Dmitri Medvedev en mission commandée

Il a croqué des concombres à la ferme, pris le thé avec des retraités... Sans que rien suffise à donner du relief à son personnage de sage intendant. Où qu'il arrive, Dmitri Medvedev a toujours l'air un peu raide ou emprunté. Son trait distinctif reste sa petite taille, sujet de prédilection des internautes russes, qui l'estiment entre 1,58 m et 1,62 m. Les mauvais esprits prétendent que Poutine l'aurait choisi car il était le seul prétendant de plus petit calibre que lui.
Né le 14 septembre 1965 à Léningrad (Saint-Pétersbourg), le futur président russe est fils d'enseignants. De son enfance, il se souvient avoir rêvé de jeans et de disques vinyles. Le rock est l'une des rares passions qu'on lui connaît et que le pouvoir lui permet d'assouvir. Récemment, lors de la fête nationale russe ou des 15 ans de Gazprom, ses proches ont fait venir à Moscou Tina Turner ou Deep Purple, pour des concerts privés qui lui ont arraché quelques rares moments d'émotion. «J'ai commencé à écouter Deep Purple à 13 ans, confiait-il alors. Leur musique était interdite.» Ce qui ne l'a pas empêché d'adhérer au Parti communiste de l'URSS, seul moyen à l'époque pour un jeune ambitieux d'entamer une carrière.Ce penchant pour le rock tombe à pic aujourd'hui pour faire de Medvedev un «libéral», prêt à réorienter la Russie vers ses valeurs européennes et gommer les aspects répressifs du régime. Enfant de la pérestroïka et surfeur assidu sur Internet, le nouveau président russe semble bien conscient que seul un État de droit, le respect de la propriété privée et l'économie de marché peuvent permettre à la Russie de poursuivre son développement. «La liberté vaut mieux que l'absence de liberté. Ce principe devrait être au coeur de notre politique», a-t-il lancé durant cette campagne.
Tout en prêchant le libéralisme, Dmitri Medvedev doit pourtant assumer l'héritage de Vladimir Poutine, dont il est l'un des bras droits depuis 2000. «Ses convictions sont une chose, sa politique en sera une autre, rappelle le journaliste Leonid Razikhovski. Pour ce qui est des libertés politiques, il n'est pas si bête pour donner des libertés qui se retourneraient contre lui.» Gleb Pavlovski, conseiller du Kremlin qui le côtoie depuis la première présidentielle de Poutine en 2000, confirme: «Libéral, Medvedev l'est au sens où il est rationnel. C'est un homme qui fait toujours passer le bon sens avant l'idéologie. Mais il a aussi ses valeurs, notamment familiales. En ce sens, il est plutôt un libéral conservateur.»
Marié depuis 1989 à une ancienne camarade d'école, Dmitri Medvedev est père d'un fils unique de 12 ans. Dans son unique interview préélectorale, à l'hebdomadaire Itogui, il explique avoir demandé à sa femme, diplômée en finances, de rester au foyer pour élever leur enfant. «C'est la logique normale d'un homme qui souhaite avoir dans son dos un arrière sûr et solide», dit-il.
Dans cette interview, Medvedev reprend aussi à son compte les accusations les plus abracadabrantes lancées ces dernières années par le Kremlin contre les centres culturels britanniques, assurant que ceux-ci «se livrent à des activités d'espionnage». Il laisse entendre qu'il pourrait, si nécessaire, très bien entonner la rhétorique anti-occidentale de Poutine: «Si l'on veut, on peut dire que les États-Unis sont l'agresseur financier et le terroriste économique qui impose sa devise et ses standards au monde entier.»
«Ficelles»
Dmitri Medvedev reste l'homme de Poutine. Ils se sont connus en 1990, alors qu'ils étaient conseillers du maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak. Des députés locaux s'étonnaient que Poutine ait délivré des licences d'exportation de pétrole et métaux pour une valeur de 100 millions de dollars, sans que les produits alimentaires promis en échange aient été livrés... Medvedev aurait trouvé les ficelles juridiques pour prouver que tout était en règle, et faire cesser les poursuites.
Durant ces fébriles années 90, Dmitri Medvedev se lance aussi dans les affaires, créant plusieurs structures commerciales et participant au développement d'un groupe géant du bois, Ilim Pulp Enterprise. Là encore, puis au conseil de direction de Gazprom qu'il dirige depuis 2000, les soupçons de malversations ont été nombreux, mais ce brillant juriste a su les étouffer, sans que rien soit jamais retenu contre lui.
En 2003, lorsque la justice s'acharne sur le patron de Ioukos, arrêté et ruiné à coups de redressements fiscaux, Medvedev fait entendre ce qui ressemble à une rare critique: «Nos collègues devraient évaluer toutes les retombées économiques des actions qu'ils entreprennent.» Mais quand le chef de l'administration du Kremlin, Alexandre Volochine, démissionne à cause de cette affaire, Dmitri Medvedev prend sa place. Ce qui est arrivé au patron de Ioukos atteste de «l'égalité de chacun devant la loi, aussi riche soit-il», ose-t-il soutenir en 2004. À l'image de Poutine, Medvedev maîtrise déjà l'art de dire tout et son contraire.