Sommet de l'OTAN - Le Canada recevra finalement l'aide des Américains

Photo: Agence France-Presse (photo)

Bucarest — Le suspense qui durait depuis des semaines a donc pris fin lors du dîner de travail du sommet de l'OTAN, qui s'est ouvert hier soir à Bucarest. Le premier ministre Stephen Harper a finalement obtenu l'assurance du président Bush que les Américains enverront des renforts d'au moins 1000 hommes pour épauler les 2500 soldats canadiens qui font face à la résistance croissante des talibans dans la région de Kandahar, au sud du pays.

Les Français, qui avaient été approchés pour prêter main-forte à l'armée canadienne, ont plutôt confirmé l'envoi d'un bataillon dans l'est du pays, qui s'ajoutera aux 1500 hommes qu'ils ont déjà en Afghanistan.

Le président Nicolas Sarkozy devrait confirmer ce choix ce matin devant les 26 chefs d'État ou de gouvernement des pays membres réunis à Bucarest. La France a ainsi choisi de retourner combattre dans la région frontalière du Pakistan où les unités spéciales françaises étaient déjà intervenues avant 2006.

À Ottawa, on fait mine de ne pas se formaliser de la décision française, même si le gouvernement de Stephen Harper a déployé beaucoup d'efforts pour tenter de convaincre la France de l'épauler dans le sud du pays. Depuis plusieurs jours, les rumeurs contradictoires allaient bon train sur l'engagement français en Afghanistan. Après les nombreuses démarches entreprises par Ottawa, Nicolas Sarkozy avait semblé pencher pour l'envoi de 1000 hommes lors de sa récente rencontre avec le premier ministre britannique, Gordon Brown.

Mais, au début de la semaine, son premier ministre François Fillon ne parlait plus que de «quelques centaines d'hommes», un chiffre beaucoup trop faible pour les besoins de la région de Kandahar, où se déroulent les combats les plus violents. Selon des sources proches de l'Élysée, il semble que l'état-major français, dont les troupes sont parmi les plus présentes dans les missions de paix à travers le monde, était peu enclin à s'engager dans un tel engrenage. C'est lui qui aurait finalement fait pencher la balance en faveur de l'est du pays.

Plus tôt dans la journée, le premier ministre Stephen Harper avait refusé de confirmer qu'un accord avait de toute façon déjà été conclu avec le président des États-Unis pour que l'armée américaine prête main-forte aux Canadiens advenant un refus des Français. À quelques heures du dîner de travail qui ouvrait officiellement le Sommet, le premier ministre canadien s'est longuement exprimé sur la question dans un forum du German Marshal Fund, un prestigieux think-tank américain, réunissant le premier ministre afghan Hamed Karzaï et le secrétaire général de l'Alliance atlantique Jaap de Hoop Scheffer.

«Notre objectif n'est pas d'obtenir des troupes pour nous-mêmes, c'est aussi de nous assurer que l'action de l'OTAN s'améliore de façon à ce que nous remportions des succès en Afghanistan. Que les Français envoient des troupes dans une province en particulier ou qu'ils envoient plus de troupes de façon à permettre à d'autres de venir nous aider, c'est du pareil au même. Ce dont nous voulons être certains, c'est d'avoir un partenaire et que l'on améliore la mission de l'OTAN.»

Stephen Harper n'a exprimé aucune irritation à l'égard des revirements qui ont marqué la position française depuis deux semaines. «M. Sarkozy n'a pris aucun engagement définitif à l'endroit de l'OTAN. Je pense que tout ce que pourra faire la France en plus que ce qu'elle fait déjà représentera une victoire et un pas significatif en avant.»

Selon le quotidien Le Monde, l'engagement de Nicolas Sarkozy aurait surtout pour but de susciter en retour un appui de George W. Bush en faveur de la politique européenne de sécurité et de défense, dont Nicolas Sarkozy est un partisan. Le président souhaiterait même réintégrer le commandement intégré de l'OTAN lors du prochain sommet, qui aura lieu à la frontière franco-allemande (à Strasbourg et à Kehl). Celui-ci pourrait consacrer du coup la naissance d'une Europe de la Défense avec la bénédiction de l'Alliance atlantique.

Mardi, sur France Inter, le premier ministre François Fillon avait posé trois conditions à l'aide française: que l'aide publique internationale à l'Afghanistan soit augmentée, que l'«afghanisation» du conflit soit accélérée (et que l'armée afghane assure notamment le contrôle de Kaboul) et que les autres pays alliés s'engagent aussi à augmenter leurs forces.

Une erreur de l'OTAN

Interrogé par un participant au forum, Stephen Harper a exceptionnellement reconnu que l'OTAN avait mal évalué la situation en Afghanistan dans les premières années de son engagement. L'OTAN a cru «que ce serait facile» et «ce n'est qu'en 2005 qu'on a compris la nature de la situation».

Dans la matinée, le président George W. Bush avait pressé les alliés de mieux «partager le poids» de l'effort militaire. «Nous devons prendre le mot "ennemi" au sérieux, disait-il. [...] S'il fallait céder aux pressions, les extrémistes trouveraient à nouveau refuge dans le pays.» Il faut, dit-il, «achever la guerre en Afghanistan».

Stephen Harper juge cependant qu'il importe de mieux définir ce que pourrait être un «succès» en Afghanistan. «S'il s'agit de créer un environnement aussi sécuritaire que dans les pays de l'Ouest, cela pourrait prendre 25 ans. Mais s'il s'agit de redonner aux Afghans le contrôle de la situation, je crois que c'est réalisable.» Le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, estime quant à lui qu'«il faudra plus qu'une génération pour reconstruire une nation que les talibans ont ramenée au Moyen Âge. Peut-être deux»... Mais en attendant, dit-il, «le succès en Afghanistan, c'est l'épreuve de vérité de l'OTAN».

Dans la matinée, Stephen Harper a eu une rencontre privée avec le président Karzaï, qui a chaleureusement félicité le Canada pour son engagement. Les deux hommes ont notamment parlé du Pakistan, où se réfugient les talibans qui combattent en Afghanistan. Le premier ministre a aussi rencontré le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, auprès de qui il a plaidé la cause de l'Ukraine et de la Géorgie, qui demandent à l'OTAN d'amorcer un processus visant, à terme, leur intégration dans le club sélect de l'Alliance.

Le Canada est un des principaux avocats de l'intégration de l'Ukraine, qui «partage les valeurs du Canada et de nos alliés de l'OTAN», dit Stephen Harper. L'Ukraine a exprimé son intérêt pour l'OTAN depuis 1991, ajoute un proche du premier ministre. On sait aussi que le Canada compte environ un millions de citoyens d'origine ukrainienne, concentrés notamment dans l'ouest du pays.

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