Sommet de l'OTAN - Poutine souffle le chaud et le froid

Plusieurs Russes ont manifesté hier dans les rues de Moscou pour appuyer leur président au sommet de l’OTAN.
Photo: Agence Reuters Plusieurs Russes ont manifesté hier dans les rues de Moscou pour appuyer leur président au sommet de l’OTAN.

Bucarest — En gravissant les marches du somptueux palais Cotroceni, à Bucarest, où se déroule le sommet de l'OTAN, le président russe Vladimir Poutine pouvait savourer une petite victoire. Sans être membre de l'OTAN, il venait d'imposer son veto à l'amorce des procédures d'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'Alliance atlantique.

Sur un ton calme, le président Poutine n'a toutefois pas mâché ses mots lorsqu'il s'est adressé aux représentants de l'Alliance. Dans un langage qualifié de «franc et ouvert», il a rappelé que «l'apparition d'un puissant bloc militaire à nos frontières [...] sera toujours considérée comme une menace directe contre la Russie». Pour le président russe, «l'OTAN ne peut pas garantir sa sécurité aux dépens de la sécurité des autres».

Si Vladimir Poutine entend maintenir un «dialogue constructif» avec l'OTAN, il n'entend visiblement pas camoufler les profondes divergences qu'il entretient avec une organisation née, l'a-t-il rappelé, pour combattre un bloc soviétique «qui n'existe plus». «Certains sont allés jusqu'à une totale diabolisation de la Russie et ne peuvent toujours pas s'en empêcher», a-t-il poursuivi.

Satisfait du report de l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, le président russe s'est néanmoins montré très irrité par la garantie formelle adressée jeudi à ces deux pays, selon laquelle ils pourront un jour intégrer l'Alliance atlantique. Dans la même résolution, le sommet a en effet trouvé le moyen d'affirmer la vocation de l'Ukraine et de la Géorgie à être un jour membres de l'OTAN et son refus d'entamer une démarche formelle d'adhésion comme l'Alliance le fera bientôt avec le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine.

L'Europe divisée

Depuis trois jours, l'OTAN marche donc sur des oeufs avec le voisin russe. Il faut dire que les sujets de friction n'ont pas cessé de se multiplier depuis quelques années. Cela va de la reconnaissance du Kosovo indépendant au bouclier antimissile en passant par le traité de limitation des armes conventionnelles en Europe (FCE) et l'élargissement de l'OTAN. Les 26 membres de l'Alliance ont même craint que le président russe ne boycotte ce sommet, comme il l'a d'ailleurs fait depuis six ans. Le Conseil OTAN-Russie existe en effet depuis 2002 et c'est la première fois qu'un président russe y est reçu.

Généralement unis pour ce qui est de l'action à mener en Afghanistan et au Kosovo, les 26 membres de l'OTAN ont soudainement renoué avec leurs vieilles divisions dès qu'il a été question de la Russie. Contre le Canada, les États-Unis, les pays baltes et dix pays de l'ancienne Europe de l'Est, ce sont l'Allemagne et dans une moindre mesure la France, l'Italie et la Belgique qui ont cherché à ne pas irriter l'imposant voisin qui alimente en gaz tout le continent.

On prête à Angela Merkel la volonté de ne pas compromettre ses relations avec le successeur de Vladimir Poutine. Le 11 mai prochain, Dimitri Medvedev doit lui succéder. Il y a quelques jours, le premier ministre français François Fillon s'était violemment opposé à l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN en invoquant «l'équilibre des rapports de puissance en Europe et entre l'Europe et la Russie». Une déclaration aussitôt fustigée par la présidence américaine.

Peu avant l'arrivée de Vladimir Poutine, les membres de l'OTAN accueillaient le président ukrainien Viktor Iouchtchenko. Le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a invité l'Ukraine à être «patiente», la décision prise jeudi devant être réexaminée en décembre prochain. Viktor Iouchtchenko ne s'est pas montré froissé de cette rebuffade. Il a plutôt insisté sur la première partie de la résolution, qui affirme que l'Ukraine deviendra membre de l'OTAN.

«Hier, l'Ukraine a reçu un signal clair», a déclaré le président ukrainien. «La demande de l'Ukraine a été présentée après 60 ans de communisme. Je ne connais pas de pays européen qui paie un prix aussi élevé pour sa sécurité», a-t-il martelé. «Nous sommes le seul État non membre qui contribue à toutes les actions de l'OTAN. Les valeurs européennes ainsi que les valeurs atlantiques sont chères à notre coeur. L'Ukraine est un État souverain qui a parfaitement le droit de forger sa propre politique étrangère.»



Pas de retour à la guerre froide

Malgré la fermeté de ses propos, le président Poutine a écarté tout retour à l'atmosphère de la guerre froide. «Ni les États-Unis, ni l'Europe, ni la Russie n'ont intérêt à revenir à une telle situation, a-t-il dit. Il n'y a plus de divergences idéologiques aujourd'hui en Europe.» D'ailleurs, la coopération pratique se poursuit entre la Russie et l'OTAN, a-t-il précisé.

L'Alliance coopère notamment avec la Russie dans la lutte antiterroriste et contre le trafic de drogue. Vladimir Poutine s'est dit prêt hier à revenir au Traité de désarmement sur les forces conventionnelles en Europe si l'OTAN «prend en considération les intérêts de la Russie». Le 12 décembre dernier, la Russie a cessé d'appliquer ce traité, qui réglemente une partie de la sécurité européenne depuis la fin de la guerre froide et qui a beaucoup contribué à réduire les arsenaux militaires.

«Nous avons retiré notre armée, a demandé Vladimir Poutine, et qu'avons-nous reçu en retour? Une base en Bulgarie, une autre en Roumanie et un radar antimissile en Pologne!» Dressant le bilan de sa présidence, il a exprimé sa fierté d'avoir contribué à «la renaissance d'un État puissant, indépendant, et qui a une politique autonome».

La nouvelle politique étrangère russe est basée sur «deux hypothèses et un calcul», a déclaré cette semaine le politologue bulgare Ivan Krastev, invité à Bucarest pour un colloque du prestigieux German Marshall Fund. Selon lui, la Russie mise sur le déclin de la puissance américaine, le retour aux États nations en Europe, malgré l'Union européenne, et la perte du monopole de l'Occident sur le processus de la mondialisation.

Le débat amorcé à Bucarest se poursuivra aujourd'hui sur les bords de la mer Noire, à Sotchi, en Russie, où Vladimir Poutine rencontre George W. Bush pour une explication qui s'annonce franche, selon la Maison-Blanche. Il s'agit aussi en quelque sorte d'un week-end d'adieu. D'ici quelques mois à peine, le président russe sera devenu premier ministre et le président américain aura quitté ses fonctions.

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Correspondant du Devoir à Paris

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