La non-campagne de Russie

Dmitri Medvedev et son mentor Vladimir Poutine au Kremlin jeudi.
Photo: Agence Reuters Dmitri Medvedev et son mentor Vladimir Poutine au Kremlin jeudi.

Ce dimanche, partout en Russie, il y aura des loteries, des concours de dessins d'enfants, des dégustations de crêpes, des coupes de cheveux et des consultations médicales gratuites, des concerts ou des Fêtes du printemps, anticipées pour l'occasion... L'imagination des autorités pour attirer les électeurs dans les bureaux de vote promet de faire de cette journée un spectacle haut en couleur, à défaut d'élections pluralistes.

Les 107 millions d'électeurs sont tout de même conviés à élire ce dimanche le président qui succédera en mai à Vladimir Poutine. Mais en réalité, l'élection a déjà eu lieu, en décembre, lorsque Poutine a annoncé soutenir la candidature de Dmitri Medvedev, actuel premier vice-premier ministre et fidèle compagnon de route. Depuis, grâce à l'intense promotion de sa candidature à la télévision, la popularité de Medvedev a bondi, passant de quelque 20 % à 60 %, ou même 80 % d'intentions de vote. À la télévision, Medvedev a déjà en partie remplacé Poutine dans le rôle du bon père de la nation, visitant tous les jours fermes, usines, maisons de retraite, hôpitaux ou écoles pour promettre «continuité» et «stabilité».

Irrégularités

Tout en assurant la victoire de Medvedev, dès demain au premier tour, les grands manitous du Kremlin semblent pourtant tout faire pour que cette élection soit entachée d'innombrables irrégularités, qui assureront que le nouvel élu ne se sente pas trop pousser des ailes et reste bien l'homme de Poutine. Lequel a annoncé son intention de passer au poste de premier ministre et de continuer à jouer un rôle de «leader national».

Medvedev n'est opposé qu'à trois figurants, avec lesquels il n'a pas daigné débattre. La «campagne électorale» s'est résumée à des affrontements télévisés entre les trois pseudo-opposants, diffusés sur les grandes chaînes de télévision à 7 heures du matin ou minuit. Ce fut surtout l'occasion pour le tribun d'extrême droite Vladimir Jirinovski de se défouler contre les «salauds», «crétins», «malades» et autres «vauriens» qui le contredisent, concluant souvent l'argumentaire en en venant aux mains.

Sur ce triste fond, le Kremlin a pu vendre Dmitri Medvedev comme un «libéral», notamment vis-à-vis de l'Occident. En Russie, comme à l'étranger, beaucoup veulent y croire, bien que le futur président participe activement à ce simulacre de démocratie. «En fait, en Russie, Medvedev est surtout perçu comme le successeur de Poutine, rappelle le sociologue Lev Goudkov, directeur du centre Levada. Les Russes n'attendent guère de miracle de lui, mais plutôt la prolongation de la politique actuelle. Ils ont surtout très peur d'un retour aux crises des années 1990. Ils aimeraient bien que le nouveau président contrôle mieux l'inflation, assure la croissance économique, règle les problèmes de corruption et augmente les retraites.»

Vu l'absence totale de suspense, le principal souci des autorités semble être la participation. La commission électorale, qui prend directement ses ordres au Kremlin, a annoncé qu'elle devra dépasser les 65 %. Pour tous les gouverneurs régionaux, qui doivent eux aussi leurs postes au Kremlin, ce sera l'objectif à atteindre. Si les loteries et Fêtes du printemps ne suffisent pas, il est clair que les résultats pourront être améliorés par quelques bourrages d'urnes.

«Dérives»

Les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui avaient dénoncé les irrégularités des précédentes élections russes, ont cette fois été écartés. «Est-ce que ce sont vraiment des élections?», a osé demander cette semaine l'hebdomadaire Vlast, un des petits espaces de liberté où les esprits critiques peuvent se défouler, à condition que cela n'atteigne pas trop le grand public.

«Les élections ont déjà eu lieu, avec un seul électeur, Vladimir Poutine, répond la vieille dissidente Lioudmila Alexeeva. Il a choisi le candidat et voté pour lui.» C'est un «jeu qui semble voué à discréditer les élections», s'inquiète aussi Sergueï Filatov, ancien chef de l'administration présidentielle sous Eltsine. À l'époque, en 1996 notamment, la campagne pour la réélection de Boris Eltsine n'avait pas été très propre non plus, «mais il y avait alors un vrai danger de retour au pouvoir des communistes, plaide cet expert. Aujourd'hui, il serait bon que la Russie en finisse avec ces dérives dangereuses.»

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