L'OTAN joue son avenir en Afghanistan

L'Afghanistan est la «priorité essentielle» de l'OTAN, ont déclaré les chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance atlantique réunis cette semaine à Riga, en Lettonie.
Cette mission est largement perçue comme un test pour l'organisation, qui pourrait même y jouer son avenir, alors que la situation dans ce pays d'Asie centrale ne s'améliore pas aussi vite qu'on l'avait espéré au moment de la chute du régime taliban à la fin de 2001. En fait, on y a plutôt noté une recrudescence des attentats et des affrontements depuis le début de l'année.Avec ses quelque 32 000 militaires venus de 37 pays (dont onze qui n'en sont pas membres), l'opération afghane est de loin la plus importante et la plus ambitieuse qu'ait menée l'Alliance. Et pourtant, elle manque de soldats et de ressources, en plus d'être minée par des désaccords sur le niveau et les modalités de l'engagement de chacun.
Depuis des mois, les pays dont les soldats se trouvent dans les situations les plus dangereuses — au premier chef les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni — pressent les autres d'en faire plus: soit en envoyant des soldats en renforts, soit en levant les restrictions qui limitent le déploiement de leurs soldats aux régions relativement sûres, soit encore en levant d'autres clauses qui les dispensent en plusieurs circonstances de l'obligation de combattre.
Relations mises à l'épreuve
Les relations au sein de l'OTAN ont été éprouvées par ce débat. Ce fut particulièrement évident lorsque, en septembre, des États européens ont refusé d'envoyer des troupes dans le sud de l'Afghanistan pour participer à une offensive contre les talibans (l'opération Méduse) menée par le contingent canadien.
Les pays interpellés, notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ont promis, à l'issue du sommet de Riga, de lever bon nombre de ces «restrictions», du moins en cas d'«urgence».
D'autres pays membres de l'Alliance ont promis d'envoyer des troupes additionnelles. Il est question de 1000 militaires polonais, mais pour les autres pays, le détail n'est pas encore connu.
Jeudi, le premier ministre canadien, Stephen Harper, a laissé entendre que les renforts viendraient surtout de pays qui ont déjà des contingents à pied d'oeuvre dans le sud de l'Afghanistan.
La France a pour sa part annoncé qu'elle mettrait un plus grand nombre d'avions et d'hélicoptères à la disposition de l'OTAN dans ce pays d'Asie centrale.
Pour le directeur général de l'Alliance, Jaap de Hoop Scheffer, il y a eu «un réel progrès» sur la délicate question des «restrictions». Quantitativement parlant, il a affirmé que le commandement militaire de l'Alliance dispose maintenant de «90 %» de ce qui est requis pour sa mission.
En septembre, le principal responsable militaire de l'OTAN, le général James Jones, avait estimé à 2500 les renforts nécessaires en Afghanistan.
Mission redéfinie
Pendant quarante ans, la raison d'être de l'OTAN avait consisté à défendre l'Europe occidentale contre une attaque de l'Union soviétique et de ses alliés du Pacte de Varsovie, attaque qui n'est jamais venue. Les problèmes relatifs à l'envoi de contingents et aux règles d'engagement particulières lors de missions spécifiques ne se posaient pas comme aujourd'hui, puisque les pays membres s'entendaient à long terme sur un niveau de troupes à stationner, essentiellement en Allemagne (de l'Ouest).
Après la fin de la guerre froide, l'OTAN, obligée de redéfinir sa mission, en est venue à intervenir ponctuellement dans des crises. Les premières interventions ont eu lieu dans les Balkans, d'abord en Bosnie-Herzégovine, puis au Kosovo.
L'Afghanistan est la première mission de l'OTAN dans laquelle des soldats sont engagés dans des combats au sol. Les interventions de l'Alliance dans les Balkans avaient été essentiellement aériennes. C'est également la première opération d'importance à se dérouler à l'extérieur de la région qui a donné son nom à l'OTAN, soit l'Atlantique Nord et les deux continents qui le bordent.
Créée en 2003, la Force internationale d'assistance à la stabilisation en Afghanistan (FIAS) a d'abord été déployée dans la capitale afghane, puis dans les régions également assez sûres du nord du pays. Ce n'est qu'en octobre de cette année qu'elle est devenue responsable de la sécurité sur l'ensemble du territoire afghan. La majorité des soldats américains et britanniques qui opéraient encore sous la bannière de l'opération Enduring Freedom (lancée en 2001) sont alors passés sous son commandement. Les autres contingents sont maintenant appelés à combattre comme eux dans les régions où les talibans et le réseau al-Qaïda demeurent actifs. «Quand la FIAS protégeait l'aéroport de Kaboul, la dichotomie était plus facile. Aujourd'hui, la pratique rend la distinction moins opérationnelle», expliquait au début de novembre un responsable européen de l'OTAN lors d'une conférence sur les opérations de maintien de la paix à Montréal.
Enlisement possible
Cette nouvelle donne explique en bonne partie le débat en cours, au Canada et dans plusieurs pays européens, où les opinions publiques répugnent à voir leurs soldats tuer et surtout risquer de se faire tuer.
Trois militaires canadiens ont péri dans deux attentats suicides au début de la semaine, juste avant le sommet de l'OTAN. Depuis le début de l'année, 36 soldats canadiens ont perdu la vie en Afghanistan.
À long terme, la solution passera sans doute par la formation d'une armée et d'une police nationale, comme l'a noté cette semaine un porte-parole du ministère afghan de la Défense.
L'Afghanistan n'est pas l'Irak, mais les interrogations sur les risques d'«enlisement» se font de plus en plus nombreuses.
Même aux États-Unis, l'ancien numéro deux du département d'État américain, Richard Armitage, confiait tout récemment au magazine New Yorker que la situation en Afghanistan «est pire que ce qu'on pensait». «ll y a un an, les talibans combattaient en unités de huit à douze hommes; maintenant ces unités ont la taille de compagnies, parfois davantage», expliquait-il.
La réticence de plusieurs pays occidentaux à s'impliquer militairement en Afghanistan s'explique aussi par les difficultés multiples que rencontrent les efforts de reconstruction: développement économique en deçà des attentes de la population, culture du pavot, manque d'autorité du gouvernement central élu face aux seigneurs de la guerre locaux, etc.
À Riga cette semaine, les chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN ont d'ailleurs noté l'importance d'accélérer les activités le développement en Afghanistan. La proposition faite par le président français Jacques Chirac de créer pour ce pays un «groupe de contact» chargé de discuter des questions sécuritaires, certes, mais également de développement, sur le modèle du Kosovo, a été retenue.
Même si l'intervention en Afghanistan y a volé la vedette, le sommet de l'OTAN a entériné un document sur une «transformation» de l'Alliance qui en fera une organisation militaire et politique mieux adaptée au nouveau siècle. Les changements envisagés visent notamment à la rendre capable de mener de front plusieurs opérations d'envergure. Ce qui peut paraître ironique vu les difficultés qui plombent son programme actuel.
Dans le contexte, les dossiers relatifs à l'élargissement de l'OTAN ont été mis sur le boisseau. Les prochains candidats seront vraisemblablement la Géorgie, l'Ukraine, l'Albanie et deux ex-républiques yougoslaves.
Un autre type d'élargissement, souhaité par les États-Unis, risque d'attendre encore plus longtemps. Washington voudrait en effet rendre l'OTAN «globale» en y incluant ses principaux alliés des antipodes, comme le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. L'idée déplaît en Europe, même dans la «nouvelle» Europe (de l'Est) où l'ours russe inquiète toujours.