec. Presque aucun ministre des Finances n'est jamais devenu premier ministre. Nétanyahou n'avait-il pas accusé Sharon de ne rien faire alors que l'économie israélienne est en crise?

Au risque de mécontenter Washington, Sharon ne pourra pas refuser à ses nouveaux ministres une augmentation des implantations. Le leader du Likoud n'a jamais caché sa volonté de n'accepter qu'un État palestinien bancal, limité à 40 % de la Cisjordanie actuelle. L'intensification de la colonisation s'inscrit donc directement dans la poursuite de cet objectif. Il s'agit de conserver l'avantage du terrain en grignotant au maximum la Cisjordanie et la bande de Gaza avant d'en arriver aux «concessions douloureuses» qu'il faudra bien faire un jour.

«Le prochain gouvernement israélien sera incapable d'adopter une politique équilibrée sur le processus de paix», a déclaré le négociateur palestinien Saëb Erakat. C'est aussi l'opinion d'une partie de la presse israélienne, qui considère cependant que la question ne sera pas à l'ordre du jour avant des mois.

Dans l'éventualité où le processus de paix se remettrait en branle, Sharon n'aura qu'à lever le petit doigt pour que ses anciens alliés travaillistes, fatigués de moisir dans l'opposition, reviennent au gouvernement.

Pour l'instant, les travaillistes sont en crise. Leur leader, Amram Mitzna, n'a jamais souhaité participer à un nouveau gouvernement avec Ariel Sharon. Celui-ci, de toute façon, n'aurait jamais pu accepter les conditions fixées par le leader travailliste: évacuation des colonies de Gaza (6000 personnes), arrêt des subventions à la colonisation de la Cisjordanie et reprise immédiate des négociations avec les Palestiniens.

Il n'est pas certain qu'Amram Mitzna se relève de son refus d'entrer au gouvernement. L'ancien chef travailliste, Binyamin Ben Eliezer, l'a accusé cette semaine d'avoir provoqué «la défaite historique la plus cuisante du parti». L'élite travailliste reproche à Mitzna son manque d'expérience et d'avoir annoncé à l'avance son intention de ne pas cohabiter avec la droite, ce qui lui a enlevé tout pouvoir de négociation. «Cela nous a coûté de quatre à cinq mandats. Ça suffit! Nous ne pouvons plus nous taire», a affirmé M. Ben Eliezer.

En attendant, l'hebdomadaire Jerusalem Report révélait cette semaine que deux nouvelles colonies pourraient être créées en Cisjordanie d'ici les prochaines semaines. Quelques familles pourraient s'installer près de Bat Ayin et plusieurs autres au sud-ouest de Neveh Daniel.

Et la paix, dans tout ça?

Le chroniqueur Doron Rosenblum, du quotidien Haaretz, a parfaitement résumé la situation: «Comme un fermier qui tient une carotte devant une mule, Sharon mène tout le monde par le bout du nez tout en promettant de grandes choses: après les vacances, après la prochaine opération militaire, après la décision, après le siège de la Moukata [le quartier général de Yasser Arafat], après la guerre, après les élections... »

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