Le chantage russe contre l'Ukraine - Le gaz comme arme de négociation

C'est devenu une méthode de négociation: pour la deuxième fois en deux ans, Gazprom a réduit ses livraisons de gaz à l'Ukraine, de près de moitié pendant 24 heures, avant d'annoncer hier soir le retour à la normale. L'Union européenne, dépendante à près de 80 % des gazoducs ukrainiens pour ses livraisons de gaz russe, a frémi. Jusqu'à ce que Kiev et Moscou promettent de reprendre leurs négociations pour remettre à plat une nouvelle fois encore leurs relations gazières.
La particularité de cette nouvelle crise est qu'elle oppose cette fois autant Moscou et Kiev que les dirigeants ukrainiens entre eux. Si Moscou a une nouvelle fois pris le risque de couper les vannes à l'Ukraine, c'était surtout pour attiser les dissensions entre les deux principaux acteurs de la «révolution» ukrainienne de 2004, le président Viktor Iouchtchenko et la première ministre Ioulia Timochenko. Le 12 février à Moscou, le président Iouchtchenko avait en effet convenu avec Vladimir Poutine d'un règlement de tous les contentieux en suspens: les dettes ukrainiennes envers Gazprom seraient payées et de nouveaux intermédiaires mis en place, un peu moins opaques que les précédents, laissait-on alors espérer.Las, sitôt le président Iouchtchenko rentré au pays, son premier ministre annonçait qu'il fallait totalement en finir avec les intermédiaires et usait de son pouvoir de contrôle sur Naftogaz, l'importateur ukrainien, pour bloquer l'application de l'accord. «Je suis enclin à penser que Timochenko a raison de vouloir supprimer les intermédiaires», décrypte à Kiev Konstantin Bondarenko, directeur de l'Institut des problèmes de management. «En défendant les intermédiaires, Iouchtchenko et Poutine montrent que ces structures leur sont profitables, à eux ou à leurs entourages.»
Cette crise confirme que la campagne pour la prochaine présidentielle de 2009 en Ukraine est déjà bien lancée entre Iouchtchenko et Timochenko, observe cet expert. Quoique la Russie joue aussi une partition toute particulière dans cette affaire, rappelle-t-il: «Les deux clés de l'attitude russe sont aujourd'hui la volonté de prendre le contrôle des gazoducs ukrainiens et d'empêcher l'entrée de l'Ukraine à l'OTAN, estime Konstantin Bondarenko. Et si jadis les dirigeants de Gazprom traitaient l'Ukraine comme un partenaire, les dirigeants actuels ont l'air de se demander pourquoi ils devraient payer pour le transport de leur gaz s'ils peuvent prendre le contrôle des tuyaux ukrainiens par des méthodes de prédateurs.» Autant dire que l'apaisement annoncé hier soir n'est certainement pas le fin mot de l'histoire.