Irak - «Pire qu'une guerre civile», dénonce Kofi Annan

Bagdad — Tandis que Bagdad enterrait hier les 60 victimes du triple attentat à la voiture piégée qui avait frappé la veille un quartier chiite, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a estimé que l'Irak vivait une situation qu'il a qualifié de «pire» qu'une guerre civile.
Dans un entretien qui sera diffusé aujourd'hui par la BBC, le secrétaire général de l'ONU, qui quitte ses fonctions le 31 décembre, brosse un tableau très sombre de la situation dans l'ex-Mésopotamie. «Lorsque nous avons eu les violences au Liban ou ailleurs, nous parlions de guerre civile — or, ce qui se passe aujourd'hui est bien pire», juge le diplomate ghanéen qui, la semaine dernière, avait déclaré que l'Irak était au bord de la guerre civile.Le secrétaire général, dont la proposition de tenir une conférence internationale sur l'Irak a été rejetée hier par le président Jalal Talabani, a dit que la vie est aujourd'hui plus difficile que du temps du «raïs» déchu. «Je pense qu'ils ont raison si l'on parle de la vie des Irakiens moyens. Si j'étais un Irakien moyen, je ferai de toute évidence la même comparaison, à savoir qu'il y a eu un dictateur qui était brutal mais qu'à l'époque les rues étaient sûres, ils pouvaient sortir, leurs enfants aller à l'école et revenir à la maison sans que leurs parents s'inquiètent. [...] le gouvernement irakien n'est pas capable de contrôler la violence», a confié Annan à la journaliste Lyse Doucet, de la BBC.
Devant la recrudescence des attaques en Irak, où plus de 13 000 civils ont été tués en quatre mois, entre juillet et octobre, selon un rapport de l'ONU, les responsables américains cherchent à formuler une nouvelle stratégie.
Le Pentagone a confirmé hier l'authenticité d'une note de service rédigée par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, deux jours avant sa démission, survenue après la défaite électorale du Parti républicain qui a perdu le contrôle du Congrès. Cette note, obtenue par le quotidien New York Times, recommande un «ajustement majeur» en Irak.
«Ce que font actuellement les forces américaines en Irak ne fonctionne pas assez bien ou assez rapidement», écrit Donald Rumsfeld. Il recommande un redéploiement massif des unités américaines, une accélération de l'entraînement des forces de sécurité irakiennes et le soutien des chefs de guerre irakiens par le versement d'argent américain, «comme le faisait Saddam Hussein».
L'armée américaine a annoncé hier la mort de trois soldats dans deux attentats samedi, et celle du pilote d'un F-16 qui s'est écrasé la semaine dernière et dont le corps n'avait pas été retrouvé, portant à 2888 le nombre de militaires et personnels assimilés morts depuis l'invasion du pays en mars 2003.
Sur le terrain, la violence s'est poursuivie hier en Irak, tuant au moins 28 personnes, dont 16 au cours de plusieurs attaques à Baaqouba, où soldats irakiens et GI ont mené samedi une importante opération.
Pour sa part, l'armée américaine a annoncé avoir tué six «terroristes» dans la nuit de samedi à hier près de Bagdad, dans une fusillade et une frappe aérienne au cours de laquelle deux femmes et un enfant ont également péri.
Il s'agit du troisième incident de ce type dévoilé par l'armée américaine en une semaine: le 28 novembre, cinq fillettes avaient été tuées par les tirs d'un char d'assaut contre un immeuble où s'était réfugiés des insurgés à Ramadi (ouest) et le lendemain, une frappe aérienne avait tué huit «terroristes» et deux femmes au nord de Bagdad.
Un dirigeant sunnite irakien a annoncé la création prochaine d'un «Front national pour sauver l'Irak de la situation désastreuse dans laquelle il se trouve», lors d'une conférence de presse hier à Amman. «Le Front va exclure tous ceux qui cherchent à diviser l'Irak et les [groupes] confessionnels et accueillir quiconque veut l'unité de l'Irak», a dit Saleh Motlak, président du Front irakien pour le dialogue national.
Ce Front va exclure le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII, principal parti chiite dirigé par Abdel Aziz Hakim) et une partie du Dawa (parti chiite auquel appartient le Premier ministre Nouri Maliki) ainsi que les deux (principaux) partis kurdes, le Parti démocratique du Kurdistan que dirige Massoud Barzani et l'Union patriotique du Kurdistan du président irakien Jalal Talabani.
Enfin, les avocats de l'ancien président Saddam Hussein, condamné à mort le 5 novembre pour l'exécution de 148 villageois chiites dans les années 1980, ont présenté leur appel au Haut Tribunal pénal. Les neuf juges de la Cour d'appel n'ont pas de date limite pour rendre leur décision, mais s'ils confirment le verdict initial, la sentence doit être appliquée dans les 30 jours.
Agence France-Presse
avec Reuters